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sur 2606 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
°°° Rentrée littéraire 2022 # 42 °°°

22 juin 1999, c'est le jour qui coupe en deux la vie de Brigitte Giraud. Son mari Claude meurt brutalement, tué lors d'un accident de moto. Elle a 36 ans, un petit garçon, une maison fraichement achetée en couple mais qu'elle habitera seule avec son fils. Elle a déjà écrit sur son deuil dans A présent ( 2001 ), un court récit à chaud, bouleversant, sur les émotions urgentes qui l'ont assaillies immédiatement après la perte. Vivre vite est très différent, dans sa forme comme dans son fond. « ça fait vingt ans et ma mémoire est trouée. Il m'arrive de te perdre, je te laisse sortir de moi. »

La béance intime est toujours présente, mais ici, Brigitte Giraud a décidé de pétrir le réel, de le façonner en questionnant l'imperceptible enchaînement de circonstances qui font le chaos en devenir. Son écriture s'est patinée après deux décennies de deuil, calme, factuelle, toute en retenue. Aucun robinet à pathos, mais une politesse du désespoir jamais triste où pointe même un certain humour, sans pour autant empêcher une émotion vibrante de naître au détour d'une phrase.

La construction du récit est très importante : un prologue et surtout un épilogue admirables de précision et de sensibilité, et entre les deux, une litanie de « Si », comme une enquête refaisant le film, comme un compte à rebours dont on connait l'issue, comme un puzzle de scènes du quotidien qui ont précédé le drame. Ces 23 chapitres de « Si » retrouvent la limpidité des instants, ressuscitant Claude et le couple formé avec lui. Avec ses « Si », Brigitte Giraud semble vouloir empêcher l'accident, imaginant ce qui aurait pu l'empêcher si les « Si » s'étaient accomplis, interrogeant ainsi la notion de destin dont les forces extérieures nous amèneraient inexorablement à une catastrophe ou qu'on pourrait contrôler en être responsable de nos actes.
On entre aisément en empathie avec la chair sensible du récit qui transforme un drame intime et privé en une expérience universelle du deuil.

J'ai lu la première moitié du roman, charmée par l'écriture de Brigitte Giraud, avec la belle impression que l'écriture joue comme activateur de mémoire, l'écriture initiée enclenchant le processus mémoriel et faisant galoper le cerveau de mile questions entre obsession et culpabilité. J'ai lu gentiment sans pour autant être totalement embarquée.

Et puis, il y a quelque chose qui se passe au mitan, qui dépasse la simple autofiction retravaillée, lorsque Brigitte Giraud explore des pistes presque farfelues qui font basculer le récit dans une sorte d'uchronie folle tant les ruminations de l'auteure la conduisent à un délire toujours autant empli de l'urgence d'exorciser la peur de la perte de l'autre, même plus de vingt ans après. Ainsi elle s'imagine que Claude aurait pu être sauvé s'il avait écouté avant d'enfourcher sa moto Don't panic de Coldplay plutôt que Dirge de Death in Vegas, plus long. Et si Tadao Baba, l'ingénieur nippon de la surpuissante Honda, n'avait pas inventé la surpuissante moto ? C'est le « Si » numéro 18 qui m'a le plus emballée : « Si Stephen King était mort le samedi 19 juin 1999 » trois jours avant l'accident de Claude. Par son retentissement planétaire, cette mort aurait peut-être pu détourner le fatum, Claude aurait senti l'odeur du danger flotter, l'aurait dissuadé à se mettre en danger.

Bien plus prenante que le sujet en lui-même et le dispositif des « Si » ne le laissaient entrevoir, cette généalogie d'une catastrophe à venir se révèle étonnamment pleine de vitalité et de douceur. J'ai refermé le livre touchée par la sincérité de Brigitte Giraud, par sa simplicité à mettre des mots justes sur l'universalité de la perte et de la reconstruction.
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Vingt ans après l'accident de moto qui a tué son mari, Brigitte Giraud tente encore toujours de comprendre la succession des événements qui ont conduit au drame. Une délicate introspection couronnée du Prix Goncourt 2022.

