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Vie et Destin offre une peinture réaliste de la société russe et de la très rude bataille de Stalingrad. Cette lecture ardue nécessite du temps mais cet effort en vaut la peine car il aide à mieux comprendre le monde et, en particulier, la Russie.
Vie et Destin marque un tournant dans la pensée philosophique et politique de Vassili Grossman. Fervent communiste et partisan du régime soviétique dans Pour une juste cause, il analyse désormais la dérive totalitaire de Staline, qui n'a rien à envier à celle d'Hitler et du national-socialisme, et dont on trouvait déjà des bribes dans la pensée de Lénine. Cette prise de conscience le fait basculer dans le camp des opposants qui sont appelés "les ennemis du peuple ", il craint d'être arrêté, son manuscrit est saisi par le KGB, la police politique, et ne sera sauvé que grâce à l'action de quelques hommes de bonne volonté, désireux de sortir de cet enfer qu'est le totalitarisme. Vassili Grossman montre, d'une manière inacceptable pour les autorités, la convergence entre les systèmes nazi et soviétique (camp de concentration/goulag, police politique : Gestapo/KGB, nationalisme d'État, élimination des minorités et des opposants grâce à la terreur et la répression). Sa réflexion rejoint celle d'Hanna Arendt sur la banalité du mal qui se nourrit de la peur individuelle, légitime lorsque règne ce genre d'ambiance effrayante.
Le personnage de Strum, physicien nucléaire, est isolé car ses recherches sont accusées d'être de la physique juive, occidentale, qui contredit les travaux du maître à penser, Lénine. Puis, lorsque Staline l'appelle, il retrouve son poste et ses amis, ne risque plus d'être arrêté. Alors qu'il avait toujours été courageux, il accepte de signer une lettre qui nie les exactions commises envers des scientifiques et les arrestations arbitraires. Il a honte de sa faiblesse et est tourmenté. Pour Vassili Grossman, le régime soviétique, en détruisant la liberté, a fait régresser son pays et restauré une servitude identique à celle de la Russie des tsars et des serfs. Il s'interroge sur la nature pernicieuse des idéologies, surtout celles qui ont pour but le Bien de l'humanité et sont érigées en systèmes dogmatiques qui font sombrer l'Homme dans la barbarie. Que reste-t-il après un tel chaos, à part l'espoir incertain que la bonté humaine parviendra à vaincre, malgré tout, ces entreprises de déshumanisation ?
Ce roman m'a bouleversée. Il est, pour moi, un des chefs-d'oeuvre du XXe siècle. Il est à la fois un témoignage rare et poignant de la Shoah en Europe de l'Est et de l'univers totalitaire dans lequel des milliers de personnes, en U.R.S.S., ont été obligées de rester enfermées et de survivre. Certains passages m'ont durablement marquée : les descriptions horribles de ce que les historiens ont appelé « la Shoah par balles » et plusieurs dialogues, expressions des tourments philosophiques et politiques de l'auteur.
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« Vassili Grossman traduit les réalités du nazisme par des équivalents soviétiques familiers au lecteur (…) Il s'est passé chez eux la même chose que chez nous.»
Luba Jurgenson

