« Inexactitudes choquantes, « négligence », « énormités impardonnables », « confusion persistante », « erreur grossière », « manque de sérieux préoccupant »… de telles expressions ne se trouveraient que sous la plume d'un instituteur agacé par la copie d'un cancre. Puisque Mme S., qui dit « avoir passé sa vie à s'occuper de la rigueur historique », s'autorise des jugements sans appel, discréditant mon livre et ma personne (en dépit d'une captatio benevolentiae initiale peu convaincante) je suis obligé de lui répondre et de soumettre ses accusations à ladite rigueur historique.
1° J'indiquais dans un avertissement aux lecteurs que, faute de compétences linguistiques, « la documentation des XVIe-XVIIIe siècles en russe ou en langues baltes ne m'était pas accessible ». Avec un sens assez personnel de la rigueur Mme S. a remplacé « russe » par « slave » et m'a alors reproché d'aborder un monde sans les connaissances linguistiques nécessaires. Or, en dehors du latin et de l'allemand médiéval, je lis le polonais, et j'ai largement utilisé la bibliographie des chercheurs polonais. La lecture précise des notes en fin de volume le démontre.
2° Elle critique ma transcription en français du nom de l'historien du XIIe siècle « Gallus Anonymus » et en a déduit que je pensais que « Gallus » était un prénom. J'ai en effet hésité à rendre ce nom par « le Gaulois /Franc anonyme » ou « L'Anonyme Gaulois/Franc ». Pour faciliter la tâche à des lecteurs qui auraient cherché des informations sur cet auteur j'ai choisi (comme cela se fait dans d'autres ouvrages) de conserver le terme « Gall » et d'éviter « Gallus » qui aurait peut-être paru bizarre (« Gallus l'Anonyme »). Je concède à Mme S. que ce choix n'est peut-être pas le meilleur.
3° A propos de l'idole de la Zbrucz (citée une seule fois). Une faute de frappe a ôté l'article « la » précédant le nom de la rivière. Cela fait partie des coquilles qu'une seconde édition corrigera. « Erreur grossière » et « manque de sérieux préoccupant » ?
4° A propos de la « confusion persistante » que je ferais entre Pomésanie et Poméranie : Mme S. ne m'a pas bien lu. J'ai utilisé « Pomésanie » chaque fois pour désigner le territoire occupé dans la Prusse médiévale par les Pomésaniens et qui devint en effet un diocèse. J'ai utilisé le terme de « Poméranie » pour qualifier l'une des principautés polonaises médiévales. Il est évident que je ne les confonds pas. Si j'inclus la Poméranie orientale dans la Prusse (p. 175) c'est parce que les Teutoniques l'avaient incorporée à leur principauté. Je reconnais en revanche une inadvertance : dans l'appendice consacré aux Sources, la notice consacrée aux Constitutions synodales de 1530, attribuées aux évêques de Sambie et de Pomésanie, comporte dans son titre la mention fautive de « Poméranie » (p. 354), immédiatement suivie de la version correcte « Pomésanie » à propos de l'évêque luthérien Paul Speratus (ainsi que dans les autres mentions de ce texte dans mon livre) ; c'est, là aussi, une simple coquille qui a échappé aux nombreuses relectures. « Enormité impardonnable » en effet.
5° A propos du rôle de l'Eglise orthodoxe dans la conversion des païens que j'aurais négligé. En Prusse il a été, pour des raisons évidentes, inexistant. de même en Livonie, y compris lors de la guerre menée par Ivan IV en 1558. A partir de 1561 la Livonie fut aux mains successivement de la Lituanie, de la Pologne, de la Suède, à nouveau de la Pologne à partir de 1629. En Lituanie, l'essentiel de la christianisation est accompli à la suite de la conversion de Jogaila et Vytautas entre 1386 et 1415/1420. le métropolite de Kiev qui aurait pu jouer un rôle dans la transformation des mentalités païennes vit son siège transféré à Vladimir en 1299 puis à Moscou en 1326. Que les Orthodoxes présents dans le Grand-Duché aient, aux XVe, XVIe ou XVIIe siècles lutté contre les restes de paganisme est possible ; je n'ai presque rien trouvé à ce sujet dans la bibliographie consultée. Si Mme S. a des lectures à conseiller je les accepterai avec plaisir et reconnaissance. En tout état de cause les 4 volumes de sources consacrées à la Lituanie par N. Velius ne contiennent pas de documents sur ce sujet.
6° Mme S. me reproche l'étymologie adoptée pour le dieu Perkunas : « Il semble bien qu'il faille suivre, définitivement, Léger, Vasmer, Fraenkel et Cross, ou plus récemment Blanchet : Perkunas est « celui qui frappe » comme la foudre. « Perkwunos » se rattache en effet à la racine PIE *per- (« frapper »). »
Voici ce que j'écris dans la note 43 p. 392 :
« La racine slave « per », qui signifie « frapper » se retrouve en letton (« pert ») et en lituanien (« perti »). En revanche, selon E. Bojtàr (1999, p. 285), la racine « perk- » ne se rencontre dans les langues baltes que dans le nom de ce dieu, aussi a-t-on parfois été tenté – sans que cela emporte la conviction – de le dériver du latin « quercus », qui désigne son arbre favori, le chêne. » Et k-j'indique à plusieurs reprises que Perkunas est le dieu qui frappe par sa foudre.
Mme S. juge ma remarque « excentrique ». Comprenne qui pourra.
J'ai également mentionné (p. 212), à titre indicatif, que
Régis Boyer voyait une origine commune aux noms de Perkunas et de la divinité Fyörgynn, sans prendre moi-même position sur ce point.
J'aime bien les critiques, lorsqu'elles font progresser.
Sylvain Gouguenheim