Mère d'un petit garçon, elle n'avait que 36 ans et était pleine de projets d'avenir lorsque Claude a perdu la vie. Ils venaient d'acquérir une nouvelle maison… que lui n'habitera d'ailleurs jamais. le bonheur qui devait suivre la signature de l'acte de vente fut remplacé par l'accident, le déménagement et les obsèques. Vingt ans plus tard, alors qu'elle s'apprête à revendre cette maison qui est inévitablement liée à la tragédie, Brigitte Giraud revisite l'enchaînement des circonstances qui ont conduit à cette date fatidique du 22 juin 1999.

Avec des « Si », on met Paris en bouteille… mais on construit visiblement aussi un roman. Au fil des vingt-trois chapitres, Brigitte Giraud ausculte en effet un par un les hasards qui ont précédé la perte de son homme : « Si je n'avais pas voulu vendre l'appartement », « Si mon grand-père ne s'était pas suicidé », « Si nous n'avions pas demandé les clefs à l'avance », « Si mon frère n'avait pas eu un problème de garage » etc… À mi-chemin entre l'uchronie de « Si » qui permettrait d'enrayer le destin et l'enquête policière visant à reconstituer et à comprendre le fil des événements, l'autrice choisit de rejouer ce film dont elle connaît malheureusement déjà la fin, sans pour autant y trouver une logique. Des scènes qu'elle retranscrit certes avec suffisamment de recul, mais qui demeurent néanmoins enveloppées de deux décennies d'incompréhension et de chagrin.

Le problème avec le Prix Goncourt est qu'il vous incite souvent à lire des livres que vous n'aviez peut-être pas l'intention de lire à la base et j'ai donc un peu le sentiment de m'être assis à côté d'une dame qui a subitement commencé à me raconter le drame de sa vie alors que je n'étais peut-être pas forcément demandeur. Heureusement pour moi, le lauréat de cette année est beaucoup plus accessible que celui de 2021. de plus, la perte d'un être cher et la difficulté d'accepter que des proches partent beaucoup trop tôt, sont des thèmes qui ne manqueront pas de réveiller des émotions chez de nombreux lecteurs. Je ne doute donc pas un seul instant que beaucoup de gens seront touchés par cette introspection intime d'une autrice qui tente une énième fois de déjouer le destin… Et si… ?
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« Signature de l'acte de vente. Accident. Déménagement. Obsèques. » C'est ainsi que Brigitte Giraud résume le saccage de sa vie, lorsqu'en 1999, un accident de moto lui arrache Claude, son compagnon. le couple aux alentours de la quarantaine vient alors d'acquérir la maison dont il rêvait, pour abriter un équilibre patiemment bâti autour de son jeune fils, de la musique pour lui et de l'écriture pour elle. L'auteur y emménage finalement seule avec l'enfant. Vingt ans plus tard, alors que, décidant de vendre la maison à un promoteur résolu à lui substituer un immeuble, elle s'apprête ainsi à tourner une page décisive, elle éprouve le besoin de se retourner une ultime fois sur le fatal enchaînement de circonstances – curieux rouages que ceux du destin ! - qui l'a menée jusqu'ici.


« Quand un drame surgit » écrit-elle, « on veut comprendre comment on devient un chiffre dans des statistiques, une virgule dans le grand tout. Alors qu'on se croyait unique et immortel. » Mais, avec pour seule réponse la malencontreuse concordance de faits individuellement anodins, elle ne peut se retenir d'envisager encore, une à une, les minuscules pichenettes qui auraient suffi au destin pour qu'il ne déraille pas.


« Si je n'avais pas voulu vendre l'appartement », « si nous n'avions pas eu les clefs de la maison à l'avance », « si mon frère n'y avait pas garé sa moto pendant ses vacances » … : en vingt-trois hypothèses à l'origine d'autant de courts chapitres, elle déroule l'obsédante et presque ironique litanie d'un questionnement qui souligne tristement notre vulnérabilité et notre impuissance face à l'arbitraire de la vie et de la mort, quand l'une ou l'autre nous sont distribuées au gré de circonstances et de hasards parfois dérisoires.