« Il s'est passé chez eux, dans l'Allemagne nazie, la même chose que chez nous, dans l'Union soviétique ». Rien que pour cela, rien que pour cette analogie profondément iconoclaste et dérangeante encore aujourd'hui, sans parler de sa puissance disruptive dans l'URSS du début des années soixante où une telle parole était rigoureusement interdite et durement sanctionnée, rien que pour cela, donc, ce livre profus, fourmillant d'une myriade de personnages que le lecteur peine à relier entre eux ou à l'intrigue, dont la construction narrative saccadée, faisant se succéder à un rythme d'enfer la puissance de feu de la bataille de Stalingrad à la mort par asphyxie dans une chambre à gaz, l'attente d'une offensive improbable dans la poussière des steppes kalmoukes à la peur insidieuse, honteuse des moscovites traqués par la tchéka, ce livre épique, ample fresque historique, philosophique, sociologique, psychologique parfois difficile à suivre, vaut véritablement la peine d'être lu.
Rien que pour cela. Pour le démontage patient, rigoureux, scientifique des mécanismes des systèmes totalitaires auquel se livre l'auteur afin d'en exhiber l'implacable logique. Établissant un parallèle entre les ravages de la collectivisation dans les années trente avec sa litanie de famines, de déportations, ses millions de morts et l'extermination massive des Juifs d'Europe, entre les grandes purges staliniennes de 1937 et la Nuit des longs couteaux, ou encore entre les camps de concentration nazis et le Goulag, Grossman n'en finit pas de confronter l'un à l'autre régime dans un vertigineux jeu de miroirs particulièrement sinistre.
Il pousse très loin l'analogie, allant jusqu'à renvoyer dos à dos le « Bien » poursuivi par les nazis, assis sur la distinction de race, et le « Bien » poursuivi par les soviétiques, assis sur la distinction de classe. le propos de Grossman, qui, inexorablement ramené à sa judéité à mesure que la haine et l'antisémitisme submergeaient l'Est de l'Europe, exterminant les siens, en premier lieu sa mère restée en Ukraine, n'est certainement pas d'établir une stricte équivalence entre les « idéaux » (du point de vue de leurs promoteurs) poursuivis par les deux régimes. Ce qu'il pointe en revanche, et ce sans la moindre ambiguïté me semble-t-il, c'est que vouloir soumettre l'homme à une Idée, quelle qu'elle soit — autrement dit, dans son cas à lui, Grossman, que cette Idée lui parût noble et vertueuse (l'idéal communiste) ou parfaitement monstrueuse (l'idéal nazi) — conduit invariablement au même résultat : des millions de morts.
Car dès lors qu'on « sacrifie l'homme concret à une conception abstraite de l'homme », on verse inévitablement dans le fanatisme et la terreur :
« J'ai pu voir en action la force implacable de l'idée de bien social qui est née dans notre pays. Je l'ai vue au cours de la collectivisation totale; je l'ai vue encore une fois en 1937. J'ai vu qu'au nom d'une idée du bien, aussi belle et humaine que celle du christianisme, on exterminait les gens. »

Rien que pour cela, donc. Et même si ce livre foisonnant aurait gagné, à mes yeux, à être mieux équilibré entre la part dévolue au récit épique, aux réflexions stratégiques, militaires, philosophiques, scientifiques et la part ressortissant aux personnages, à leur ressenti, à leurs émotions, à leurs interactions, suivant en cela le modèle du genre, Guerre et paix dont Grossman disait s'être inspiré, je ne regrette pas le voyage.
D'autant que je n'étais pas seule, accompagnée dans ce périple au long cours par mon complice indéfectible, Bernard (@Berni_29). Rien que pour cela…
Cela dit, Vie et destin est bien plus qu'un roman à idées (aussi approfondies et originales soient-elles), bien plus qu'une fresque historique (aussi ambitieuse soit-elle), bien plus qu'un récit de guerre avec pour épicentre la bataille de Stalingrad. Il est également un roman d'introspection. Non parce que l'auteur s'y livrerait à une confession. Mais parce que, puisant dans sa biographie des éléments propres à nourrir sa réflexion, il fouille, explore l'âme humaine jusque dans ses tréfonds, mettant au jour ses contradictions, ses faiblesses, ses hontes, ses peurs et parfois aussi, sa grandeur. Non pour juger, mais pour comprendre. Qu'il évoque l'insondable douleur d'une mère face à la perte de son fils unique, les tiraillements d'une femme passionnée écartelée entre le devoir et l'amour, le décillement d'un communiste de la première heure confronté à l'arbitraire d'un régime absurde, ou les compromissions honteuses d'un physicien juif de renom, cela sonne toujours juste.

