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EAN : 9782246798064
256 pages
Grasset (13/02/2013)
4.67/5   3 notes
Résumé :
Max Frisch commence ce "journal", en forme d'aphorismes et de récits brefs, au début des années 1980, et le rédige jusqu'à son décès en 1991. Portraits de ville, récits de la vie aux Etats-Unis, indignations et mots tendres alternent dans une langue superbe, parfois fulminante. Réflexion sur l'affrontement entre deux mondes – la Suisse et les Etats-Unis –, c'est aussi et surtout le récit d'un cheminement vers la mort.

Ce dernier texte littéraire a été... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Drôle d'idée de découvrir l'oeuvre d'un auteur par le texte qui l'acheva. Commencées dans les années 1980 et achevées de force en 1991 par la mort de Max Frisch, les Esquisses pour un troisième journal n'étaient pas prêtes à être publiées car leur auteur n'en avait pas encore terminé la correction.


Première nouvelle : depuis quand apporte-t-on des corrections à un journal ? Depuis que celui-ci est devenu exercice littéraire à part entière, égalisant en précision et en intentionnalité le roman, la nouvelle, le poème ou la pièce de théâtre. D'autres l'avaient déjà fait avant Max Frisch –je pense à Cesare Pavese et à son Métier de vivre- et la pratique suit le mouvement d'une tradition que Peter von Matt explique dans sa postface :


« Par le terme de « Journal », Max Frisch désigne depuis les années 1940 une forme littéraire qui se distingue fondamentalement de ce que l'on entend généralement par là. Il s'agit d'une composition rigoureusement structurée, de textes de réflexion et de narration, dont les liens tissent un réseau de thèmes et de motifs récurrents. Un « Journal », au sens où l'entend cet auteur, n'est donc pas la somme des notes quotidiennes que l'on prend en plus de son travail d'écrivain, mais un résultat de la volonté artistique au sens le plus strict. »


Ce n'est donc pas pour la spontanéité que l'on lira ces Esquisses pour un troisième journal. Relues et partiellement corrigées, les idées que Max Frisch annota tout au long de ses dernières années sont condensées et prennent la forme d'aphorismes au ton cinglant. Chaque nouvelle entrée est digne d'un micro-thriller mobilisant le strict minimum de personnages : Max Frisch lui-même, son ami Peter Noll condamné à mourir du cancer, son avant-dernière compagne Alice, sa cadette d'un demi-siècle, et la civilisation américaine. Max Frisch pourrait presque louvoyer de pair avec les aphorismes d'Emil Cioran pour la similitude de leur ironie ; tous deux portent sur le monde un même regard chargé d'absurdité. Pour mieux nous faire prendre conscience des ablations subies par les pages de ce journal, le dossier situé à la fin de cette édition nous en livre les originaux, plume en main. le travail de concision de Max Frisch traduit la volonté d'en écrire le moins possible pour en suggérer le plus :


« Un buisson jaune comme un feu d'artifice. Un magnolia en fleur. Mais sur les montagnes, de l'autre côté, la neige est toujours là. le bleu, par-dessus, comme le bleu au-dessus de la Méditerranée. Les forêts ne sont pas encore vertes, mais gris-brun, comme le pelage d'un lièvre, on aimerait caresser un jour tout le coteau.
(Hier de nouveau picolé.) »


Certaines pages finissent par n'être composées plus que de quelques phrases aussi tranchantes qu'un slogan publicitaire –Max Frisch n'hésite pas à interpeller le subliminal de son lecteur.


« THANATOS ET EROS
En Amérique cela se dit :
CASUAL SEX. »


Par ailleurs, et on aura l'occasion de le remarquer très rapidement, Max Frisch est engagé ouvertement dans une bataille politique qu'il livre contre les Etats-Unis, et notamment contre l'hégémonie qu'elle tient à assurer face à un monde encore disloqué en deux blocs distincts. A travers le regard de Max Frisch, les Etats-Unis deviennent la figure symbolique de l'assurance stupide, de la confiance en soi prétentieuse et de la ruine de tout esprit d'ouverture aux autres et de réflexion.