Vingt ans après le drame, les vagues de rage et de révolte ont cédé la place aux eaux plus calmes de la nostalgie, et c'est la persistante lumière du bonheur enfui qui rayonne doucement dans ces pages frappées du sceau du chagrin. Alors, au fil de cet émouvant récit si pudiquement mélancolique, l'on se prend à suspendre son souffle aux côtés de l'auteur, le temps pour elle de s'imaginer quelques instants retenir le destin, et d'y trouver ainsi la force de continuer à affronter son implacable irrévocabilité.

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Vivre vite, mourir jeune.”

Alors qu'elle doit quitter sa maison pour cause d'expropriation, Brigitte Giraud se remémore les conditions de son acquisition et surtout les circonstances dramatiques qui ont marqué son achat, puisqu'à peine les papiers signés, son compagnon mourrait dans un accident de moto.

Vingt ans après sa disparition, dans les derniers moments dans sa maison qu'il avait acheté avec elle et dans laquelle il n'aura jamais vécu, l'auteure retrace par le détail le contexte de l'accident.

Ce ne sont pourtant pas des souvenirs éplorés qu'elle convoque, mais une véritable enquête de chaque détail qui a mené à l'instant fatal. Celui dont on ne se remet jamais.

L'ironie fait qu'une route va bientôt passer à la place de cette maison qu'elle doit quitter. L'occasion aussi de faire un bilan doucement nostalgique de sa vie passée et de cette vie manquée.

Elle étudie, dissèque, enquête, découvrant par exemple que la moto japonaise qu'il conduisait était déjà à l'époque interdite au Japon car trop dangereuse. Elle refait en tête le chemin et les derniers instants de Claude avant de tout laisser. Une manière peut-être de tout ranger avant de repartir
balayant aussi sa condition de vie d'alors et la société qui a beaucoup changé. Tenter de comprendre aussi comment cela a pu arriver, chercher à mettre de la rationalité dans quelque chose qui ne l'est
pas et ne le sera jamais.

C'est un livre doux et puissant, absolument pas larmoyant, mais qui vous étreint et vous bouleverse jusqu'à la conclusion de cette quête indéfinissable et universelle qui est de tenter de comprendre l'incompréhensible.
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« Je suis tombé par terre,
C'est la faute à mon frère,
Le nez dans le ruisseau,
C'est la faute à sa moto. »

Claude en chutant le 22 juin 1999 sur le Boulevard des Belges à Lyon n'a sans doute pas repris la chanson de Gavroche tombant le 6 juin 1832 sur la barricade de la rue de la Chanvrerie à Paris.

Mais ces deux décès sont inscrits dans la mémoire collective grâce au talent de leurs thuriféraires et le Prix Goncourt attribué à Brigitte Giraud en 2022 pour « Vivre vite » distingue un roman aussi émouvant que « Les misérables ».

Tout lecteur est bouleversé par l'évocation du brutal accident qui tue Claude en début d'été et la romancière (dont j'ai apprécié « Un loup pour l'homme ») laisse son coeur écrire la tragédie vieille de vingt ans et que la vente et la destruction de la maison acquise en 1999 déterre.

Mais la passion brouille la raison et l'étude d'une quinzaine de causes qui ont pu interférer avec le drame sombre progressivement dans une spirale qui dérive vers le complotisme.

Ainsi, chapitre 17, l'auteur rêve qu'un conducteur assure une moto sur un simple coup de fil, sans signer un contrat, régler une quittance et recevoir en échange une vignette et l'attestation obligatoire à joindre aux papiers du véhicule … Elle insinue que Claude aurait appelé l'assureur pour souscrire … et que celui ci aurait ensuite menti et nié tout contrat. Accusation grave qui entache la réputation de cet assureur et de sa Compagnie.

