Le Camp Forevermore est un camp de vacances pour des filles de la classe moyenne supérieure, dans la classe d'âge 9-11 ans dont l'objectif est de les dégourdir et de leur faire découvrir une vie en communauté dans la nature. le principe du camp scout pour familles aisées qui se donnent bonne conscience en acceptant quelques boursiers. Immédiatement, des clans se forment autour des petites filles les plus épanouies, alors que d'autres sont plus ou moins exclues.
Au cours d'une exploration en kayak, le groupe de Nita, Andee, Siobhan, Isabel et Dina se retrouve isolé sur une île à la mort de leur animatrice , et les fillettes vont devoir faire tout ce qu'elles peuvent pour survivre et se sauver.
"Avec leurs larges sourires découvrant des dentitions inégales , avec leurs tresses ou leurs queues de cheval austères, c'étaient des filles-pirates, des filles-capitaines de vaisseau spatial, des princesses guerrières : de fabuleuses cohortes d'enfants qui n'existaient que dans les livres de Siobhan. "
Le récit de survie évoque Sa majesté des mouches en version féminine, mais
Kim Fu choisit de présenter cette aventure par fragments qui se glissent entre les récits de vie de ces enfants devenues femmes.
S'étendant sur deux décennies, le roman examine la vie des filles pendant et après les événements du camp . Chaque chapitre est écrit du point de vue d'un personnage différent, et l'auteur utilise celui de Siobhan pour raconter l'aventure cauchemardesque de 1994.
Le premier récit est celui de Nita, celle qui s'est rapidement imposée comme leader, est devenue médecin mais a des difficultés à entrer en relation avec les autres. Par contre, elle fait l'objet d'un amour exclusif et envahissant de son chien Loup et plus tard de son fils aîné.
Avec une certaine distance,
Kim Fu dépeint des bribes de vie de ces filles devenues adultes et leurs difficultés mais sans jamais tomber dans le bavardage psychologique, et surtout sans jamais nommer un quelconque traumatisme.
Elle résiste intelligemment à la sentimentalite et à l'apitoiement sur ses personnages, tout en incitant le lecteur à faire le lien entre la mésaventure enfantine et le parcours de vie de ses héroïnes.
Chaque voix est particulière et chacune des vies a une résonance émotionnelle différente parce qu'on y retrouve des traits de personnalité qui influent sur les choix de vie.
En ménageant habilement le suspense sur ce qui s'est passé au camp, Chin Fu joue avec ses lecteurs en leur livrant les informations au compte goutte. La tension est telle que l'on en vient presque à être déçue lorsque l'on découvre les actes de cruauté des fillettes.
L'attitude de Siobhan, qui devient chercheuse en psychologie de l'enfant et ne peut jamais se résoudre à se confronter à ses sujets en face à face, semble également disproportionnée. Elle dit qu'elle n'a jamais réussi à prouver de quoi les enfants sont vraiment capables et on ignore si elle évoque leur égoïsme ou leur courage.
Cependant, à mesure que les filles grandissent, malgré tous leurs efforts, chacune reste un peu perdue et seule. On pourrait s' attendre à ce qu'elles finissent par se reconnecter, qu'un événement finisse par les réunir et qu'elles puissent évoluer ensemble mais cela n'arrive jamais.
Peut-être que Fu suggère ainsi que ces filles restent perdues, perdues à jamais, comme l'indique le titre sans ambiguïté.
Certains lecteurs seront probablement déstabilisés parce que l'auteure ne suit pas un fil qui relierait le présent et le passé mais qu'elle laisse le fil se nouer de lui-même, et le champ libre à l'interprétation. J'ai été personnellement happée par cette liberté.