Ces passages d'une grande virulence et de portée internationale alternent et contrastent avec des brèves de vie anodines. C'est à ce moment-là qu'on se rappelle qu'elles ont pourtant été délibérément placées par Max Frisch et que, contrairement aux apparences, elles ne sont pas si dérisoires qu'elles n'y paraissent. L'écrivain y parle de ses appartements, de son projet de maison idéale, de ses sacs poubelles et de son ennui. La dualité d'un homme s'exprime à travers cette juxtaposition de considérations. Une face : l'acharnement à se battre contre un monde bâti de guingois ; l'autre face : la fatigue de se détruire pour sauver les dernières ruine d'un monde qui ne mérite en fait aucun sacrifice personnel. Il faut beaucoup d'autodérision pour reconnaître cette contradiction fondamentale et Max Frisch n'en manque pas. A cet égard, il nous rappelle encore une fois l'ironie d'Emil Cioran (cruelle et joyeuse) ou celle de Cesare Pavese (rageuse et désespérée). Tout combat semble perdu d'avance –et peut-être plus encore parce que ces b]Esquisses[/b] marquent l'entrée de l'écrivain dans la période de la vieillesse. L'absurdité vient se mêler à la révélation de la mascarade sociale ainsi que de l'ennui pour asséner une douche froide à la réalité.


« Comment passer toute une soirée (THANKSGIVING) sans une discussion, sans même une tentative allant dans ce sens ? L'hôte, professeur de droit commercial, s'assoit au piano et joue, une fois la dinde consommée et le dessert savouré : des airs de comédies musicales que chacun connaît ici, et ceux qui ne sont pas trop vieux passent deux heures debout autour du piano à chanter à tue-tête. Il y a du vin, du whisky aussi, du feu dans la cheminée. A quoi bon une quelconque conservation ? Ce qu'il y a à dire entre humains a déjà été dit, le premier drink à la main. »