Elle poursuit « j'ai cru l'assureur sur parole. Je n'avais pas l'idée de contester. Je n'y ai tout simplement pas pensé ». Mais dans quel univers sommes-nous ? Depuis quand doit on prouver son innocence ? Un des fondements du droit est que la justice doit démontrer la culpabilité éventuelle d'un prévenu. Un des fondements du totalitarisme est que l'inculpé doit prouver son innocence.

Soit les héritiers de l'accidenté présentent un contrat d'assurance, une quittance, une attestation prouvant que le conducteur et la moto sont assurés, et l'assureur n'a plus qu'à payer. Soit ils ne sont pas capables de présenter ces documents et l'assureur n'est évidemment pas concerné. Sous entendre le contraire est de la diffamation.

Submergée par l'émotion et la passion, la romancière étudie une quinzaine de « si » qui occultent la réalité (Claude a perdu le contrôle d'une moto non assurée) et écartent toute responsabilité du conducteur. Nous connaissions l'argumentaire « responsable mais non coupable », nous découvrons ici le plaidoyer « irresponsable et non coupable », ce qui est stupéfiant car, en justice, ce sont les mineurs ou les déséquilibrés qui sont jugés irresponsables et je ne peux imaginer Claude dans une de ces catégories !

Je conçois bien que la romancière privilégie la passion à la raison, j'ai du mal à comprendre que l'académie Goncourt préfère le pathos à l'ethos, mais, c'est peut être révélateur du contexte post covid dans lequel nous sommes immergés, voire noyés par les médias et ceux qui les subventionnent, afin de nous inciter à « vivre vite » et « réfléchir peu » ?
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En 1999, Claude Giraud est victime un accident de moto. Son épouse Brigitte tente vingt ans plus tard de comprendre ce qui s'est passé, d'analyser le concours de circonstances qui a men au drame. Comme un exorcisme pour faire cesser les questions qui reviennent en boucle infernale. Si…Si chaque micro-événement n'avait pas eu lieu, permettant d'éviter ce décès tragique.

Tenter de comprendre , c'est à la fois revivre les instants, c'est analyser les phénomènes qui dépendent les uns des autres, c'est aussi bannir l'idée de fatalité. Tout était en place pour que la moto surpuissante éjecte son passager. Il s'agit de décomposer l'enchainement infernal


Ce texte intime est une sorte de testament, et un récit ultime, qui ne changera rien au passé mais permettra sans doute de le classer comme une affaire résolue comprise, le contraire d'un cold- case.

L'écriture est douce et empreinte d'empathie. Aucune récrimination, aucune tentative de trouver des coupables, au contraire. La démarche est assez psychanalytique et surtout pas judiciaire.

Ce bel hommage à un disparu trop tôt, laissant un vide immense dans la vie de l'auteur, outre le possible effet thérapeutique, est empreint de qualités littéraires qui ne sont plus a démontrer chez cette autrice reconnue.

208 pages Flammarion 24 août 2022
Jury FNAC 2022
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Écrire, c'est être mené à ce lieu qu'on voudrait éviter. » Patrick Autréaux

