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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
L'angoisse du Roi Salomon, c'est un peu l'angoisse de tous.
Le roi Salomon, c'est Mr Salomon Rubinstein, un vieux monsieur de 84 ans, ancien « roi » du prêt-à-porter dans le Marais. D'origine juive, il a dû se cacher dans une cave pendant la seconde guerre mondiale pour échapper aux nazis. Tout comme Romain Gary, Mr Rubinstein a eu le temps, a eu la vie, pour penser à l'être humain. Penser à nos peurs, nos joies, nos amours, nos espoirs. Tout ce que l'on revêt dès la naissance. Notre prêt-à-porter à tous.
A 84 ans, il ne supporte pas de se dire qu'il n'est plus que vieux aux yeux des autres. Qu'il n'y a plus que cela pour le définir. Alors, il continue de porter de beaux costumes. Il veut rester élégant et digne. Il veut encore être, avoir le droit d'aimer, de ressentir. Pour cela, il a notamment créé un standard SOS. Il aide ceux qui sont dans le besoin, les oubliés, ceux qui ont perdu un peu d'eux-mêmes sur le chemin de la vie. Cette association vaut aussi bien pour les bénévoles : en parlant à quelqu'un, quel que soit le côté où on se trouve, on a l'impression de se sentir moins seul.
Avant la guerre, Mr Rubinstein a été amoureux d'une jeune femme de 20 ans sa cadette, Cora Lamenaire, qui commençait dans la chanson et qui a eu un petit succès. Mais celle-ci était folle amoureuse d'un voyou, qui sera collabo pendant la guerre. L'amour peut être parfois fou, aveugle, incompréhensible. Mademoiselle Cora n'en avait que pour lui. Durant 4 ans, elle n'est jamais allée voir Mr Rubinstein dans sa cave, même si, pour elle, cela signifiait déjà quelque chose qu'elle ne l'ait pas dénoncé à son amour de vaurien. Elle ne pensait pas à Salomon. Elle avait le coeur pris ailleurs. Et Mr Rubinstein, une fois sorti, n'a pu accepter de la revoir.
Mr Rubinstein croise un jour un jeune homme, Jean. C'est un homme de la rue qui vit de son boulot de taxi avec deux autres amis et de bricolage et réparations en tout genre. Jean n'a pas eu trop d'éducation, n'est pas forcément très intelligent, mais il essaye, comme il dit, d'apprendre en « autodidacte » en consultant beaucoup de dictionnaires. Jean par son allure, sa carrure de boxeur fait penser à ces hommes qui ont une gueule (comme les Gabin, Ventura…). Et il fait penser à cette canaille, tué après la libération. le vieux monsieur l'engage pour être son chauffeur particulier et aider à l'association.
Bien entendu, il est difficile pour moi avec ce prénom Jean, celui du narrateur, de ne pas songer à Jean Seberg, l'ancienne femme de Gary, son si grand amour, décédée la même année que la publication de ce roman.
Mais Jean, c'est aussi ou surtout l'autre face. La joyeuse et positive. Jean a le surnom de Jeannot Lapin, parce qu'il met du sourire dans nos vies. Sûrement qu'il est d'utilité publique, tellement il fait du bien à l'âme. On se sent peu plus léger en sa présence. Même s'il tombe souvent à côté du sens des mots ou des idées philosophiques, à bien y réfléchir sa compréhension des choses n'est pas forcément si insensée que cela. de prime abord, un peu surpris, ça nous fait sourire. Et puis, on se dit qu'il n'a pas tellement tort. Probable qu'il nous ouvre les yeux sur les autres façons moins convenues d'appréhender, d'interpréter les choses de la vie. Sûr qu'il met un peu de joie et de poésie dans les réflexions sérieuses.
Il nous fait sourire, nous sentir plus légers, et pourtant les sujets dont il parle sont lourds, graves. Il parle de la guerre, du nazisme, de la solitude des hommes, de notre besoin d'amour, du besoin que nous avons tous à trouver un sens à notre vie.
Il y a comme une inversion des poids. Il doit être un peu shaman pour avoir cette capacité de nous enlever le mal à l'âme. Jean, c'est un peu de Gary, capable de mettre autant d'humour, de clairvoyance sur les hommes et de gravité dans une seule phrase. A parler des choses de manière légèrement grave et gravement légère. Et moi, ce n'est pas vraiment un tour de passe-passe que je fais si je parle de Jean pour parler à Romain Gary.