Grossman sait, pour l'avoir vécu dans sa chair et dans son âme, que les ressources de la tyrannie sont infinies et que la liberté humaine est fragile.
« La tristesse, le dégoût, le pressentiment de sa docilité l'envahirent. Il sentait sur lui le souffle tendre du grand État et il n'avait pas la force de se jeter dans les ténèbres glacées… Il n'avait plus de force du tout. Ce n'était pas la peur qui le paralysait, c'était autre chose, un sentiment terrifiant de soumission. »
Il sait, pour avoir assisté, impuissant depuis Moscou, à l'assassinat de sa mère, exterminée avec tous les Juifs de Berditchev en septembre 1941, que ce qui domine chez l'homme, ce n'est pas la révolte et la résistance, mais la résignation et la soumission. Chez les bourreaux comme chez les victimes.
« Bien sûr, il y eut la résistance, il y eut le courage et la ténacité des condamnés, il y eut des soulèvements, il y eut des sacrifices, quand, pour sauver un inconnu, des hommes risquaient leur vie et celle de leurs proches. Mais, malgré tout, la soumission massive reste un fait incontestable. »
Sans doute avait-il compris que la soumission, davantage que la haine ou les bas instincts, est l'auxiliaire zélée du mal, comme l'a magistralement montré Hannah Arendt lors du procès d'Eichmann à Jérusalem, que c'est elle, l'écoeurante soumission, la meilleure alliée de la tyrannie. Que les régimes totalitaires, s'il leur arrive de s'appuyer ça et là sur une poignée de psychopathes, peuvent avant tout compter sur la résignation du plus grand nombre et le zèle de petits hommes médiocres et opportunistes agissant comme des automates :
« Eichmann n'était ni un Iago ni un Macbeth, rien n'était plus éloigné de son esprit qu'une décision, comme chez Richard III, de faire le mal par principe. Mis à part un zèle extraordinaire à s'occuper de son avancement personnel, il n'avait aucun mobile. Et un tel zèle en soi n'était nullement criminel, il n'aurait certainement jamais assassiné son supérieur pour prendre son poste. Simplement, il ne s'est jamais rendu compte de ce qu'il faisait. »

Pour autant, la lucidité de Vassili Grossman — une lucidité qu'il paya au prix fort puisque tous ses manuscrits, tous ses brouillons furent confisqués par le KGB et qu'il mourut sans savoir ce qu'il était advenu de son oeuvre maîtresse — jamais ne verse dans l'amertume.

Jusqu'au bout, il conserve sa foi en l'homme.

« J'ai trempé ma foi dans l'enfer. Ma foi est sortie du feu des fours crématoires, elle a franchi le béton des chambres à gaz. J'ai vu que ce n'était pas l'homme qui était impuissant dans sa lutte contre le mal, j'ai vu que c'était le mal qui était impuissant dans sa lutte contre l'homme. le secret de l'immortalité de la bonté est dans son impuissance. Elle est invincible. »

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Vertigineux ! Un livre à lire au moins une fois dans sa vie. Au moins … Il est tellement foisonnant et bouillonnant qu'une relecture apporterait, j'en suis persuadée, un plaisir égal et un regard encore plus incisif. Si ce livre avait pu paraître en 1960, du vivant de l'auteur, il aurait déclenché une gigantesque déflagration. Encore aujourd'hui, il n'a rien perdu de sa force.

Ce qui est frappant par rapport au premier volet (Pour une juste cause), c'est qu'il s'agit pour ainsi dire d'un miroir inversé : alors que dans le premier volet, l'élan patriotique, l'espoir, le triomphe de la liberté s'amplifient à mesure que l'armée russe recule, dans Vie et Destin, c'est au contraire les doutes et les désillusions qui s'intensifient à mesure que l'armée russe progresse ; l'armée ou le Parti…

A travers une multitude de personnages, l'auteur s'interroge et interroge sur ces formes d'Etat-parti qui étouffent la liberté pour assoir leur emprise. La convergence qu'il établit entre les régimes nazi et communiste est admirablement amenée ; les mécanismes de la délation, de la terreur, de la soumission sont également évoqués avec une effrayante acuité.

