Le titre du livre semble nous parler de la radicalité d'un ermite, d'un isolé profond, disposé à une quête spirituelle hors des siens. Mais le sous-titre fait aussitôt sourire : il ne s'agira que d'une déconnexion temporaire de Facebook.
Cette opposition immédiatement exprimée entre une apparente conviction d'ermite et une disparition éphémère sur un réseau social (on ne disparaît pas vraiment quand on disparaît de Facebook, et même, on ne disparaît pas du tout) semble être le fil conducteur de cette suite de réflexions, rédigées au cours d'un mois de sevrage de réseaux sociaux. Et ce qui apparaît inévitable avec une telle décision, c'est la reconnexion qui s'opère avec la vie réelle : le narrateur le sait et l'a toujours su, puisque le livre s'ouvre quasiment avec L'Allégorie de la caverne, de
Platon, soulignant que les anciens prisonniers retrouvent ou découvrent une forme de vérité une fois qu'ils sont libérés de leur mur (Facebook).
C'est dans le jalonnement de certains de ses souvenirs que le narrateur nous emmène alors, faisant même un éloge (tout à fait juste) de l'ennui, mais également dans des observations sur les limites qu'on s'impose quand les relations amicales s'en tiennent au virtuel : à ce titre, une anecdote au sujet d'élèves de troisième, lorsque le narrateur enseignait au Maroc, est digne d'être le noyau d'un film sur la persécution et la paranoïa.
D'ailleurs, tel qu'on peut le penser des réseaux sociaux, où se trouve la vérité dans ce qu'on lit ici ? Où se trouve la part de fiction ? Certes, nous nous laissons volontiers guider comme dans un journal intime, mais même quand une personne cherche à être un « livre ouvert », nous restons dans un livre, donc dans une réinterprétation de la réalité – ce qui nous renvoie à Facebook, qui n'est qu'une réinterprétation (très superficielle) de la réalité. Tout n'est-il que faux-semblants et mensonges ? Est-ce vers ce type de question que voudrait nous amener ce livre ?
Emerge néanmoins un beau paradoxe :
Arnaud Genon/le narrateur confie vouloir vivre (temporairement) sans amis, mais ne réussit-il pas à faire de nous (et nous, à faire de lui) un vrai compagnon de réflexion ? Tout en se montrant majoritairement critique envers le réseau social, il exprime aussi son amusement, son ironie, conscient du vide que cela représente et du peu de « remplissage intéressant » qu'on y rencontre. Comme nous, il reconnaît pourtant ne pouvoir échapper à cette spirale immatérielle, joliment visualisée à travers une définition de la couleur bleue issue du Dictionnaire des symboles – spirale au sein de laquelle on tente de trouver du sens, un intérêt fondamental. Vaine tentative, bien entendu.
Mais ne faut-il pas assumer un autre paradoxe ? En quittant Facebook, le narrateur s'appuie sur Facebook qui fournit de la matière à son écriture. L'invention de Zuckerberg lui permet aussi, une fois qu'il s'en éloigne, de voir davantage l'essentiel et de porter une attention plus aiguisée à cet essentiel. D'une certaine façon, l'oeuvre d'
Arnaud Genon adresse un remerciement indirect à Facebook sur le fait d'exister. Car sa présence, qui peut provoquer notre saturation, augmente parallèlement la conscience d'un autre besoin : celui de se raccrocher à la vie réelle, celui d'y trouver tant bien que mal un sens supérieur, face à la menace du vide qui nous entoure constamment.
François Baillon
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