Je termine ce livre avec un avis très mitigé, oscillant entre le plaisir d'avoir lu un (vraiment) bon thriller, et le sentiment que l'auteur a tellement usé et abusé de clichés que c'en est devenu indigeste – sans même parler du fait que je me demande encore et toujours comment un tel livre, tellement violent du début à la fin, peut être destiné à la jeunesse ? En tout cas, souvent je partage mes bonnes lectures jeunesses avec mon fils aîné (16 ans, et grand lecteur depuis toujours), mais dans le cas présent, j'hésite vraiment beaucoup !
J'avais emprunté ce livre auprès de Lirtuel (la bibliothèque belge francophone en ligne, qui est actuellement mon « fournisseur officiel » de bonnes lectures !) sans trop savoir à quoi m'attendre : j'avais certes survolé le synopsis mais sans m'y attarder, et me suis lancée dans la lecture sans a priori – car, en plus, il y avait alors encore très peu de commentaires sur ce livre, ce qui le laissait à peu près « vierge » en ce sens.
Ainsi, on est d'emblée happé par un début très dur et très violent : le protagoniste, Gabriel, est parti en forêt avec quelques pseudo-amis (de fraîche date et dont on sent très vite qu'il se méfie bien un peu) pour boire et fumer quelques joints. Alors qu'ils s'installent, et que Gabriel sent venir le rite d'initiation, ses compagnons se font tirer dessus l'un après l'autre, vraisemblablement avec un silencieux car aucun son ne ressort particulièrement, tandis que lui parvient à s'échapper… pour se faire ensuite poursuivre par le tueur, un mystérieux homme en noir qu'il ne parvient jamais à semer, mais qui le rate toujours pour diverses raisons dès qu'il parvient à être à portée de tir.
On a ainsi la (très longue) narration d'une course-poursuite, sur plus de 60% du livre, où on court et on halète au rythme de Gabriel, présenté par un narrateur omniscient très centré sur ce jeune personnage, tandis que des bribes de son histoire éclatent à son esprit bien secoué comme autant de bulles de compréhension, de regret, de rares joies ou de douleur. On passe alors assez abruptement à une seconde partie, centrée cette fois sur l'enquête menée par la gendarmerie, alors que la course-poursuite s'est arrêtée de manière quand même assez brutale. Dans cette deuxième partie, le même narrateur omniscient passe d'un personnage à l'autre, parfois sans vraie transition, ce qui pourrait créer une certaine confusion – heureusement, les personnages ne sont alors guère nombreux, et tellement typés qu'on finit par s'y retrouver. Enfin, la clé est donnée dans une troisième partie beaucoup plus courte (on est à 92% de l'ebook quand on y arrive), et cette fois Gabriel lui-même devient narrateur à la 1re personne du singulier.
Ce découpage ne m'a pas vraiment dérangée, même si j'aurais préféré une première partie un chouïa plus courte, car peu à peu on se demande si ce livre va vraiment se réduire à cette course-poursuite certes haletante, mais qui s'essouffle – au rythme de Gabriel, ça devenait d'ailleurs un peu trop pour lui aussi ! La deuxième partie, malgré son léger nuage de confusion, m'a semblé sans aucun doute la meilleure, car là on est entré de plain-pied dans les aspects policiers – or, on sait que je suis lectrice de romans policiers, si bien que je me retrouvais davantage dans ce que j'aime lire. On y trouve en outre, comme je l'ai dit plus haut, quelques nouveaux personnages bien typés dont l'un ou l'autre ressortent davantage (l'adjudante, par exemple) et m'ont semblé presque sympathiques. Presque... Auraient-ils été un peu mieux exploités, un peu plus longtemps, et peut-être auraient-ils suffi à sauver le livre ? Quand à la troisième partie, si elle apporte enfin l'éclairage sur l'ensemble (ce qui explique peut-être pourquoi elle est si courte), elle ne gagne pas grand-chose à changer encore une fois de point de vue ; elle donnerait presque l'impression que l'auteur a voulu faire un énième exercice de style en changeant de narrateur, en essayant de se mettre davantage dans la peau de son Gabriel… mais à mon sens ce n'était pas utile, et ça m'aurait tout autant plu, je pense, si cet éclairage s'était fait avec les personnages de la deuxième partie en « vedette ».
Le tout fait quand même un livre prenant, intense, qu'on a du mal à lâcher car on a toujours envie d'en savoir plus, tout en se demandant si Gabriel va s'en sortir, et de quoi il retourne exactement.
Eh oui ! comme je disais, ce livre avait tout pour plaire !
Hélas…
L'auteur cumule les clichés qui, au début, font sourire, mais à force de les asséner et remarteler, ça finit par être lassant, et par endroits ça a presque ralenti ma lecture, le temps que je lève les yeux au ciel en me disant : « Mais c'est pas vrai ! »
Notre Gabriel a un grand-père militaire de carrière, à la retraite désormais, mais présenté comme le facho de service, jusque dans son discours, relevé par Gabriel dans la partie finale, mais on l'a compris bien avant : « Oui, le général, il dit des trucs comme négros, crouilles, youpins, tout ça. » Ainsi, d'emblée, on a l'image bien ancrée militaire gradé = facho. Bien sûr, cette image est enfoncée plusieurs fois de façon directe ou indirecte, on perçoit très vite un sentiment antimilitariste assez marqué, mais en plus, le pauvre Gabriel est affublé de deux parents militaires de carrière également, et pas plus tempérés que le grand-père ! Je note ce qui m'a choquée en masqué, car je crains bien que ce soit divulgâchant…
Notre protagoniste a ainsi grandi entre une mère qui a choisi cette carrière car son père – donc le fameux grand-père – aurait préféré un fils, et qui dès lors n'imagine pas autre chose qu'une vie sur le terrain, sans jamais rien remettre en cause, et un père tout aussi militaire mais qui a « sacrifié » sa vie de terrain pour que sa femme puisse y être tandis qu'il s'occupe des enfants, c'est-à-dire clairement qu'il les maltraite, et lui non plus ne s'est jamais remis en cause !? Il aura fallu Gabriel et sa soeur aînée pour tout à coup se demander si tout ça c'est normal, les parents et le grand-père n'étant que des "robots militarisés" ??? Et bizarrement, il n'y a pas de grands-parents paternels, je n'ai même pas le souvenir qu'ils aient été mentionnés de quelque façon que ce soit.
