Avant de vous parler du contenu de ce livre, j'ouvre une petite parenthèse sur sa couverture.
Grâce à la revue Dada (voir ma critique "Black is beautiful"), ce visage noir presque princier et en tenue d'apparat ne m'est pas inconnu : il s'agit du jeune Zamor "capturé par des marchands d'esclaves à l'âge de 11 ans, et vendu à Louis XV en 1773." L'artiste, Hyacinthe Rigaud "a peint avec raffinement son somptueux costume de satin. La vie à Versailles, pourtant, ne lui épargne pas les humiliations : on se moque de lui, on le traite comme un jouet exotique. Pire, il reste, malgré son instruction (il a appris à lire et à écrire et se passionne pour la philosophie) et son intelligence, un esclave. C'est ce que vient rappeler, avec cruauté, le collier doré qu'il porte autour du cou..." Ce dernier détail n'a pas manqué de me nouer la gorge lorsque je l'ai lu, lorsque alors j'ai fixé ces fers indignes. Je voulais donc rendre à ce jeune-homme qui a existé, le visage humain qu'il mérite en partageant ce commentaire avec vous.
La quatrième de couverture, quant à elle, nous laisse à penser qu'il est question d'une histoire d'amour à la guimauve dégoulinante "elle est en train de s'éprendre follement d'un bel esclave aux yeux de braise qui semble partager ses sentiments..." description qui en soi me ferait déguerpir loin dès la fin de la phrase, mais il n'en est rien en réalité. Ne vous attendez pas à de la mièvrerie, car si des passages romantiques sont présents, l'histoire est avant tout celle de l'esclavage.
A maintes reprises, j'ai eu l'impression de suffoquer, un couteau planté dans le coeur, tant certaines choses qui nous sont contées sont insupportables. L'auteure écrit de façon remarquable et bouleversante, avec éloquence et fluidité, car nous évoluons aux côtés des personnages, comme des témoins de leur histoire.
Le roman, qui se situe dans la ville de Bristol en Angleterre fin du 18e siècle, nous parle de Frances, unie par un mariage de raison avec Josias Cole, un négociant obnubilé par son ascension sociale et économique, qui fait de la traite négrière.
Dans la mentalité de cette époque, les "nègres" sont des marchandises et il est plus que subversif d'avoir des idées libérales et de se revendiquer abolitionniste, tel le bon docteur Hadley,... Frances, elle, ne prendra que petit à petit conscience de l'humanité de ces Africains arrachés à leur terre et de la cruauté de la traite. Il faut dire que Mehuru, au rang prestigieux dans son pays, la trouble dès le départ. Il est différent...
Le livre est aussi riche de ce qu'il nous fait voir de la condition de la femme qui finalement n'est qu'une pauvre chose elle aussi, même si bien sûr son sort n'est pas à comparer.
A la croisée des chemins entre "La case de l'oncle Tom" et "La colline aux esclaves" avec une touche d'amour interdit, "
Les enchaînés" se lit avec un intérêt dévorant. Seuls les passages sur les affaire commerciales de Josias Cole incessamment radotées par Sarah, sa soeur aigre aux idées conservatrices, ralentissent le souffle de la narration. Mais, je soupçonne l'auteure de nous imposer ces trêves intentionnelles dans le but de nous captiver plus encore quand viennent les passages sur l'esclavage et les amours contrariées de ses héros. Qu'importe, on se laisse prendre avec plaisir !