Gary, je l'ai dans la peau. Peau de lapin, pourrait dire Jean pour désamorcer. Il parait qu'il faut toujours un peu d'humour pour supporter la réalité.
Cela fait tellement d'années que je lis les romans de Monsieur Gary que je me sens un peu proche de lui. Même s'il est loin à présent, il est toujours là avec moi. Et j'ai cette impression de le connaître un peu mieux au fil des ans, au fur et à mesure des lectures, de ces romans dévorés.
Vers l'âge de 20 ans, je l'ai découvert avec « La vie devant soi ». Drôle d'énergumène qui, pour la première rencontre, me mettait une claque. Une énorme claque. Je m'en souviens encore. Ça marque ce genre de choses, ce genre de livres. Ça laisse des traces. Si Jean avait dû décrire cette claque, il aurait sûrement précisé qu'elle était encore plus douce qu'une caresse, une claque qui ressemblait à s'y méprendre à un « gros-câlin ».
Alors j'ai continué à chercher Romain Gary, à multiplier les rencontres, les soirées avec lui. Je me disais qu'avec lui, la nuit sera calme et enfiévrée. Et c'était vrai à chaque fois. Toutes ces heures, toutes ces nuits incroyables, belles, et je me rappelle aussi sourire à l'idée de la promesse de l'aube merveilleuse. Durant ces heures passées ensemble, je passais du rire aux larmes. de sourire bête accroché aux lèvres des minutes entières au coeur serré prêt à éclater en mille morceaux.
Avec lui, je nous sentais seuls au monde, loin de la folie des hommes, et en même temps si près d'eux, si soudés à eux. Presqu'en communion. Ou en communauté, si j'avais regardé la définition dans un des dictionnaires de Jean. Etrange phénomène qu'il accomplissait comme un magicien, comme un des mangeurs d'étoiles. Et moi, je les buvais ses mots, je les avalais aussi ses étoiles, hypnotisée, amoureuse, en transe, en apesanteur. Je les savourais lentement, religieusement presque, moi qui ne crois plus en grand-chose. Je continuais à croire en lui et à ses rêves, ses espoirs, ses combats, ses coups de colère parfois. Ils me faisaient penser à ces cerfs-volants qui allaient s'accrocher aux étoiles. Et je me disais que Gary était un de ceux qui, soir après soir, s'agrippait à ces cerfs-volants et allait allumer les étoiles, les faisait scintiller si intensément.
Il me faisait rire, Romain. J'avais le sourire rien qu'en l'écoutant parler à mon coeur, à ma naïveté d'enfant qui colle parfois si mal à la réalité d'adulte. J'aime ses jeux de mots, ses aphorismes, son décalage, son imagination. J'aime sa culture, son intelligence, son coeur énorme qui prend tellement de place qu'on se sent tout petit à côté de lui. Il faisait mon éducation européenne, terrienne, interstellaire. J'aime sa sensibilité, sa poésie, sa tendresse et son courage. J'aime ses yeux clairs dans lesquels je me plonge, sa grandeur d'âme, son côté parfois macho, son amour des femmes, son humanité, son respect des autres, son idéologie et ses valeurs écolo. Il me surprend, il m'impressionne, j'adore cela. J'ai conscience de mélanger les temps, le passé, mes souvenirs avec lui, le présent par ce que je ressens encore et toujours. Et parce qu'il est toujours là avec moi, il y a un futur fait d'autres découvertes avec lui (j'ajoute une autre angoisse, celle du nombre de lectures qui s'amenuisent … alors je ralentis, je prends mon temps).
Bien sûr, je savais lire entre les lignes. Je lisais aussi plusieurs sens à ses lignes. Je voyais dans son regard ses peines, ses pertes et ses blessures. Je savais que parfois les années qui passent étaient plus lourdes à supporter, que la lutte était éprouvante, que c'était parfois trop pour lui et qu'il pensait à partir. Qu'il pensait de plus en plus à aller retrouver les éléphants qu'il aimait tant.