Tout cela, certes, pose un contexte, explique pourquoi Gabriel n'est pas bien dans sa peau (mais quel ado l'est vraiment ?), pourquoi il n'a que peu d'amis (à cause des changements d'affectation très réguliers de ses parents, changements tellement fréquents qu'on se demande si c'est réaliste, mais bon…) tout en soulignant que Marthe, elle, la soeur aînée qui est de temps en temps évoquée comme une protectrice, a bien réussi à se construire une vie sociale. Alors ?
Si seulement ça s'arrêtait là… Mais l'auteur jette une passerelle qui alourdit encore un peu le cliché : ah ces militaires qui aiment tant les armes, mais bien sûr ils adorent aussi la chasse n'est-ce pas ? Et montrons-les à mettre des armes dans les mains de leurs enfants dès le plus jeune âge, nous conduisant à une scène écoeurante
de mise à mort d'un pauvre gibier seulement blessé après une première balle – une scène complètement surréaliste, qui se veut sans aucun doute follement anti-chasse, tout en montrant une évidente malveillance dans le chef des parents de Gabriel. Sans oublier qu'elle est longue, très longue, ladite scène ; on dirait que l'auteur s'est plu à en rajouter encore et encore, pour bien appuyer son propos, au cas où le lecteur n'aurait pas encore compris…
Et ce n'est pas fini : faisons un petit détour par une ébauche de discours véganisant, tant qu'à faire… Une autre scène encore, dans un supermarché, où Gabriel et son père achètent des abats de viande, justement pour une utilisation dans le cadre de la chasse (je vous laisse lire le livre pour plus de détails). Mais on rencontre alors une mère (qu'on devine gentille) et son gamin, et paf on crée l'amalgame : « Et le gamin avait tendu son index vers Gabriel et M.
Stern en demandant : - Pourquoi ils prennent de la viande, eux ? » Ce n'est pas dit, mais c'est tellement sous-entendu que, d'une part, le gamin n'a évidemment pas fait la différence entre de la viande de consommation et des abats pour un autre usage ; mais aussi, d'autre part, que les « méchants » (Gabriel qui n'a pas le choix, et son père dominant, donc) mangeraient de la viande, alors que les « gentils », vraisemblablement, n'en mangent pas, puisque le gamin s'en étonne !? J'hallucine !!!
Enfin, comme je disais plus haut, on rencontre dans la deuxième partie une gendarme, enfin une personnage correcte, compréhensive et efficace… malgré son uniforme, si, si, je vous promets ! (sourire un peu jaune) Elle aurait pu à elle seule sauver l'idée antimilitariste très marquée de ce livre, mais elle manque un peu de présence. En outre, l'auteur a bien mis en lumière cette adjudante, une gentille comme pour contrebalancer les parents et grands-parents de Gabriel, mais n'a pu s'empêcher de lui adjoindre une psychologue… qui, paf, à son tour cumule les clichés : nunuche, incapable d'empathie, complètement dépassée par la situation, et j'en passe. Quand je disais que les personnages de la 2e partie sont bien typés, celle-là était stéréotypée ! mais de façon qui pose question. Était-ce vraiment nécessaire de brosser ainsi ce personnage ? Ça n'apporte absolument rien ni à l'histoire, ni à Gabriel, et sa petite intervention aurait pu être amenée d'une autre façon pour le même effet.
Tout cela étant dit, bien sûr, je peux comprendre que l'auteur ait un sentiment antimilitariste, anti-chasse etc., et ait souhaité le faire passer à travers cette histoire bien racontée par ailleurs (si, si) qui s'y prête, et qui aurait pu amener à une certaine réflexion chez les ados qui s'intéresseraient à ces sujets d'une façon ou d'une autre.
Le problème que je veux soulever ici, pour conclure, c'est qu'il assène ce sentiment sans aucune nuance, encore et encore, on dirait presque qu'il a envie de laver le cerveau de ses lecteurs. Or, je pense que c'est potentiellement dangereux, car volontairement influençant, pour les jeunes qui se poseraient des questions et qui après une telle lecture se mettraient à détester l'armée, s'ils ne sont pas accompagnés dans une réflexion plus poussée et plus ouverte. Pourtant, notre Histoire européenne récente (et ce livre-ci est récent, faut-il le rappeler), notamment en Ukraine, montre bien qu'il n'est pas inutile d'avoir une armée bien entraînée, sans pour autant devoir être va-t-en-guerre ! « Si vis pacem, para bellum », ce n'est pas une nouveauté ! Par ailleurs, c'est terriblement agaçant pour le lecteur adulte qui a un avis plus modéré sur les différents sujets abordés ici, ne serait-ce qu'un seul.
Eh oui ! ce thriller très rythmé, intense, haletant, aurait pu être vraiment bon, si seulement il n'avait pas été gâché par tant et tant de clichés martelés sans aucune nuance.