Mais c'est aussi et surtout une aventure humaine qui grouille de points de vue, d'aspirations différentes. Elle raconte des hommes, des femmes, des enfants de toutes les classes sociales, dans des camps allemands et russes, dans des villages et des villes, des soldats, des colonels, des membres du comité, des civils, sur le front ou à l'arrière, des bolchéviques, des tchékistes, des léninistes, des anciens propriétaires terriens, des Allemands, des Russes, des Juifs, des Ukrainiens, des Tatars, des Kalmouks, des personnes ayant la confiance du parti et d'autres ne l'ayant pas etc. jusqu'à ce passage hallucinant sur le regard d'un gamin dans une chambre à gaz. J'en ai encore des frissons ! Elle raconte la vie qui continue envers et contre tout avec ses joies et ses souffrances. Cette diversité de regards apporte selon moi une force incommensurable à ce livre.

Si Vie et Destin est souvent comparé à La Guerre et la Paix de Tolstoï – Et pour cause : il s'agit là aussi d'une fresque historique à hauteur d'hommes mettant en scène une famille et ses nombreuses ramifications autour de batailles emblématiques (la campagne de Russie de 1812 pour l'un, Stalingrad pour l'autre), mêlant personnages fictifs et réels et considérations philosophiques – j'ai plutôt eu le sentiment que Vassili Grossman se revendiquait davantage de Tchekhov. (Il va me falloir le lire !)

Ainsi quand, Madiarov, l'un des personnages de Vie et destin, s'exclame « La voie de Tchekhov, c'était la voie de la liberté. […] Tchekhov a fait entrer dans nos consciences toute la Russie dans son énormité ; des hommes de toutes les classes, de toutes les couches sociales, de tous les âges… Mais ce n'est pas tout ! Il a introduit ces millions de gens en démocrate, comprenez-vous, en démocrate russe. Il a dit, comme personne ne l'a fait avant lui, pas même Tolstoï, il a dit que nous sommes avant tout des êtres humains ; comprenez-vous : des êtres humains ! », c'est selon moi précisément l'intention de Vassili Grossman : dire simplement, sincèrement les êtres humains.

Mais, d'après moi, ce qu'il montre aussi, c'est que les hommes ne changent pas. Ce sont les circonstances qui, elles, changent et exhortent ce qu'ils avaient déjà en eux. Strum est sans doute l'un des personnages qui va le plus se révéler à lui-même et je me suis demandé, vu les similitudes avec le parcours de l'auteur, si ce n'était pas une projection de son double.

J'ai malgré tout retiré une demi-étoile en raison de la structure éclatée du roman, celle-là même qui m'avait tant dérangée dans le premier volet et qui a continué à me déranger par intermittence dans la première partie de ce volet-ci. Encore que, en refermant le livre, j'ai hésité à la retirer car cette construction est sans doute autant une force qu'une faiblesse, à l'image de la diversité des hommes qu'elle fait vivre.

Vous l'aurez compris, ce livre est monstrueux autant que magnifique.
Monstrueux, car il nous fait toucher du doigt avec une justesse de ton effarante et une puissance évocatrice saisissante ce qu'est la vie en temps de guerre sous un régime totalitaire.
Magnifique, car la confiance en l'homme de l'auteur transpire entre les lignes, elle est là en filigrane, impuissante mais inébranlable. Elle se manifeste dans la bonté humaine, celle de la vie de tous les jours, une « bonté sans témoins, une petite bonté sans idéologie. » Une « bonté folle » comme la nomme encore Vassili Grossman. « C'est la bonté d'une vieille, qui, sur le bord de la route, donne un morceau de pain à un bagnard qui passe, c'est la bonté d'un soldat qui tend sa gourde à un ennemi blessé, la bonté de la jeunesse qui a pitié de la vieillesse, la bonté d'un paysan qui cache dans sa grange un vieillard juif. » Un grand moment de lecture en ce qui me concerne.
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« Pour s'implanter, le totalitarisme a besoin d'individus isolés et déculturés, déracinés des rapports sociaux organiques, atomisés socialement et poussés à un égoïsme extrême. » Hannah Arendt

