A Zurich, connaissez-vous « Die drei Brüder » ? Mais si, voyons ! C'est un établissement réputé, dont le caractère de phacochère du patron aurait fait fuir la clientèle depuis longtemps s'il s'était trouvé dans les parages une brasserie de petite restauration de la même qualité… Ses toasts au crabe sont simplement divins ! N'hésitez pas à en commander si vous passez par-là ! Et puis, le deuxième atout de cette entreprise est la jeune et très jolie serveuse… Ah, Martha ! La blonde et délicieuse Martha qui apporte le sourire à ces hommes, plus nombreux que les dames à fréquenter l'établissement. Mais Martha sait changer d'aspect lorsque ces messieurs sont accompagnés de dames… Martha qui boutonne plus haut son chemisier, qui évite de trop se pencher en servant à table et qui baisse les yeux, toute en discrétion… Mais pourquoi, est-ce que je vous parle tout ça, moi ? … Ah, oui, un client fidèle, qui venait souvent accompagné d'une femme plus jeune que lui, âgée de 50 ou 60 ans, s'est effondré aujourd'hui alors qu'il savourait son plat. Les secours n'ont rien pu faire pour le ramener à la vie. Vu son costume trois pièces, ne connaissant pas son nom, Martha l'avait surnommé le « banquier », ce qui n'aurait rien eu d'étonnant dans une ville suisse telle que Zurich ! Chose étrange, la femme qui était avec lui disparut, sans payer, après que le corps de son « compagnon » eut été transporté à l'hôpital. Ils ne portaient pas d'alliance, ces deux-là. Martha pouvait donc supposer qu'ils n'étaient pas mariés… Pourtant, à voir leur comportement, on aurait pu les prendre pour un vieux couple de mariés ou pour des amants de longue date. le « banquier », malgré son âge, était un homme actif ! Dès qu'il s'attablait, il sortait un petit carnet noir en cuir qu'il remplissait d'une petite écriture régulière ? Exclusivement écrite au crayon…
Critique :
Comme toujours avec l'écriture de
Francis Groff, on visualise très bien la scène et on apprécie les petites descriptions pleines de sous-entendus : « Envers les épouses ou les compagnes de ces messieurs, Martha adoptait une stratégie tout empreinte de discrétion, gardant les yeux modestement baissés avec les unes, flattant les autres pour un bijou ou un nouveau vêtement. »
Une petite phrase permet de comprendre une bonne partie de la psychologie du personnage : « La jeune femme avait compris qu'un sourire en coin ou une main qui s'attarde sur le bras d'un vieux mâle en tweed sont autant d'adjuvants pour un pourboire digne de ce nom. »
Le roman se nourrit d'un humour très second degré : « Mais sans être devin, je crois que vous allez au-devant de tracas administratifs à côté desquels le calvaire du Christ était une aimable plaisanterie. »
Mais
Francis Groff ne nous entraîne pas dans un roman social ou une étude de moeurs (encore que) ! Il nous propose ici un roman d'espionnage. Ah, la Suisse ! Un pays qui convient si bien à cette activité hautement stratégique ! Il n'y a pas que les banques, le chocolat et les montres, tonnerre de Dieu ! Pourtant, son héros n'est pas le salarié d'une des nombreuses agences américaines de renseignements.
Paul Krueger est un professeur qui enseigne le journalisme à l'université de Memphis. Mais, non ! Qu'allez-vous imaginer là ? Non, son métier de professeur d'université n'est pas une couverture ! A mon avis, vous regardez trop de films d'espionnage.
Paul Krueger un espion ? Non ! Non ! Et non ! … Par contre, son paternel, Jim, mort carbonisé dans un incendie d'un cinéma de Berne en février 1977, c'était autre chose ! Lui, qui avait des aptitudes au déchiffrement, avait commencé une carrière dans le monde des services secrets en 1943 en Angleterre pour le compte des alliés… Carrière qui s'était poursuivie sous d'autres formes après la guerre. Il bénéficiait d'une couverture d'une soi-disant entreprise travaillant l'acier et il était régulièrement amené à se rendre en Europe, maîtrisant parfaitement la langue allemande, langue de ses parents ayant fui le nazisme à l'arrivée d'Hitler au pouvoir.
Le pauvre
Paul Krueger, qui n'a rien d'un James Bond, va être entraîné dans une aventure qui le dépasse et qui pourrait lui coûter cher ! Très cher !
Quel dommage que ce roman, pourtant très récent, soit si mal diffusé ! Il mériterait de connaître un bien meilleur sort tant il me fut agréable de le lire. Inutile de dire que le passé de
Francis Groff, journaliste d'investigation, aide à créer un contexte des plus plausibles… Qui viendra nourrir les thèses des complotistes apportant une pierre de plus à leur édifice…