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EAN : 9782875622037
262 pages
Presses Universitaires de Liège (10/04/2019)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
Lieux communs, slogans, banalités, clichés, proverbes, adages, prêt-à-penser servi à toutes les sauces, ayant toutes le même goût. Sagesse des nations ou pâture langagière de la paresse intellectuelle, (ré)confort des certitudes moyennes, socle d'une société mentalement ossifiée et fière de l'être. Deux écrivains sur les marges opposées du spectre politique - Léon Bloy, le romancier catholique, et Gérard de Lacaze-Duthiers, l'esthéticien anarchiste - ont exploré ces... >Voir plus
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Un clou chasse l’autre

Plutôt qu’à un lieu commun, on croirait avoir affaire avec cette expression à un slogan publicitaire pour cabinet de médecine homéopathique. Mais pour autant qu’il soit ardu d’indiquer une date de naissance précise pour cet art médical inégalement reconnu, on peut estimer sans grande crainte de se tromper que la phrase est encore bien plus ancienne.

L’application qu’on en fait peut varier, et varie en effet considérablement, en fonction des motifs et des circonstances, ainsi que de la plus ou moins grande gravité des phénomènes qui semblent l’exiger. Mais le principe de base demeure invariablement le même et dans bien des cas peut se prouver par la simple expérimentation scientifique, à la portée de l’étudiant de physique le moins doué.

Pour ne donner qu’un unique exemple, pratiquement tout un chacun a fait l’expérience du fait que pour se guérir des séquelles d’une soirée trop abondamment arrosée, rien ne donne de meilleurs résultats qu’un bon petit verre de whisky au saut du lit le lendemain. On est tout de suite tout requinqué et de nouveau d’attaque. Si au lieu de chasser le clou par le clou, et la gueule de bois par un solide remontant, on choisissait de chasser le clou par la vis, et la biture par l’eau fraîche, les résultats risqueraient de n’être guère aussi satisfaisants. Ils seraient en tout cas, au grand minimum, nettement moins rapides, avec toutes les conséquences désagréables qu’une situation de cet ordre réserve inévitablement et sur lesquelles nous estimons superflu nous appesantir.

Pour autant qu’une démonstration convaincante puisse se faire sur la base d’un exemple unique, celui-là devrait suffire amplement. Mais comme c’est souvent le cas pour les choses qui nous paraissent être des vérités naturelles, si on modifie un brin les éléments de la démonstration on s’aperçoit qu’il est aisé de parvenir à des conclusions non pas nécessairement autres, mais en tout cas suffisamment différentes pour que la valence positive de la recommandation soit mise quelque peu à mal.
Si ce lieu commun avait été commenté par Léon Bloy (il vient d’ailleurs de sa liste), on peut parier gros que le mot clou aurait suscité dans son esprit une image qui devait d’ailleurs rarement le quitter : celle du corps du Nazaréen, solidement rivé à sa croix par trois gros, longs clous à la tête carrée. Un pour chaque main, et un seul pour les deux pieds pour faire des économies, comme on peut prévoir que déjà à l’époque l’administration devait gérer des coupures budgétaires bien gênantes. Or, pour les enlever, on peut en effet théoriquement estimer qu’il suffirait de taper dessus avec un clou en tout identique, assez longuement pour que celui qui assurait les membres à la croix sorte du côté opposé à celui par lequel il était rentré. Le deuxième clou aurait alors indubitablement chassé le premier.

En outre de ce que cette méthode peut avoir de peu ragoûtant pour des gens doués d’un minimum d’imagination et éventuellement de compassion, on s’aperçoit aussi que le résultat finit par n’être en fait pas du tout éloigné de la condition de départ. On pourrait même répéter l’opération autant de fois qu’on se sentirait de le faire, que la position du crucifié n’aurait pas changé d’un poil, et que si on n’avait choisi d’utiliser que cette seule méthode pour enlever son corps de l’instrument de son supplice, à cette heure il y serait encore. Ce nouvel exemple, dont nous espérons qu’on nous pardonnera ce qu’il peut avoir de par trop frappant pour les esprits sensibles, prouve donc clairement, nous semble-t-il, l’inanité de ce lieu commun - pourtant doué d’une certaine beauté sonore et esthétique tant qu’on se passe de l’analyser.

Si au lieu de choisir un exemple concret, on passe dans le domaine des idées, l’inefficacité flagrante du procédé apparait avec encore plus de clarté. Prenons quelques cas historiques. Dans celui de la Russie, le clou communisme a chassé le clou despotisme, pour être ensuite chassé à son tour par le clou capitalisme, qui a subi le même sort sous la poussée du clou cleptocratie. Dans le cas des États-Unis, nous assistons pratiquement depuis la naissance du pays à une alternance entre le clou démocrate et le clou républicain. En Allemagne, le clou SPD et le clou CDU se chassent réciproquement du même trou depuis plus de soixante-dix ans. En Italie, après des décennies pendant lesquelles le clou démocrate-chrétien se faisait remplacer périodiquement par un autre clou démocrate-chrétien, nous assistons maintenant à une situation où des clous aux dénominations variables et inventives, mais rigoureusement identiques, se suivent à des intervalles toujours aussi rapprochés. Au Canada, le clou conservateur et le clou libéral alternent avec une régularité de métronome, pendant que le clou social-démocrate trépigne dans sa boîte à outils, attendant vainement son tour. Dans tous ces cas (et dans les nombreux autres qui viendront sans doute à l’esprit à tout lecteur un tant soit peu attentif à l’histoire des sociétés), un clou chasse l’autre, mais le corps électoral demeure toujours aussi solidement cloué à la croix de l’état. D’où il ne risque pas de tomber de sitôt. Et personne n’a encore eu l’idée d’aller chercher des tenailles. Ce qui, on l’avouera, donne envie de se mettre à boire pour oublier.

Heureusement que le lendemain, il suffit d’un petit verre pour se remettre sur pied.
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L’inactualité est une sorte d’éternité discrète. Parfois choisie délibérément en refus d’une actualité qu’on honnit, parfois imposée par un milieu hostile ou tout simplement indifférent. Elle obéit à ses propres lois, ou attend l’avènement de règles nouvelles qui permettront de la comprendre et de l’apprécier, de la saisir pour ce qu’elle est véritablement : l’annonce d’une réalité qui n’existe pas encore - qui n’existera d’ailleurs peut-être jamais. C’est une potentialité, une graine qui attend l’averse dans une terre stérile. C’est quelque chose qui dure dans l’ombre, n’en sortant guère en principe, ou ne jouissant le plus souvent que de moments très brefs de reconnaissance, partielle, réticente, jamais unanime, pour replonger ensuite au sein des ténèbres. Mais les foudres aussi sortent des ténèbres.
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C’est Bardamu qui parle (allez, ne confondons pas ! qui dit que c’est l’auteur ?)
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