Aujourd'hui c'est mercredi et mercredi, c'est... ?
« Les histoires à Berni ! »
Sandrine, la maîtresse d'école a fait entrer les élèves dans la classe.
Tout d'abord nous sommes allés rendre visite à l'atelier mécanique où se trouvaient la petite Domi affairée sous le juke-box et le petit Pat agenouillé à côté et qui lui donnait de précieuses instructions. « Surtout va doucement avec la clé de douze (*), ce vinyle d'
Alain Souchon, c'est un collector. N'hésite pas à donner du mou...
- T'inquiète Patounet, dans la vie j'aime bien donner du mou... »
Puis j'ai invité les élèves à nous retrouver dans le fond de la classe. Une fois que la petite Domi et le petit Pat se sont décrassé leurs mains pleines de cambouis, ils nous ont rejoints à leur tour.
Ce matin, exceptionnellement je vais vous raconter une histoire inspirée d'un fait divers réel. J'ai marqué un silence, observant la réaction des enfants. Ça a créé comme une onde de choc dans la petite troupe. Ils se sont tous regardés les uns les autres, avec des yeux interrogatifs. Passé un très long silence de cinq secondes, la petite Isa a pris l'initiative de réunir le groupe autour d'elle, façon conciliabule intersyndical. J'ai senti qu'au sein du petit groupe les échanges étaient âpres...
Pendant ce temps-là, j'essayais du mieux que je pouvais de rassurer Sandrine, la maîtresse d'école.
Une porte-parole est sortie du groupe, c'était la petite Anna. Elle avait pris un petit air empli d'assurance pour ne pas dire d'aplomb, tandis que derrière elle ses copines la poussaient vers l'avant...
« Dis donc Berni-Chou, a-t-elle clamé d'une voix très ferme, tu ne voudrais tout de même pas sous-entendre que jusqu'à présent, tout ce que tu nous as raconté ici n'étaient que des balivernes » ?
Elle a marqué un silence, a regardé l'assistance, jaugeant son public, s'est sentie portée par un élan. On voyait tous les enfants opiner du bonnet, Sandrine la maîtresse d'école et moi, on s'est regardés un peu inquiets, cela n'augurait rien de bon pour la suite. Alors chacun y est allé de sa petite musique belliqueuse.
- Des bobards, a dit la petite Sylvie.
- du pipeau, a dit la petite Nico.
- Des sornettes, a dit la petite Doriane.
- Des calembredaines, a dit la petite Chrystèle.
- Des fariboles, a fait la petite Yanike.
- Des carabistouilles, ugh ! a fait la petite Manue.
- Des fadaises, a dit la petite
Anne-Sophie.
- du crac, lol ! a dit la petite Sonia.
- Des mensonges, a dit la petite Fanny.
J'ai alors vu des regards sévères braqués devant moi comme des projecteurs. Même les yeux du caméléon perché sur l'épaule du petit Paulo étaient sombres. C'est dire...
Chaque élève en face de moi avait les bras fermés, croisés sur leur poitrine.
J'ai attendu qu'ils aient épuisé leur stock de munitions. Sandrine la maîtresse d'école et moi, on s'est regardé et on s'est dit que c'était le moment de passer à l'offensive. Alors, j'ai tenté une médiation...
« Mais vous savez, dans toute histoire inventée, il y a souvent un peu de vrai qui l'a inspirée.
- Mouais, a fait la petite Chrystèle d'un air dubitatif. Et tu ne vas pas tarder à nous dire qu'à l'inverse aussi toute histoire vraie... patati patata ! ... »
Bon, finalement l'auditoire étant décidé à écouter enfin l'histoire, j'ai montré la couverture du livre que j'avais décidé de leur raconter :
L'incroyable histoire du coq qui ne voulait pas fermer son bec. le titre déjà leur avait tapé dans l'oeil.
« Sur l'île aux Moutons, merveilleuse île bretonne où les coqs chantent le rock 'n roll, un coq, s'appelant Maurice, - célèbre popstar parmi toutes les basses-cours d Moutonville, a été interdit de chanter, soi-disant parce qu'il dérangeait les voisins de sa ferme. »
« Haha ! Maurice ! Quel drôle de nom pour un coq, a fait le petit Pat hilare.
- Ben Pat, c'est pas un drôle de nom, ça ? » s'est écrié la petite Domi encore plus hilare.
Le pauvre petit Pat venait de se faire clouer le bec par celle qu'il était jusqu'à présent en train de former à la maintenance du jukebox de la classe. C'est vraiment ingrat les camarades !
Alors, j'ai continué de raconter l'histoire. « Les voisins, ce sont des touristes parisiens devenus retraités qui ont acheté la maison à côté de la ferme. »
- Parigots ! a commencé de claironner la petite Sylvie en se dandinant, mais Sandrine, la maîtresse d'école, lui a décoché des yeux noirs qui lui ont vite dissuadée de poursuivre sur ce registre... Oui, elle sait être parfois être sévère, la maîtresse d'école, mais avec toujours tact et délicatesse.