Gary portait parfois un masque rieur, avait un pseudo trompeur pour pouvoir être un peu plus lui-même, et pas l'image qu'on attendait de lui. Il faisait souvent le clown lyrique pour pouvoir supporter sa charge d'âme. Et je le serrais contre mon coeur comme il faisait battre le mien. Comme j'aurais voulu lui montrer tout ce qu'il était capable d'offrir à tous ses lecteurs. Je sais être redevable de tout ce qu'il m'a donné, apporté. Il n'a jamais su à quel point il était généreux avec moi. A quel point il me réconciliait avec la nature humaine. Je n'avais pas les mots aussi forts, aussi poétiques que les siens. Et ne pas pouvoir le lui dire, le remercier comme il le mérite, ça me serre parfois le coeur. Ça me fait le coeur gros prêt à exploser. Avec ce trop plein d'émotions, forcément ça craque, ça déborde à un moment ou à un autre, ça coule, ça ruisselle…
J'ai souvent l'impression que Gary est dans mon coeur. Qu'il est là dans mon coeur à le triturer, le malaxer, le faire battre, l'irradier et le serrer sans vergogne. Et je me sens toute bizarre... Romain Gary, c'est mon centre d'appel SOS à moi. Je suis souvent en insuffisance cardiaque et Gary est mon indéfectible défibrillateur personnel. Il est celui qui me donne un rythme cardiaque qu'il est bon d'avoir de temps en temps dans la vie. Il est celui qui me fait un coeur tout frais, tout jeune, celui qui me ramène un sourire aux lèvres, un peu de teint aux joues, les yeux qui pétillent. Gary est de ceux qui me ramènent souvent à la vie.
Gary est à la fois un peu de Jean, le jeune fou et rêveur et à la fois Mr Rubinstein, le vieux sage, stoïque mais aussi altruiste et encore désireux de vivre et d'éprouver des émotions. Et si entre Jean et Salomon, un lien fort se tisse, sûrement qu'il y a aussi entre eux un passage de relais.
Il faut lire Romain Gary, ou à défaut Emile Ajar, c'est un peu du pareil au même. Il faut le lire, le relire pour ne pas l'oublier. Pour ne pas s'oublier. Et ne pas oublier les autres.
J'aurais pu parler des romans de cet écrivain qui m'ont le plus touchée, ceux que j'emporterai(s) sur mon île déserte (« Les cerfs-volants », « La vie devant soi », « La promesse de l'aube », etc.). Mais peut-être que je ne me sentais pas de taille. J'étais encore jeune à l'époque de ces lectures, peut-être de l'âge de Jean. Alors, après avoir découvert bien d'autres romans et entretiens de cet ensorceleur conteur, de cet incroyable diplomate, après avoir lu « L'angoisse du roi Salomon », à l'âge intermédiaire entre Jean et Mr Rubinstein, c'est pour moi le prétexte pour rembourser un peu ma dette. C'est le moment de parler de lui, enfin, et enfin de lui parler, moi qui n'ai jamais osé auparavant, de (lui) dire à quel point il compte parmi mes auteurs les plus marquants, les plus importants de ma vie. Et qu'il a sans conteste changé ma vie, bien plus que ma vie de lectrice.
Cette année, cela fait 40 ans qu'il m'a quittée (ou nous a quittés, mais c'est pareil. Gary m'a appris que tous les autres sont un peu de nous, même un peu comme le chien blanc des Amériques, même Momo à quelques années près, Momo qui a un rien de Jean, même si là je ne parle pas de boxe, parce que Jean, c'est à Marcel à qui il voulait ressembler).
Il me manque. Je m'approche de la bibliothèque. J'ouvre un roman. C'est presqu'une lettre qu'il m'écrit, qu'il nous écrit, une si belle lettre, avec une ribambelle d'émotions qui explosent semblables à un feu d'artifice, à un immense arc-en-ciel qui vous saute à la gorge. Tiens, c'est étrange, c'est lui qui me manque et c'est lui qui m'écrit (permettez-moi de rêver que c'est à moi que Romain écrit).
Je lis ses mots. J'en ai plein les yeux, j'en ai plein la tête, j'en ai plein le coeur, j'ai l'impression qu'il déborde mon coeur… encore. Je lis quelques lignes, je serre ses mots entre mes doigts, je m'accroche. Crois-moi, je ne vais pas te lâcher comme ça. Entre nous c'est une belle histoire et tous les superlatifs ne suffiraient pas. C'est une belle histoire dont je ne veux pas qu'il y ait le mot ‘'fin''. J'entends tes mots. Ta présence me fait du bien. Je souris. Je sais que tu es tout près.
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Le génie de ce roman, c'est d'être écrit dans les termes du personnage principal. Ce dernier est un homme de la rue, qui n'a pas beaucoup étudié, mais qui l'aurait certainement fait si il en avait eu les moyens. Il tend d'ailleurs constamment à combler le manque de connaissance dont il souffre cruellement en autodidacte, comme il le dit lui-même en ses propres termes de manière répétitive.
