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L'Océan au Bout du Chemin". C'est à mes yeux l'un des plus beaux titres de romans que j'ai pu lire, et c'est aussi, en passant, un roman extrêmement touchant. Je ne connais malheureusement rien à
Neil Gaiman. Je ne l'avais jamais lu, et parce qu'on me le conseillait en permanence, je me refusais à le lancer dans l'expérience, me refusant cette déception. C'était idiot, évidemment. Je ne sais pas si "
L'Océan au Bout du Chemin" est un bn moyen de découvrir
Gaiman ou pas, mais ce que je sais, c'est que ce bouquin fut un coup de coeur immense.
Cela parle d'enfance. Une enfance dorée, innocente et cruelle, parfois incompréhensible, parfois splendide, et souvent onirique.
Gaiman sait parler à-travers la voir d'un garçon de sept ans et livre ici un livre intelligent, d'une justesse formidable et d'une profondeur réjouissante. Ce n'est pas juste l'histoire d'un gamin qui s'invente des trucs, ou encore d'un gamin qui vit à côté de trois femmes Hempstock aux pouvoirs hors du commun, c'est bien plus que tout ça. C'est un témoignage vivant, pulsant de ce que c'est d'être gamin et de rêver, c'est une analyse de la pensée magique et pourtant si rationnelle qui mène à l'existence de "monstres sous le lit" ou d'enchantements extraordinaires. Les créatures ne sont pas ce qu'elles prétendent, et le manichéisme n'existe pas vraiment chez
Gaiman. Si le mal absolu se manifeste, car le mal existe, il reste cependant limité à des créatures indistinctes, des créatures sur lesquelles on ne s'attarde que le moment voulu. Il s'agit plus d'intégrer que la vie est mouvante et un peu floue par moment, et que c'est un lot que l'on paie forcément.
"Il y a des monstres de toutes les formes et de toutes les tailles.
Certains sont des créatures dont les gens ont peur. (...) Parfois, les
monstres sont des choses dont les gens devraient avoir peur, mais ils
en ont pas peur. (...)Oh, si, les monstres ont peur. C'est pour ça que
ce sont des monstres".
La réflexion est légère et portée par un style efficace, poétique et doux. On retrouve dans ce bouquin cet halo mordoré si spécifique des souvenirs d'enfance, un halo mordoré qui est pour moi la signification la plus exacte du mot "Nostalgie". Alors
Gaiman mène sa réflexion, doucement, sans brusquerie, et le tout se révèle si enrichissant que c'en est presque émouvant.
Et, évidemment,
Neil Gaiman, à aucun moment, ne perd sa patte, son style si caractéristique où se mêlent merveilleux, violence et poésie dans une singulière alchimie. On en arrive à cela, par exemple (NE LISEZ PAS LA CITATION SUIVANTE, SI LA MERVEILLEUSE IDEE DE LIRE CE LIVRE VOUS A TRAVERSE):
"L'océan de Lettie Hempstock coulait en moi, et il emplissait
l'univers entier, d'Oeuf en Rose. Cela, je le savais. Je savais ce
qu'était Oeuf - où l'univers a commencé, au son de voix incréées qui
chantaient dans le néant - et je savais où se trouvait Rose - le
froncement particulier de l'espace sur l'espace dans des dimensions
qui se replient comme de l'origami et s'épanouissent comme d'étranges
orchidées, et qui arquerait l'ultime bon moment avant l'inéluctable
fin de tout et le prochain Big Bang qui, je le savais à présent, ne
serait rien de tel."
Alors oui, c'est magnifique, et j'ai regretté longtemps que le roman fut si court. Je pense honnêtement que
Gaiman aurait pu développer un peu l'oeuvre, même si franchement, cela ne m'a pas posé de problèmes. Cela a même participé à son charme, puisque ce fut pour moi une incursion dans un monde de rêves où langage magique et langage enfantin se réunbissent pour livrer un témoignage juste de ce qu'est l'enfance, et de l'impact infini qu'elle exerce dans le fondement de notre être. Alors oui,
Gaiman, c'est bizarre parfois, et oui,
Gaiman, c'est de la poésie en prose parfois. mais
Gaiman c'est surtout un conteur fabuleux, qui nous entraine dans des histoires grandioses aussi facilement que s'il nus demandait de compter jusqu'à 10. Et comme une bonne anesthésie, comme un bon passage du côté de chez Morphée, un ami de toujours, le tout se fait en douceur, délicatement, les traits durs s'estompant pour rendre certaines choses floues, et plus floues encore...