Bah, bah, bah. Une pièce de
Goldoni, c'est au moins la perspective de se divertir un moment. Alors oui,
Goldoni n'en étant pas tout à fait à son coup d'essai avec
La Famille de l'antiquaire ou La Belle-mère et la bru (bien que quelques vingt-cinq années de carrière fussent encore à venir), on serait mal venu de dire que la pièce est ratée. Mais.
Mais, bien que je n'aie pas lu énormément de pièces de l'auteur - ce serait grandement mentir que de prétendre le contraire, et je préfère encore décevoir ceux qui seraient, pour une raison obscure, fantaisiste et fort improbable, persuadés que je suis un puits de sciences -, je ne crains pas d'affirmer que ce n'est pas la meilleure (je ne manque pas d'air sur ce point, puisque que je me moque allégrement dans les musées des personnes qui disent de façon méprisante d'un petit Monet, sous prétexte qu'il n'est pas le plus connu : "Ce n'est vraiment pas son meilleur tableau." J'ai toujours envie de demander auxdites personnes : "Alors, c'est quoi, son "meilleur" ??? Et si vous citez les Nymphéas, je vous trucide sur place !!!")
L'histoire est simple : un noble, amateur pas du tout éclairé d'antiquités, comme il en fleurissait en Italie ou en Angleterre au milieu du XVIIIème, puis un tout petit peu plus tard en France, se ruine en cochonneries qui ressemblent à ses yeux (et seulement aux siens) à des merveilles dignes d'une collection prestigieuse. Il ruine en même temps sa femme, son fils et sa bru, cette dernière, issue de la bourgeoisie marchande, ayant pourtant apporté vingt mille écus de dot, déjà mangés au début de la pièce par les dettes de son beau-père (et ça ne fait que quatre jours qu'elle est installée dans la famille de son mari, ça promet pour la suite). D'où quelques soucis domestiques, comme on l'imagine. le ressort principal de cette comédie se trouve malgré tout ailleurs : dans l'inimitié que se vouent la belle-mère et la bru,
Goldoni ne craignant pas de donner dans la misogynie pure et dure (on y reviendra).
C'est la première pièce de
Goldoni que je lis et qui nécessite à mon sens d'être lue à haute voix pour que le rythme reste soutenu. La langue française peut difficilement rendre la vivacité de l'italien (c'est d'ailleurs dommage que nous n'ayons pas ici une version bilingue). J'ai beau ne pas lire l'italien, j'ai quand même compulsé la version originale, et on sent clairement la différence. Pour autant, les autres comédies de
Goldoni que j'ai lues étaient aussi traduites en français (puisqu'évidemment je ne lisais pas plus l'italien alors que maintenant), et le besoin de se soucier de la langue d'origine ne se faisait pas spécialement sentir. Cela dit, il faut sans doute préciser que pour cette pièce de 1750, certains rôles étaient pensés pour être joués par des acteurs rompus à l'improvisation, qu'à la création de la pièce
Goldoni a été très déçu du résultat, et qu'il a entièrement réécrits les rôles par la suite. Par conséquent, j'ai l'impression que, comme
Goldoni n'avait pas encore achevé sa "révolution théâtrale" (ou je ne sais plus comment il appelait ça et j'ai la flemme d'aller vérifier l'expression exacte, je viens d'égarer le livre à force de l'avoir trimballé dans toutes les pièces de mon appartement , ah la la), parce qu'il était encore tributaire de la commedia dell'arte alors qu'il tendait à une nouvelle forme de comédie, cette pièce-ci souffre d'appartenir à un entre-deux.
C'est quand même bien composé dans l'ensemble, les personnages sont drôles, les répliques et les situations également, même si, il faut bien le dire, ça tend à se répéter un chouïa et à tirer un brin en longueur. Autant certains gags à répétition ne fonctionnent (et l'un en particulier fonctionne très bien) que parce qu'ils sont assumés en tant que tels, autant certaines scènes ne sont que les épigones d'autres scènes précédentes. Et d'autres scènes perdent de leur efficacité à la lecture, notamment celle où tout le monde entre et sort par deux portes - ce qui n'est pas sans faire penser aux vaudevilles de Feydeau.
Le truc qui m'a franchement gênée, c'est la misogynie affichée, accentuée par un mépris des classes populaires auquel je ne m'attendais pas du tout. Qu'on se moque des femmes aussi bien que des hommes, des domestiques aussi bien que des nobles, pas de souci. J'ai quand même lu sans que ça me perturbe plus que ça Les deux mégères d'Abington (XVIème siècle), qui était déjà pas mal question misogynie. Là, je suis sans doute plus pointilleuse avec La Famille de l'antiquaire parce que, comme je le mentionnais plus haut, le ressort dramatique est presque entièrement dépendant d'un motif misogyne un peu lourdingue, mais également parce que je ne connaissais pas cet aspect de
Goldoni. de même, je ne lui connaissais pas ce mépris de classe qu'il affiche ici ouvertement, alors que dans d'autres pièces, ce sont toutes les classes de la société (vénitienne, en général) qui en prennent pour leur grade. Ici, oui, bon, les nobles sont un peu moqués, mais pas si méchamment que ça, les chefs de famille inconséquents également, mais pas tant que ça, alors que les bonnes femmes et les larbins en prennent plein leur tronche - ne parlons pas du seul personnage qui est à la fois une gonzesse et une bonniche : c'est le mal en personne.
Alors je comprends bien qu'utiliser les ressorts faciles qui marchaient du tonnerre à l'époque ait été très tentant. Il y a un tome des Compagnons du Crépuscule de
François Bourgeon où il est question de ça : au théâtre, il faut bien gagner sa vie, et taper sur les personnes les plus ostracisées par la société, eh ben ça paye (on parle du moyen-âge pour Les Compagnons du crépuscule et du XVIIIème pour
Goldoni, mais c'est la même idée générale). le problème, c'est qu'on a beau prendre du recul, ça n'est pas bien fin, et c'est encore sans compter sur l'apologie un tantinet outrée de la bourgeoisie qui a toutes les qualités, et, partie de rien et à force de travail, a bien mérité d'être riche : le mythe de la bourgeoisie travailleuse et méritante était en marche (oups, j'ai pas fait exprès ! Bon, vous savez ce que
Freud pensait des jeux de mots et des lapsus...) Voilà qui fait perdre de sa force à la critique sociale de la Famille de l'antiquaire. Je pense que ce serait en tout cas intéressant d'étudier cette pièce par le biais de la sociologie - ce que je ne suis pas en mesure de faire (je lance donc un appel à candidatures). de même, ce serait intéressant de la comparer à des pièces comme George Dandin de
Molière, qui traite à peu près des mêmes thématiques, mais plus subtilement.
Je ne pense pas que
Goldoni, qui a composé une bonne centaine de comédies dans sa carrière (sans parler du reste), ait tenté d'être très ambitieux pour cette pièce, et je ne crois pas qu'il faille la prendre comme un modèle du genre. Certes, elle démontre que
Goldoni travaillait à réformer le théâtre italien, certes, elle divertit, mais elle ne vaut clairement pas, du moins à mes yeux, d'autres pièces - je pense très fort à L'Éventail, bien plus fine, plus aboutie, plus... plus tout, quoi. (Et je viens donc de faire comme les gens qui ne citent que Les Nymphéas pour démonter que tel tableau ou tel tableau de Monet n'est pas son meilleur. Argh !!!)
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