Dès les premières pages, surtout par les “explications” naïves, on voit à qui on a affaire: “il avait encore toute sa moustache et une courte barbe qu'on appelle à l'espagnole, car c'est en Espagne qu'elle est apparue pour la première fois”, le roi Salomon avait “un air résolu et implacable, comme s'il ne craignait rien ni personne et avait déjà battu plusieurs fois l'ennemi à plate couture, alors qu'on était seulement boulevard Poissonnière” (p.9). Cette naïveté géniale n'empêche personne de se débrouiller dans le monde et ouvre des possibilités poétiques précieuses à quiconque à la patience d'aller prêter attention.
C'est donc à travers la sincère bizarrerie du personnage principal que nous découvrons ce “roi Salomon” et ce, “avant même qu'il ne s'appelle comme ça à [s]a connaissance” (p.10). Cet homme riche, devenu philanthrope “car plus on devient vieux et plus on a besoin des autres” (p.11), va lui ouvrir la possibilité du merveilleux, et ce, même si le narrateur n'est pas croyant, car “même quand on ne croit pas, il y a des limites. On ne peut pas ne pas croire sans limites, vu qu'il y a des limites à tout” (p.15).
Notre narrateur cherche souvent conseil chez son ami Chuck, dont il se méfie pourtant comme la peste puisqu'il peut tout expliquer et que pour lui, “l'explication, c'est le pire ennemi de l'ignorance” (p.17).
Cette modalité narrative met le lecteur en un état de tendre amusement idéal pour savourer la douce mélancolie du récit de ce dur au coeur tendre.
Difficile de trouver plus sympathique comme passe-temps.
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Romain Gary, Stefan Zweig, tolstoï et Proust font indéniablement partie de mon "panthéon littéraire."
Quatre auteurs pour qui le mot "humanité" rime avec l'essence de chacun d'eux.
Romain Gary pour moi, c'est d'abord La promesse de l'aube, un roman qui me porte depuis l'adolescence, un livre dont l'amour d'une mère vous enveloppe à vie, vous protège.
Évidemment, il y a toujours des failles et des fêlures mais mieux vaut trop d'amour que pas assez.
Dans L'angoisse du roi Salomon, c'est l'humanité, le don de soi, d'aider les autres qui prime.
Le roi Salomon ne supporte pas l'oubli, les oubliés, chaque vie à un sens même la plus ordinaire.
C'est avec un humour décapant, un humour juif comme le dit Romain Gary que le roi Salomon affronte L'angoisse.
L'angoisse de la solitude, de la mort et de la finitude humaine.
Comment à 84 ans croire à demain ? D'ailleurs cette question se pose bien avant cet âge avancé.
Le roi Salomon fait du bien en donnant des rentes, des subsides à ceux qui n'ont plus rien, à ceux que la vie n'a pas gâté. Il se noue d'amitié avec Jean, un chauffeur de taxi à qui il offre son "héritage spirituel".
Oui, mais il y a tout de même des avatars qu'on ne peut résoudre. Salomon a été fou amoureux de Cora dans sa jeunesse, puis rejeté pour un autre. L'amour a survécu chez ces deux êtres mais l'orgueil amoureux, la rancune peut-elle se refermer pour vivre encore un peu ensemble ?
Le roi Salomon est assez proche du personnage de la vieille juive qui prend sous son aile Momo dans la vie devant soi. Peut-être ce qui fait le lien entre ces deux Ajar et Romain Gary.
J'ai vu en 2019 l'adaptation théâtrale de L'angoisse du roi Salomon au théâtre de la porte St Martin avec la performance extraordinaire de Bruno Abraham - Kremer que je vous conseille si vous avez la chance d'aller le voir.

En refermant ce roman, je me dis comme à chaque titre de Romain Gary que cette lecture m'a fait du bien.
Cher Gary, merci, je l'imagine recevoir ce merci avec un sourire mi-désabué, mais plein de bonté pour l'espèce humaine.
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En ce qui me concerne, ouvrir un roman de Romain Gary, c'est toujours risquer de me prendre un coup de poing en plein coeur -et ça n'a pas loupé avec celui-ci.
