Ayant beaucoup aimé «
le manteau » et «
le nez », j'avais très envie de continuer à explorer l'oeuvre de
Nikolaï Gogol et je n'ai pas été déçue du voyage.
Voir ce fonctionnaire commencer à interpréter les actes des autres, à entendre parler les chiens, sombrant peu à peu dans un délire de type psychotique, avec des éléments de dépersonnalisation est jubilatoire.
On voit le raisonnement basculer peu à peu ; au départ, on a un homme obsessionnel, dans sa façon de tailler ses plumes ou classer ses documents, avec un journal tenu scrupuleusement qui commence le 3 octobre. Les dates deviennent farfelues après le 8 décembre.
Cela donne par exemple An 2000 puis, 43e jour d'avril ou 86e jour de Martobre. Entre le jour et la nuit et on arrive à : Jo 34e ur Ms nnaée. 349 reirvéF…
A mesure qu'on avance, il n'est plus le petit fonctionnaire, brimé par sa hiérarchie, mais pense être le roi d'Espagne, son délire se structure, la persécution infiltre le raisonnement, le contact avec la réalité s'estompe, tout est sujet à interprétation.
Il est un amoureux aigri et se croit aimer en retour, tenant des propos sur la femme qui ne manque pas piquant : « La femme est amoureuse du diable. Oui, sans plaisanter. Les physiciens écrivent des absurdités, qu'elle est ceci, cela… Elle n'aime que le diable. »
le dialogue avec les chiens est savoureux, (notamment la scène où il va dérober, dans la corbeille du chien les billets écrits par celui-ci), tout comme ses élucubrations sur sa prise de fonction comme roi, ou sa perception de l'asile qu'il croit être son palais.
Nikolaï Gogol a très bien montré les limites floues entre la raison et la folie, comment on bascule insensiblement vers le délire psychotique.
Tout au long du récit, on trouve des réflexions extraordinaires, des perles de lucidité : « L'Anglais est un grand politique. Il essaie de se faufiler partout. Tout le monde sait que, quand l'Angleterre prise, la France éternue. »
J'ai beaucoup aimé cette nouvelle et j'ai du mal à en parler, les mots me manquent, peut-être la peur de déformer la pensée de l'auteur… j'aime son univers, ici on n'est plus dans la drôlerie du « Nez », on a franchi une frontière, on est passé de l'absurde à la folie et
Nikolaï Gogol sait très bien en parler. On remarque, au passage, l'attrait qu'exerce
le nez chez cet auteur…
Note : 9/10
Challenge 19e siècle
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