Vie et destin : deux mots qui se juxtaposent dans un titre qui invite à l'universalité.
Vie et destin est un roman autour de la célèbre bataille de Stalingrad entre 1942 et 1943. Pourtant, dans cette fresque monumentale, ce n'est pas à un roman de guerre que nous convie Vassili Grossman.
Ce fut un moment crucial dans l'histoire soviétique voire mondiale, en effet la bataille de Stalingrad fut tout d'abord une sévère défaite de l'Armée rouge puis dans un second temps la victoire déterminante russe prenant à revers les forces allemandes et qui fut décisive pour le cours de l'histoire, le destin du monde et de l'humanité.
La fin de la guerre, la défaite du nazisme, la paix retrouvée, un renouveau possible, tout ceci fonda un immense espoir pour le devenir démocratique de l'URSS. Stalingrad, c'est le mythe de la grande guerre patriotique, fondatrice, qui survit encore aujourd'hui dans le désir de Poutine de réunifier la grande Russie.
Comment décrypter l'envers sombre du décor sans contester immédiatement les espoirs de justice et de démocratie puisque nous allions vers des lendemains qui chantent, même si plus tard ces lendemains déchantèrent très vite ? Dans l'histoire de la Russie, les souffrances et des humiliations d'un peuple furent effacées au profit de la gloire russe.
Écrit sous Staline, publié sous Khrouchtchev, saisi par le KGB, ouvrage séquestré, mutilé par la censure durant plusieurs années, ce livre a aussi une histoire, appartient à l'histoire. Il est vrai que Vassili Grossman n'y va pas par quatre chemins.
Ce n'est pas qu'un roman de guerre, cela ressemblerait plus à un roman à thèse, le récit de deux totalitarismes qui se sont affronté en face à face, sous deux formes de destruction de l'humanité.
Entre le nazisme d'Hitler et le bolchévisme de Staline, il y a bien une différence nous dit Vassili Grossman : d'un côté un fanatisme de race, de l'autre un fanatisme de classe. de quel espoir peut-on parler si deux régimes finissent par se ressembler tels des miroirs, se renvoyant une image effroyablement identique ? de quelle délivrance peut-on parler si à l'instant même où l'un des adversaires écrase l'autre, on s'aperçoit brusquement qu'ils sont jumeaux.
C'est cette polarité qui vient donner tout le sens du roman : cette question d'un totalitarisme partagé qui enjambe la tragédie d'un siècle de feu et de sang. Comment le XXème siècle a-t-il pu engendrer deux formes si différentes et si semblables, de totalitarisme exterminateur ? Et comment ce totalitarisme a-t-il pu se poursuivre jusqu'au XXIème siècle, jusqu'aux porte de l'Europe ? Qui en porte la responsabilité ?
Ce parallèle entre le dessein du nazisme dans son objectif d'extermination du peuple juif et le totalitarisme soviétique peut paraître hasardeux, il apparaît dès le début du texte et va porter l'ensemble du récit dans un roman choral où différentes voix parfois d'une même famille russe s'entremêlent, mais qui nous fait entendre aussi celles de soldats allemands.
C'est un très long roman qui dresse un panorama édifiant du fonctionnement de la société soviétique en nous plongeant dans l'intimité d'une multitude de personnages, tous complexes, dont les parcours entrecroisés se heurtent à l'histoire dans une période marquée par les deux grands crimes produits par le totalitarisme du XXème siècle, Auschwitz d'un côté et le Goulag de l'autre.
Le livre se déroule sur plusieurs niveaux de réalité. Au centre de l'histoire, on y trouve la famille Chapochnikov, on fait ainsi connaissance avec les deux soeurs Evguenia et Lioudmila à travers leurs destins si dissemblables, mais aussi celui du personnage de Victor Strum, physicien atomiste, théoricien de talent qui voit s'abattre sur lui le fléau d'un antisémitisme que jamais il n'aurait imaginé, tant cela paraît si absurde dans une société dite « socialiste », donc vouée au bien de toutes ses populations. J'ai aimé venir à la rencontre de ce personnage presque insaisissable, traversant le livre, traversant la guerre, se révélant à lui-même, à son destin, à l'amour de Maria Ivanovna. D'autres histoires d'amour s'entremêlent dans le désastre du monde, comme celle d'Evguenia Chapochnikov et du colonel Novikov.
Sur cette scène tragique de l'histoire mondiale, Vassili Grossman fait entendre le peuple, à travers le point de vue de quelques personnages essentiels, en nous faisant déambuler parmi chacun d'eux, capter un regard, une attitude, un geste, corps après corps, tout ceci donne le sentiment du monde, la sensation qu'on rencontre ici le monde, qu'on rencontre un peuple.