C'est par cette très belle citation que la romancière Brigitte Giraud nous entraîne dans son dernier livre, Vivre vite.
C'est la figure de l'homme disparu, l'être aimé, qui surgit dans ces pages, une vie broyée dans l'espace infime d'un instant, Claude, celui qui était son compagnon, s'est tué dans un accident de la route en moto un 22 juin 1999.
Il y a toujours un avant et un après, cette frontière qui se pose dans nos existences, qui trace un trait comme une lame de feu, tranche, coupe en deux la vie et balaie d'un geste ses folles illusions.
Un instant qui creuse une béance pour y poser des pourquoi. Errer dans cette erreur...
Brigitte Giraud connaît ce chemin de l'errance depuis vingt ans, sans larmes, avec l'acceptation du désespoir qu'on porte en silence, en retenue plutôt, détachée désormais de la tristesse qui ferait s'effondrer les digues, seul le chagrin est demeuré entier dans ce trou béant au milieu du ventre. On voudrait l'enterrer, le couvrir de terre pour de bon.
Mais à la faveur de la vente d'une maison, - une maison qui sera détruite pour tracer une route à la place, quelle ironie ! elle revient sur les pas de cette errance, refaire le chemin en sens inverse. Car c'est cette maison achetée il y a vingt ans qui est peut-être l'élément déclencheur...
Et si...
Elle questionne alors le destin, l'irréparable enchaînement des faits qui sont venus s'agréger comme un jeu de dominos jusqu'à cette moto lancée inexorablement dans sa dernière trajectoire sur cette avenue de Lyon...
Alors, sans tristesse, avec parfois même une ironie tendre, elle réécrit une autre tragédie, celle plus douloureuse peut-être encore qu'un deuil, la succession des petits événements qui ont tracé un chemin souterrain dans ce destin sournois...
Cette seconde tragédie, c'est pour moi cette inconsolable révolte devant la mort qui ne peut trouver de voix pour réparer le malheur.
« Si je n'avais pas voulu vendre l'appartement », « si nous n'avions pas demandé les clefs de la maison à l'avance », « si mon frère n'y avait pas garé sa moto pendant ses vacances », «si je n'avais pas téléphoné à ma mère ?», si…, si…
Hasard ou déterminisme ?
L'autrice remonte à rebours le cours des choses depuis cette avenue de Lyon jusqu'au jour où ils ont eu tous deux un coup de coeur pour cette maison à vendre... Tordre la réalité, modifier le cours des choses avec cela à chaque croisée des chemins qu'elle rencontre. Se dire, si...
Comment réparer cela, après coup...?
Comment arrêter la course de l'homme à la moto ? Inexorablement...
Comment effacer du paysage de l'amour cette horrible moto qui n'a rien à faire ici, pourtant elle est là, une Honda 900 CBR Fireblade surpuissante, conçue pour la compétition en circuit et non pour circuler sur une avenue lyonnaise en cette fin d'après-midi du 22 juin 1999 ? Si dangereuse que même les Japonais l'avaient interdite sur leurs routes...
Remonter le fil du temps dans cette musicalité des si...
Derrière ce procédé rhétorique qu'on pourrait trouver froid et absurde, -mécanique même, Brigitte Giraud enchaîne les kilomètres elle aussi, Vivre vite c'est aussi ce chemin à l'envers comme pour se faire du mal une dernière fois à chaque intersection, guetter l'effet papillon...
Dans ces microévénements cueillis dans la mémoire encore vive, Brigitte Giraud tente une dernière fois de les assembler comme une toile d'araignée capable de piéger le sort inéluctable survenu ce 22 juin 1999... Mais au final, c'est un fil invisible tendu en travers d'une route qui aura sectionné la vie...
