Il lui semblait n'avoir pas plus de cervelle qu'un escargot baguenaudant dans les herbes mouillées du fossé. Il connaissait sa propension à se camoufler, à se fondre dans le décor, et il avait compris qu'il devait avant tout se méfier de lui-même… Estève se savait « extrêmement sensible au côté chimérique de la vie », pour reprendre les mots de l'écrivain
Thomas Mann.
Oser interpeller
Dali… ? Il le fit !
Le Maître fronça le sourcil, prit entre deux doigts le croc d'une de ses moustaches qu'il lissa lentement, longuement puis, écrasant le garnement d'un regard aussi noir qu'un essaim de mouches s'abattant sur sa proie, il le piqua au milieu du front :
- « Sachez, jeune homme, que la seule différence entre un fou et moi, c'est que je ne suis pas fou ».
Avec ses hautes chaussettes victoriennes et ses moustaches relevées,
Salvador Dali était une drôle de bestiole qui avait des racines sous les pieds, et des antennes à la commissure des lèvres, ce qui n'était pas pour déplaire à Cosme Estève, bien au contraire.
A défaut d'antennes, Estève, lui, pouvait se reposer sur sa boussole et son aiguille magnétique pointée vers le Nord… Les aiguilles n'indiquaient pas seulement les points cardinaux, elles étaient également tournées vers lui, vers l'intérieur de lui-même, et l'aidaient à ne pas se perdre complètement.
Estève avait l'impression de ne plus rien avoir là… En tous cas, plus rien de vivant. C'est comme si, transformé en poulpe, on lui avait demandé de continuer à se mouvoir, amputé de ses tentacules.
N'importe quel lieu pouvait subitement se transformer en labyrinthe. N'importe quel couloir se métamorphoser en corridor, en galerie sombre et sans issue…
Didier Goupil pousse le lecteur dans un pot de glu, l'enfonce dans le couloir sans fin d'un être au cerveau calculateur, obsédé, privé de tout, même de l'essentiel. Kafka souffle au lecteur que « la métamorphose » n'est plus loin…
Quand une plume flirte avec un pinceau, l'exercice peut se révéler léger et volage. C'est sans compter sur le pouvoir d'un des deux arts. de la manipulation à la complicité… laquelle dirige lequel…
C'est toute la subtilité du roman de Didier Goupil qui laissera au lecteur le choix de ré-magnétiser les choses…
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