Le lecteur doit prendre son courage à deux mains et accepter de se plonger dans un océan de près de mille deux cents pages où il sera emporté comme dans un fleuve, où il se perdra, où il entrera dans des maisons, des laboratoires de physique nucléaire, des usines, dans des camps de concentration, au seuil des chambres à gaz, où il abordera le front de Stalingrad, l'emprisonnement de l'étau allemand, le huis-clos d'une maison acculée et qui résiste dans des conditions totalement ubuesques, où il sera invité à converser avec toute une myriade de personnages dont il oubliera les noms à peine la lecture achevée.
C'est une diversité des voix qui composent Vie et destin, que l'on peut voir aussi comme un roman psychologique, éclairant les ressorts de l'âme de ses protagonistes, leurs contradictions, leurs interrogations et leurs évolutions, avec beaucoup de finesse. À la question obsédante de savoir comment survivre, certains expriment le courage, d'autres l'angoisse, d'autres la lâcheté, d'autres enfin la tendresse ou l'amour… Dans un désir d'honnêteté intellectuelle qu'on peut saluer, Vassili Grossman nous livre une peinture sans concession de l'âme humaine face à la violence de l'État qui broie l'intime des vies individuelles, transformant ces vies en êtres méprisants, il va très loin dans la manière de visiter l'être humain dans ses turpitudes, mais il ne juge jamais, se contentant de dire jusqu'où celui-ci peut aller lorsqu'il est acculé, dos au mur face à la barbarie.
Montrer l'individu au milieu de la foule m'a rappelé une certaine tradition tolstoïenne de l'épopée. Même si l'histoire est centrée sur une famille en particulier, les Chapochnikov, j'ai trouvé que la difficulté du roman tenait à la profusion des personnages dont aucun n'émerge en définitive, insuffisamment creusés, j'ai déploré que les histoires d'amour ne soient pas suffisamment incandescentes pour me transporter, l'écrivain s'intéressant davantage au propos idéologique qu'il développe tout au long du livre. Des personnages entrent en scène chapitre après chapitre, leurs destins se croisent dans le fracas de la guerre et le malheur du monde : l'incompréhension, le désir de liberté, la résistance, les trahisons, les lâchetés, la prison politique, la torture, l'humiliation des procès, l'exil en camp de concentration, l'enfermement dans un ghetto, la mort. Les amours clandestines suscitées par les méandres de la guerre deviennent des citadelles fragiles. Vassili Grossman n'a pas le génie littéraire de Léon Tolstoï, malgré le désir de poser un souffle romanesque et Vie et destin n'atteint pas, selon moi, la grandeur inégalable de Guerre et Paix. La qualité littéraire du propos de Vassili Grossman manque au rendez-vous de cette immense fresque.
J'ai pourtant rencontré des passages bouleversants qui disent le sens et la dignité du roman, la lettre émouvante d'une mère à son fils blessé sur le front… Plus loin, cette femme qui mourra dans un véritable sentiment maternel, serrant tout contre elle un enfant qui n'est pas le sien mais le devient dans ce mouvement brownien qui mène une foule à la chambre à gaz… Puis tout à la fin du récit, ces deux amants qui doivent renoncer à leur liaison après la guerre, sans que le sentiment d'amour ne s'efface pour autant…
Le nazisme, c'est le mal absolu dans la quintessence de l'horreur, cela ne peut être contesté. Dire que le communisme est semblable est une démarche audacieuse. Dans cette analogie, Vassili Grossman va très loin. Dans sa genèse, le communisme était une belle idée, tout comme le christianisme : aider son prochain, mais dans une vision absolument collective. Même si à l'origine c'est une idée au service du bien, c'est le mal qui advint. de même, l'idéologie du nazisme convoquait Dieu pour justifier une forme de bien pour l'humanité. Beaucoup de personnes ne peuvent pas encore recevoir cela.
Tout ce mal qu'on fait pour tenter le bien… le combat au nom d'un bien universel fait du mal car il sacrifie l'humain, c'est le propos du livre. Mais en contrepoint de cette volonté d'un bien qui produit du mal, Vassili Grossman nous parle aussi à plusieurs reprises de bonté. À chaque fois, la bonté prend le visage d'une femme, d'une vielle femme d'ailleurs ? Faut-il y voir un signe, un message ?
Il y a encore des fulgurances de bonté possibles, malgré tout. Des endroits existent, dans les pages de ce livre, où se terre une foi dans l'humanité, malgré le mal, dans le visage de ces femmes notamment… Cette bonté privée d'un individu à l'égard d'un autre individu, parfois à l'égard d'un ennemi blessé qu'une vieille femme va nourrir, va soigner alors que la guerre a fauché ceux qu'elle aimait, une bonté sans témoins, une petite bonté sans idéologie, cette humanité qui ne fait pas de bruit. On pourrait la qualifier de bonté sans pensée. La bonté des hommes hors du bien religieux ou social, intimé, ordonné, absolu, qui se termine parfois dans le sang… J'ai aimé me laisser séduire par ce propos.
On dit que ce roman a changé une certaine vision du monde.