Elle aussi va de plus en plus vite dans le chaos de la douleur souterraine, sur cette trajectoire vertigineuse lancée à folle allure...
C'est une lutte vaine bien sûr, quoique ce travail n'aura peut-être pas été vain dans le processus du deuil.
On voudrait parfois nous aussi fatiguer le destin... Combien de si ne nous sommes-nous pas posé ?
Je me souviens de mon père évoquant cet accident de la route où un chauffard ivre avait percuté notre véhicule à la sortie d'un virage... J'avais onze ans. Nous avions eu la vie sauve et j'ai toujours une cicatrice en travers du visage qui me rappelle ce souvenir comme si c'était hier. « Et si je ne m'étais pas arrêté un quart d'heure auparavant pour enlever mon pull parce qu'il faisait chaud », disait souvent mon père... Ma mère un brin plus philosophe disait que nos existences étaient peuplées de plein de petits événements comme cela et qui nous avaient sauvé la vie plusieurs fois et on ne le saurait jamais...
Par-delà l'idée de relier cette histoire intime au thème universel de la mort, le travail romanesque de Brigitte Giraud aura permis de fouiller tous les interstices de sa douleur et de son chagrin, ne rien laisser en suspens. Et c'est une écriture délicate, pudique, sans pathos, qui nous est délivrée ici et qui m'aura touché en définitive, pour différentes raisons...
Ironie du sort, je découvre un des chapitres du récit qui s'intitule : « Si Stephen King était mort dans le terrible accident qu'il avait eu trois jours avant Claude. » Car Claude était passionné par les livres du grand auteur américain... Alors j'ai souri car je venais de terminer quelques jours plus tôt une lecture prodigieuse, immense, 22/11/63, où un des personnages du livre s'immerge dans une faille spatio temporelle pour venir dans le passé, cinquante ans plus tôt afin de tenter d'inverser le cours des choses... Bien sûr dans ce chapitre Brigitte Giraud demeure toujours sur la frange épaisse de la réalité, mais je l'ai imaginée alors rêvant d'ouvrir dans la béance de son chagrin une de ses failles où elle aurait pu s'engouffrer, revenir au 22 juin 1999 ou peut-être un peu plus tôt d'ailleurs, quelques jours auparavant, se saisir de ce maudit compromis de vente posé sur le bord d'un bureau et le déchirer d'un geste sec, d'un coup, comme cela, comme on tranche une vie en deux...
Et puis il y a aussi la bande-son des années 90. Et cette chanson que j'ai follement aimé, le courage des oiseaux de Dominique A., - que j'ai eu le plaisir de voir en concert à Brest, elle était leur hymne à eux deux. Cette chanson ressemble un peu à ce récit, avec une émotion souterraine, je n'écouterai plus jamais cette chanson de la même manière...
Ce livre ne sera peut-être pas une grosse cylindrée du Prix Goncourt. Qu'importe, la douleur intime d'un deuil n'est d'aucun prix.
Et n'en déplaise à quelque sotte critique misogyne dérapant et se vautrant en sortie de route, je me suis alors demandé : « Et si Brigitte Giraud avait été un homme... » Ce récit est grand parce qu'il touche au coeur dans nos parcours intimes...
En cela, il y a un côté presque intouchable qui protège ce livre des bruits dérisoires du monde.
Pourquoi ceux qu'on aime traversent parfois nos existences comme des comètes ou des bolides ?
Si on pouvait les arrêter dans leurs courses, qu'adviendrait-il de nos propres vies ?