Drôle d'idée donc, de découvrir l'oeuvre d'un auteur par son dernier texte. Et pourtant, idée judicieuse, tombant à point nommé pour tous ceux désirant découvrir l'esprit véritable d'un homme –la fulgurance de la vision qui l'étreint lorsqu'il commence à sentir que son tour est bientôt venu de passer l'arme à gauche. Esquisses pour un troisième journal me semble être une excellente introduction à l'oeuvre de Max Frisch dans le sens où, représentant l'évolution ultime du parcours d'un homme, elle donne l'impression de pouvoir mieux comprendre les étapes antérieures de son existence –que l'on ramènera symboliquement à chacun de ses autres textes.
Lien : http://colimasson.over-blog...
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Journal posthume de Max Frisch, en fait nous devrions plutôt parler d'aphorismes et de critiques de l'actualité, de mots d'humeur, de réflexions sur la vie, une sorte de journal mais un peu différent tout de même, en tous cas il nous rend l'auteur très attachant.
Ce sera son dernier journal, il en a publié deux, mais celui-ci n'est qu'à l'état d'ébauche, ce qui justifie son titre.
Le fil conducteur est la vieillesse, il vieilli, ses amis aussi, quand ils ne meurent pas. Au cours de ses pages nous assisterons au déclin et aux derniers instants d'un de ses amis, Peter Noll, la description de leur dernière rencontre est pleine d'émotion et d'humanité.
Il nous fait part de ses inquiétudes quand aux américains et à leur politique, nous sommes en pleine guerre froide et il vit à New York, ville qu'il ne chérit pas.
Ce livre est drôle quand il égratigne les américains, touchant quand il parle de ses amis et rétrospectivement il nous permet de mieux connaître le personnage ainsi que ses préoccupations à la fin de sa vie.
J'ai adoré ces pages, je me suis senti très proche de lui et je ne peux que le conseiller et lire les deux premiers tomes de son journal.
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Citations et extraits (31) Voir plus Ajouter une citation
PROTEST FOR SURVIVAL
Sept cent mille personnes à Central Park, un jour d’été, je défile pendant quatre heures et m’étonne de voir à quel point ce genre de manifestations est pacifiques, ici, tout le monde est de bonne humeur. […] Personne n’importune un jeune homme qui se promène avec une méchante caricature du président en cow-boy de western. Pour ce que j’en ai vu, aucune conversation ne s’échauffe, mais il n’y a pas non plus de fraternisation entre homosexuels (si l’on en croit leur banderole) et catholiques (si l’on en croit leur banderole) et l’on ne demande pas : DO YOU TRUST THE SOVIETS ? Comparé aux manifestations du début des années soixante-dix (PEACE NOW), il y a moins de guitares, mais un bon théâtre de rue. THE BREAD AND PUPPET THEATRE. Et beaucoup de pique-niques dans le grand parc. Je comprends mal les discours qui résonnent dans les haut-parleurs. Pour ce que j’en discerne : pas d’incitation à la désobéissance civile. D’ailleurs je n’ai jamais vu aussi peu de Noirs à Central Park que ce jour-là. Lorsque je prends le chemin du retour, quatre heures plus tard, je vois que les deux avenues que la police a autorisées pour la manifestation sont pleines de monde agitant des banderoles sur plusieurs miles, et je dois dire que c’est très impressionnant…
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Notre tourisme, notre télévision, nos changements de mode, notre alcoolisme, notre toxicomanie et notre sexisme, notre avidité de consommation sous un feu roulant de réclames, etc., témoignent de l’ennui gigantesque qui affecte notre société. Qu’est-ce qui nous a amenés là ? Une société qui, certes, produit de la mort comme jamais, mais de la mort sans transcendance et sans transcendance, il n’y a que le temps présent, ou plus précisément : l’instantanéité de notre existence, sous forme de vide avant la mort.
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Ce qui, dans tous les systèmes, préserve le plus les hommes d’Etat d’une exécution, ne relève qu’en partie de ce que l’on appelle la sécurité rapprochée, son armée de gardes du corps ; pour l’essentiel, c’est notre certitude que les hommes d’Etat sont à chaque fois et aussitôt remplacés par leurs semblables.
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La conscience du fait que notre civilisation pourrait bientôt arriver à son terme –les seuls à pouvoir réellement la refouler, ce sont les femmes enceintes et les hommes politiques. Chez tous les autres, on la devine, même si elle ne s’exprime jamais, sinon sur le mode ironique ; l’un espère résolument chanter un jour dans le grand opéra ; Vera a la nostalgie du temps où, enfin, elle ne sera plus liée aux deux enfants, mais libre pour la créativité, quoi que puisse signifier ce mot ; et d’autres continuent à parler d’investissements, mais la conscience rampante du fait que tout cela pourrait s’achever bientôt produit ses effets ; pour le plus grand nombre, l’avenir, au-delà de leur propre personne, n’est plus guère une catégorie qui crée des obligations.
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Faire l’éloge d’un défunt et garantir publiquement qu’il nous manquera, voilà l’expression ordinaire de notre deuil, dans l’ignorance totale de ce qu’est la mort. Aucun visage dans un cercueil ne m’a jamais montré que nous manquons à celui qui vient de mourir. C’est le contraire qui saute aux yeux. Comment puis-je donc dire que le cercle de mes amis parmi les morts ne cesse de s’agrandir ? Le défunt m’abandonne au souvenir de ce que j’ai vécu avec lui… trois soirées au bord du Nil, oui, ou ce dernier déjeuner sur les collines du Pfannenstiel à l’automne… Lui, en revanche, le défunt, a fait entre-temps une expérience sans nous, cette expérience qui m’attend encore et que l’on ne peut communiquer – sauf s’il se produisait une révélation dans la foi.
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Video de Max Frisch (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Max Frisch
Une présentation du Journal berlinois (1973-1974) de Max Frisch par sa traductrice, Camille Luscher. Disponible dans toutes les bonnes librairies dès le 6 octobre 2016. http://editionszoe.ch/livre/journal-berlinois-1973-1974
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