« L'État fasciste soutient le médiocre contre celui qui pense, l'incapable contre le talentueux. » Jeliou Mitev Jelev, le Fascisme

Je remercie une fois encore ma fidèle complice Anna (@AnnaCan) qui m'a accompagné dans cette lecture d'une oeuvre magistrale et qui ne fut pas toujours un long fleuve tranquille.
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Dans la plupart des appréciations critiques, dans les très nombreux commentaires de lecteurs de VIE ET DESTIN, certaines expressions semblent revenir régulièrement : « monument de la littérature du XXème siècle », « oeuvre majeure », « fresque monumentale », « chef d'oeuvre de la littérature russe moderne », « Guerre et Paix du XXème siècle »...
Alors moi, en rédigeant cette 70ème critique ici à Babelio, je me dis que je ne saurai certainement pas trouver d'autres adjectifs, d'autres superlatifs pour mieux exprimer, avec la plus grande humilité dont je pourrais faire preuve en tant que lecteur, mon sentiment profond d'avoir été confronté en lisant VIE ET DESTIN à quelque chose de véritablement.. monumental!

Monument à quoi exactement ? A l'Homme avant tout, dirais-je tout simplement ! Tout vit, tout meurt, mais l'homme reste, nous rappelle sans cesse Vassili Grossman. On entend tout au long de VIE ET DESTIN à la fois "les morts qu'on pleure et la joie furieuse de vivre". On y est invité sans cesse "à vivre et à mourir en hommes", car "c'est là, pour l'éternité, [notre] amère victoire d'hommes sur toutes les forces grandioses et inhumaines qui furent et seront dans le monde".