Jean, chauffeur de taxi occasionnel, prend un jour pour client Salomon Rubinstein, ex-Roi du prêt-à-porter, qui lui propose de devenir coursier au sein de SOS Bénévoles, l'association qu'il a créée pour aider les personnes en difficulté, qu'elles soient confrontées à l'âge, la solitude, ou autres angoisses existentielles. Jean accepte et découvre alors, en la personne de Monsieur Salomon, un homme de 84 ans déterminé à porter sur ses épaules plus que sa part du poids du monde. Mais comment porter un tel poids sans s'insensibiliser ? "Le juste milieu. Quelque part entre s'en foutre et en crever. Entre s'enfermer à double tour et laisser entrer le monde entier. Ne pas se durcir mais ne pas se laisser détruire non plus. Très difficile.", comme l'apprendra Jean.

J'ai beaucoup aimé cette histoire un peu folle, parfois un peu poussive aussi, mais qui sonne juste. Comme toujours, Romain Gary joue de sa faculté à parler de choses graves avec une légèreté qui donne envie de rire puis de pleurer. Il s'amuse avec les mots, faisant de Jean un Momo (de "La vie devant soi") adulte, amateur de dictionnaires et d'encyclopédies.
Surtout, je me suis retrouvée dans le fatalisme de ce roman inscrit dans l'année 1978, tandis que s'impriment partout (et surtout dans la rétine) les images de goélands englués dans le pétrole, de bébés phoques massacrés, d'Argentins torturés et de Cambodgiens assassinés. "C'est une honte, le monde devient chaque jour plus lourd à porter." soupire Monsieur Salomon, qui a survécu au nazisme, et je me demande ce qu'il en penserait 45 ans plus tard. J'ai aimé cette façon d'aborder la difficulté de vivre dans une société aussi désespérante, et de considérer le salut humain à travers celui de tous les vivants. En ce sens, la générosité de Romain Gary m'a consolée et réconfortée.
Enfin, j'ai également été touchée par les réflexions sur l'angoisse du temps qui passe et de la possibilité du bonheur, et sur la recherche d'un stoïcisme protecteur quand vivre heureux devient un oxymore.

C'est donc une lecture dense et douloureuse, mais aussi drôle (oui, oui) et pertinente, et on en sort avec l'impression d'avoir bénéficié de quelques conseils d'un plus sage que soi, et d'être réconcilié avec l'existence. Prêt à regarder de nouveau la vie devant soi.
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Jean le narrateur, est un coeur simple. Il rencontre M. Salomon, « roi du pantalon » à la retraite, jeune dans sa tête mais angoissé par l'âge et le temps qui passe. Celui-ci met Jean en contact avec Cora, une ancienne vedette quasi oubliée. Il y aura une relation tendre entre Cora et Jean et celui-ci finira par apprendre ce qui s'est passé dans le temps entre elle et monsieur Salomon.
Le sujet du livre est l'âge, la vieillesse, le temps qui passe et qui détruit les corps, la beauté, le goût de vivre et la solidarité, l'amour malgré tout persistant. C'est traité avec beaucoup de délicatesse et de sensibilité.
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En fin de livre, l'éditeur a inclus cinq commentaires de journalistes et d'écrivains qui font l'éloge de ce roman, et surtout magnifient la puissance du 4ème opus de l'auteur Ajar ! Anne Pons : le Point ; Jacqueline Piatier : le Monde ; Françoise de Comberousse : France Soir ; Françoise Xenakis : le Matin ; Michel Tournier : Académie Goncourt et Paris Match.
C'est vrai qu'on y retrouve le ton tantôt comique et loufoque du premier Ajar «Gros câlin », mais aussi la tendresse et l'angoisse, le besoin d'amour et la peur de la solitude. le tout combiné est irrésistible d'humour, souvent drôle, parfois grave, tout en paradoxe et en douceur.
Dans ce roman, il y a trois personnages principaux que sont Jean, Salomon et Cora. Autour de cette trinité gravite le petit peuple de S.O.S. Bénévoles (copie de SOS amitié), un standard d'aide aux désespérés que le vieux Salomon Rubinstein juif et ancien roi du pantalon a installé dans son appartement du boulevard Haussmann. Mr Salomon prend en amitié Jean, chauffeur de taxi et bricoleur, qui est le narrateur du récit. Son langage est familier et sous couvert de naïveté et d'allégories, pétille d'une justesse sans équivoque ; il se proclame autodidacte, la consultation régulière du dictionnaire est son école. Il y cherche le mot juste et l'expression appropriée pour exprimer sa pensée, car il est consciencieux. Entouré de trois loustics en colocation et à son image, Chuck (américain, étudiant à la Sorbonne), Tong (cambodgien survivant des Khmers), Yoko (ivoirien étudiant en chiro-massage), ils ont des conversations très imagées sur la vie, l'amour, la vieillesse, la mort, la générosité, la connerie, l'humour… Enfin, Aline (vendeuse en librairie) et spécialiste en dictionnaires, aura un rôle capital ! Au-delà de la métaphore, jean ne néglige pas l'actualité politique et événementielle. Les goélands mazoutés et la marée noire de l'Amoco Cadiz en Bretagne seront les victimes de l'ultra mondialisation, tout comme le massacre des bébés phoques ; les exécutions des Khmers rouges au Cambodge seront celles de l'idéologie totalitariste ultranationaliste et communiste radicale, et Aldo Moro sera martyr des brigades rouges, autre déviance dogmatique et terroriste d'extrême gauche. Même les « cons » ont droit à une description fleurie (p92), un peu ressemblante à celle des baufs de Cabu.