♫ Dieu que cette histoire finit mal
On imagine jamais très bien ♬
♫ Qu'une histoire puisse finir si mal
Quand elle a commence si bien ♩ ♩ ♩
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L'auteure se trouve dans l'obligation de vendre sa maison. Obligée de changer de lieu, de tourner la page, elle souhaite revenir une dernière fois sur la mort de son compagnon Claude, il y a vingt ans. Ils venaient d'acheter la maison qui devait être celle du bonheur, leur offrant un bout de campagne en pleine ville. Une maison restée longtemps inhabitée qu'il fallait rénover. Claude a eu un accident de moto en allant chercher leur fils à l'école. Brigitte et leur fils ont emménagé sans lui. Elle nous explique le chaos d'après mais aussi le bonheur d'avant, leur vie simple mais savoureuse, leurs origines sociales. Brigitte explore, dissèque cette journée fatale. A coups de “si” elle tente de savoir si cette journée aurait pu être différente.

Le premier ressenti est la culpabilité que porte cette femme depuis des décennies. Elle voulait le meilleur pour les siens, gérant, maîtrisant, aidant. Rendre service aux uns et provoquer une peine de mort pour l'autre ?

J'ai aimé l'écriture fluide d'une bonne moitié de ce récit, même avec les hypothèses d'un destin différent. J'ai eu l'impression d'assister à une longue agonie quand l'auteure essaie de retracer la dernière journée de son compagnon. Les mots, l'histoire sont posés. La nuit est profonde.
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Vingt ans après l'accident de la route qui lui a ravi son mari, Brigitte Giraud ne parvient pas à cesser de ressasser l'enchaînement de circonstances à l'origine du drame. Son enquête rembobine inlassablement le fil des événements, en sonde les rouages les plus imperceptibles, décortique, une à une, chacune des séquences qui ont contribué à placer Claude sur la route au mauvais moment et sur la mauvaise machine. Les chapitres composent un récit hypnotique, tendu comme un compte à rebours. Car on sait d'emblée que l'histoire se termine mal.

J'ai été touchée par le désarroi de Brigitte Giraud, son obsession des scénarios alternatifs dont la réalité a bifurqué, son impuissance à conjurer l'engrenage tragique en réécrivant l'histoire. La méthode, la précision compulsive avec laquelle procède l'autrice a quelque chose de poignant.

Je me suis attendue à ce que cet acharnement contrefactuel donne un sens aux choses, contribue à décanter des causalités, voire des responsabilités. Pourquoi est-on aussi pressé de vivre, d'acheter une maison, de déménager, de céder aux demandes de son éditeur ou de son amie ? Comment une moto jugée trop dangereuse pour être commercialisée au Japon a-t-elle pu être exportée vers l'Europe ? En réalité, les spirales de pensée qui se referment inexorablement sur Claude dessinent moins un fil conducteur qu'un entremêlement chaotique de hasards, de décisions apparemment anodines, de choix de vie et de société.

Les mots de Vivre vite retiennent aussi et surtout un temps révolu, ravivent un homme mélomane et passionné, un amour dont l'autrice peine à faire le deuil.
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« Je n'étais obsédée que par une chose que je tenais secrète pour ne pas effrayer mon entourage. Je n'en parlais pas, ou plutôt je n'en parlais plus, parce qu'au-delà de deux ou trois ans, cela aurait semblé suspect que je m'entête à vouloir comprendre comment était arrivé l'accident. Un accident dont on n'a jamais expliqué la cause, ce qui fait que mon cerveau n'en a jamais fini de galoper. « (p. 18)

Si Brigitte Giraud n'avait pas eu le Goncourt, je n'aurais probablement pas lu son livre. Je l'avais eu en main plusieurs fois à la médiathèque, et à chaque fois je l'avais reposé. Il me paraissait trop sombre, trop douloureux, trop dans le deuil.
Si mes amis babéliotes ne m'en avaient pas dit beaucoup de bien, j'en serais restée là.
Si j'ai fini par me décider à sauter le pas, c'est aussi en entendant une chronique radiophonique disant que c'était un hymne à la vie. Alors effectivement, ma crainte était infondée, pas de pathos ni de ton larmoyant dans ce récit. Beaucoup de patience, de douceur, de délicatesse dans cette incroyable histoire d'amour entre Brigitte et Claude. Une histoire d'amour telle qu'il semble que l'accident de moto qui a tué Claude s'est déroulé quelques jours avant à peine, tant sa présence est encore vivante dans le coeur de l'autrice. Pourtant, cet accident a eu lieu il y a maintenant plus de vingt ans.
Si, discrètement, à la fin du livre, Brigitte Giraud indique avoir rencontré un nouvel amour, on peine à la croire, tant sa déclaration d'amour à Claude est belle, et son amour intact.
Si ce récit m'a parlé, c'est que ce texte simple porte en lui, fort malheureusement, une part d'universel. Combien de familles dévastées tous les ans par un accident de la route ? Ces familles nous en avons toutes en tête, parfois tout simplement la nôtre… La scie des si, chacun a fait de même avec des phrases pas tellement différentes et beaucoup moins d'imagination quand l'accident survient sans crier gare.
Si j'ai apprécié ce livre dont la lecture a été facile, ça ne sera pas cependant un coup de coeur, il m'a manqué de l'émotion, des mots marquants, il s'oubliera je pense assez vite …
Si vous le permettez, je dédicace ce billet à tous les fantômes auxquels je pense très régulièrement. Avec des si, …. iIs seraient encore là.
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