« Tous les matins à l'aube, ils sont réveillés par le chant du coq, ils essaient de s'arranger avec le fermier, qui commence à protester, prétend qu'il ne peut rien faire. La femme déprime et ne dort plus. Ils décident alors de porter plainte. Un premier jugement a eu lieu qui leur a donné raison : une interdiction de chanter est prononcée contre le gallinacée. »
Il chante en quelle langue ? a demandé la petite Fanny ?
- Gast ! en breton, a fait la petite Isa fière de ses origines, l'île aux Moutons c'est une île bretonne.
- Tous les coqs chantent de la même façon, ironisa le petit
Jean-Michel.
- C'est pas vrai, les coqs anglais font « Cook-e-doodle ! » a répondu la petite Nico du tac-au-tac. D'ailleurs celui-ci est une popstar, il chante forcément en anglais.
- Ça ne veut rien dire, rétorqua la petite Sylvie.
- Et moi je sais dire « Cocorico ! » dans plein de langues différentes, s'est exclamée la petite Doriane.
- Et en espéranto, tu le dis comment alors ? lui a répliqué le petit Paulo d'un air plein de défi.
- Mais euh ! a fait la petite Doriane réfugiant son visage renfrogné dans sa tablette de chocolat.
J'en ai alors profité pour poursuivre mon récit.
« Mais voilà qu'on découvre un vice de forme dans le jugement. Un vieil édit royal du Moyen Âge toujours en vigueur oblige à ce que les procès entre les humains et les animaux soient jugés par une Basse Cour de Justice, devant un jury composé à égalité d'humains et d'animaux. le procès en révision aura lieu sur l'île aux Moutons. »
J'ai marqué un silence.
« On devrait toujours faire confiance aux édits royaux du Moyen Âge », a suggéré le petit Pat d'un air inspiré par la sagesse.
J'ai poursuivi.
« Pour suivre l'événement, le journal Ouest Matin décide d'envoyer là-bas Margot une jeune journaliste d'insvestigation, spécialiste de la chronique animalière. La petite Jeanne, qui a à peu près votre âge, qui est native de l'île aux Moutons et qui effectue un stage au sein du magazine, a la chance inouïe de la suivre dans son reportage.
Mais peut-être que derrière cette banale histoire de voisinage, se cache autre chose, peut-être un étrange secret, qui sait ? »
Alors j'ai continué de raconter l'histoire en détail, les coulisses de la justice, la manière dont on compose une assemblée de jurés, les plaidoiries, les rebondissements, sans parler du pauvre coq qui attendait avec angoisse le verdict final.
Cette histoire tendre et espiègle les a tenus en haleine jusqu'à son dénouement demeuré ici secret pour ne rien divulgâcher.
J'ai aimé cette histoire originale tirée d'un fait divers réel, racontée ici par l'écriture talentueuse de
Thomas Gerbeaux et agrémentée par les dessins farfelus de sa comparse
Pauline Kerleroux qui viennent illustrer à merveille le texte.
À la toute fin de l'histoire, Sandrine la maîtresse d'école est venue évoquer le thème du récit, la maltraitance animale, thème qui lui était cher et qu'elle aimait régulièrement visiter avec ses élèves. Nous avons aussi évoqué l'importance du journalisme d'investigation pour déjouer les fausses nouvelles. J'ai senti que cette histoire suscitait déjà de futures et belles vocations.
« Moi plus tard je serai journaliste, a dit la petite Hélène.
- Et moi avocate ! a dit la petite Anna.
- Et moi juge d'instruction ! a dit la petite Francine
- Et moi fermière ! » a dit la petite Marie-Caroline.
La petite Gaëlle s'est avancée vers moi. « Elle est belle ton histoire, camarade, m'a-t-elle dit de son air océanique, j'adore les histoires qui se passent sur les îles bretonnes. Il s'y passe toujours des choses incroyables. »
Alors la petite Domi et le petit Pat, de nouveau réconciliés, ont appuyé en même temps sur une des touches magiques du jukebox et un air de rock and roll totalement endiablé est venu se répandre dans toute la classe, tandis que les petites silhouettes des élèves venaient se trémousser au milieu de la piste de danse improvisée :
♫ Dans la basse-cour, il y a des poules, des dindons, des oies
Il y a même des canards qui barbottent dans la mare ♫ ♫
♫ Cot, cot, cot, codet
Cot, cot, cot, codet ♫
♫ Cot, cot, cot, codet
Le rock'n'roll des gallinacées, Yeah... ♫ ♫
(*) Ici il est de nouveau fait référence à une précédente chronique du mercredi matin intitulée « Matilda ».