L'aventure des trois principaux personnages est burlesque. Pour résumer, Mr salomon (85ans), ex-roi du pantalon est aussi philatéliste, collectionneur de cartes postales des années 1920-1930 et souhaite vivre encore longtemps. Cora est une ex-chanteuse « réaliste » des années 1940, anciennement amoureuse de Salomon, mais aussi d'un gestapiste fusillé après la guerre. Elle affirme avoir sauvé le juif Salomon des exécutions nazies car ne l'ayant pas dénoncé, il a ainsi pu passer quatre années caché dans une cave aux Champs Elysées ! Salomon également amoureux n'a jamais pardonné. Jean devient le coursier du vieux Salomon ; il s'envoie en l'air avec Cora (65 ans), mais rabiboche les deux retraités qui s'en iront finir leurs jours à Nice, et lui se mariera avec Aline pour fonder une famille. Ouf ! La morale est sauve et le schéma traditionnel respecté. Tout ça dans une langue fleurie, où aphorismes, adages et allégories nous ravissent à chaque page. C'est du grand, très grand Gary-Ajar.

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Touchant ! Surprenant par son écriture simpliste, et répétitive (sachant qu'Emil Ajar était quelqu'un d'érudit.) Par la répétition, il nous transmet cette angoisse de l'âge de la vieillesse, de tomber dans l'oubli absolu. Pour cela, le roi Salomon garde les cartes postales de gens qui sont tombés dans l'oubli. C'est un livre curieux, plein de tendresse pour tout le monde (même pour le concierge qui est un roi des cons.)
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Extravagant, réjouissant, à lire absolument.
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« L'angoisse du roi Salomon » met en scène Jean, un chauffeur de taxi. Bien qu'ayant une tête de malfrat, Jean est un bon gars, gentil, presque simplet. Salomon Rubinstein monte dans son taxi et change sa vie en lui offrant l'inespéré. " J'en avais la chair de poule. Quand il vous arrive quelque chose de tellement bon que ça ne s'est jamais vu, sauf peut-être dans les temps légendaires, il faut se méfier car on ne peut pas savoir ce que ça cache. Je ne suis pas croyant, mais même quand on ne croit pas, il y a des limites ".

Jean devient donc le chauffeur personnel du roi Salomon (titre qu'il doit à la fois à son physique et ses largesses) et va distribuer des fruits à toutes les pauvres âmes chez qui il est envoyé. Il se prend d'amitié pour l'une d'elles, une ancienne chanteuse réaliste qui n'a pas eu les bonnes fréquentations pendant la guerre pour devenir une gloire nationale. « Je pensais qu'il n'était pas nécessaire d'aimer quelqu'un pour l'aimer encore plus« .

La suite est laissée au plaisir du lecteur.

J'ai retrouvé le style inimitable de Gary/Ajar, les métaphores et aphorismes en veux-tu en voilà, un amour du langage, une invention du langage. Jean lit des dictionnaires, apprend les définitions des mots. Il veut savoir circonscrire une émotion pour être bien sur de savoir à qui il affaire. Gary brasse de nombreux thèmes; la vieillesse et la peur du déclin, la générosité, la connerie et le racisme, l'humour, la lucidité. C'est une jolie histoire, pleine de bons sentiments, un peu longuette, mais qui a le mérite de nous faire réfléchir: ce monde n'est pas toujours sérieux, il y manque beaucoup de Jean.
Lien : https://desruesetdeslivres.w..
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Le dernier livre de Gary publié sous le pseudonyme d'Emile Ajar. le cri d'adieu déchirant et tellement humain d'une des figures les plus marquantes de la littérature française du XXe siècle, tant par son oeuvre que par les multiples facettes de sa personnalité. Un très beau livre.
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