Traduit par Frédéric Faure et
Hélène Cohen
Textes choisis par
Gregory Masurovsky
Edition illustrée et complétée par Jean-Marc
MasurovskyShirley Goldfarb est une artiste peintre américaine, née en 1925 à Altoona en Pensylvanie. Elle a fait des études d'art dramatique et de théologie juive à New york, travailla à la Art Student League, se maria à
Gregory Masurovsky et déménagea à Paris en 1954, où elle vécut jusqu'à la fin de ses jours dans le quartier de Montparnasse. Quand elle n'était
pas dans son minuscule atelier à peindre, elle affectionnait particulièrement de fréquenter les terrasses du Flore, de chez Lipp, de la Coupole où tout le gratin du Paris bohème de l'époque se retrouvait.
Shriley Goldfarb appartient à la seconde génération d'artistes expressionnistes américains. En traînant aux terrasses des cafés de Saint-Germain-des-Près, elle observe et consigne dans des carnets ses remarques et états d'âme, souvent avec humour, parfois avec amertume. Elle écrit aussi sur la maladie qui la ronge, son combat de tous les jours.
Voir le Paris Bohème des années 70-80 à travers les yeux d'une Américaine m'intéressait. J'avoue, je ne connais absolument
pas l'oeuvre de
Shirley Goldfarb. J'ai effectué un voyage dans la Ville Lumière intellectuelle de l'époque, mais aussi le milieu de la mode. En effet l'artiste a côtoyé
Roland Barthes,
Michel Butor,
Sartre,
Aragon, Giacometti,
Man Ray, Yves Klein, mais aussi
Yves Saint Laurent, Karl Larfeld...
Le paradoxe de tout cela c'est qu'elle est la laissée-pour-compte, à cette époque, du monde de l'art. Elle s'incruste dans les soirées mondaines avec son mari, l'artiste Gregory Marukovsky. Elle se moque aussi de ces mondains qui l'ignorent et consigne les réflexions qu'ils lui inspirent dans son carnet, qu'elle illustre parfois de dessins.
Il y a du
Oscar Wilde et du Godot de
Samuel Beckett chez Shriley Goldfarb. C'est aussi une féministe qui n'a rien à envier à celles d'aujourd'hui. J'ai été saisie par sa modernité et ce qu'elle dit en la matière, est encore (malheureusement) valable aujourd'hui. Elle n'y va
pas de main morte. Elle s'exprime sans filtre, avec
les mots qui lui viennent à l'esprit.
Je lui cède la place :
"Je me bats chaque jour pour marcher librement dans la rue comme un homme."
"Il y a un dingue moustachu et libidineux - aussi laid que le péché ; il s'attaque mentalement à ma personne - me dévisageant lubriquement."
"Par moments j'ai plaisir à vivre à Paris, pourtant la plupart du temps c'est ennuyeux et pesant."
"Etre un observateur de la vie française, ça pue."
"J'aime et je hais les Français, comme un bon Français le devrait, à part que je suis américaine."
"Je vous jure que Paris est une scène de cirque."
"Paris paraît en deuil cette nuit. Une certaine liberté dans les lieux publics, comme le Drugstore, semble disparaître pour toujours... Dieu, comme on se sent en insécurité."
"Il est un petit peu plus d'une heure au Flore. Les snobs et les dandys habituels se reniflent le cul les uns les autres avec autant de délectation que la veille."
"Est-ce vraiment parce que je suis effacée et timide que j'adore observer et ne
pas participer, ou bien est-ce parce que je ne supporterais
pas la plupart des gens que je rencontre ?"
"La prétention des êtres superficiels, vulgaires, médiocres, essayant péniblement et échouant à impressionner. Ils ont tout appris dans les films, seulement ils imitent pauvrement ce qu'ils ont observé. le monde va vers l'ordure fasciste."
"Pauvreté mentale - quelle nouvelle et brillante manière de décrire certaines personnes que je connais."
"La vanité est la force qui motive le plus le comportement des gens.
J'observe que son manque revient à l'autodestruction. Peu de gens peuvent s'offrir le luxe de ne
pas être vaniteux."
"Je ne devrais
pas dialoguer avec la plupart des gens. Avec les génies, oui. Ils sont si peu, hélas !"
"J'aimerais être assez célèbre pour avoir mon image sur un timbre-poste ! (...)"
"Un homme m'a demandé si j'étais un écrivain. Evidemment oui, puisque j'écris dans un cahier."
Jusqu'au bout de sa vie qui lui a été trop tôt retiré par la maladie, ("Le cancer est le nazi dans mon corps", écrit-elle), Shriley Goldfarb a couché sur le papier de son cahier ses pensées, qui sont aujourd'hui un formidable témoignage sur ce Paris disparu.
La lectrice que je suis a pris plaisir à s'asseoir avec elle aux terrasses des cafés et à voir le monde des lettres, des arts et de la mode défiler à travers les yeux de l'artiste à qui personne ne prêtait attention. Une belle revanche posthume puisque ses tableaux valent une fortune et que ses carnets ont été adaptés au théâtre en 1999 par
Caroline Loeb, avec
Judith Magre dans le rôle de Shriley.
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