Oeuvre totale, à la fois document de guerre, réflexion philosophique et roman, ancrée dans l'histoire des crimes contre l'humanité perpétrés par les régimes stalinien et nazi au XXème siècle, VIE ET DESTIN ne cède pourtant à aucun moment à la tentation du nihilisme. Au contraire, elle transcende cette réalité tragique, notamment par cette éloge de l'Homme scandée au milieu même des décombres engendrés par une des catastrophes les plus terribles de l'histoire de l'humanité.
L'auteur réussit ce tour de force avec éloquence. Personnellement, je ne suis guère convaincu par les argumentations assez nombreuses qui cherchent à classer Vassili Grossman parmi les optimistes. A mon sens, son propos dépasse largement ces catégories, trop réductrices en l'occurrence, comme le seraient tout aussi bien, par ailleurs, celles de bien ou de mal dont l'auteur ne cesse d'illustrer le caractère relatif (voir par exemple les chapitres à propos du mal que l'homme, depuis toujours, a pu déclencher au nom du bien, ou sur le fait que beaucoup de partisans des thèses du nazisme étaient profondément convaincus de défendre des idées « humanistes », d'agir pour le bien de l'humanité !). A mon avis, il serait plus judicieux ici de parler d'une position de "compassion raisonnable", à la fois compatissante et compatible avec la condition humaine. En tout cas, ce récit m'a paru totalement exempt de mièvrerie ou de toute autre forme d' optimisme défensif face à l'horreur parfois insoutenable de ce qui est raconté.

Dans VIE ET DESTIN une large place est faite à ce que j'appellerai (par opposition à une dimension « supra-réelle » et historique) : « l'infra-réel », constitué ici par les innombrables vies et individualités qui défilent tout au long de ses presque 1 200 pages. Environ 150 personnages (nommés) y auraient été recensés – ce dernier point semblerait d'ailleurs avoir découragé bon nombre de lecteurs ! Un record tout de même pour une littérature (russe) nécessitant souvent qu'on fasse une liste des noms des personnages, et de leurs petits-noms, pour pouvoir s'y retrouver au bout d'un moment...!
De cette profusion dans laquelle parfois on peut effectivement s'égarer, émerge en même temps un sentiment que je qualifierais de "continental", sentiment reliant d'un fil invisible tous ces îlots insondables que chaque homme, que chacun de nous constitue. Je me suis donc parfois simplement abandonné au récit, à ces innombrables personnages, parfois à peine ébauchés par quelques phrases au détour d'une courte parenthèse, hommes emportés par une même et seule vague de l'Histoire ; l'Homme à travers les hommes, au gré des courants et des remous provoqués par cette dernière, l'Homme au travers de tous ces hommes pour lesquelles les rôles peuvent se ressembler, s'inverser, s'effacer, resurgir intacts, alors qu'à d'autres moments, des symétries improbables se créent entre eux, des amours naissent sans lendemain ou leur bonté se révèle malgré tout plus grande et puissante que la haine...Tout vit, tout meurt, mais l'Homme reste.

Cette expérience continentale, ce sentiment de partager tant de vies et de destins en si peu de temps sont soutenus en même temps par une écriture d'une grande simplicité, empreinte d'un lyrisme franc, non-recherché, d'une humanité et d'une empathie envers la condition humaine comme j'ai rarement eu l'occasion de rencontrer chez un auteur. Ce sont là des éléments qui, une fois réunis, sont susceptibles de créer un tel sentiment de proximité et de densité émotionnelle qui auront réussi à faire éprouver au lecteur que je suis une sensation omniprésente de lire au plus près de son être et de son corps.

Vassili Grossman ne verra jamais cet ouvrage publié. Trois années après la saisie de VIE ET DESTIN par les autorités russes, il mourra dans d'atroces souffrances, seul, indigent. Jusqu'au bout, il n'aura cessé d'écrire.

Une lecture en essence inoubliable.




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Le destin de ce livre est fabuleux : deuxième tome d'une colossale saga à la Tolstoi, il marque la révolution politique de son auteur qui, de fervent communiste, aura profondément évolué dans ses convictions en comprenant autour de l'axe de la bataille décisive de Stalingrad les ressorts profonds du pouvoir stalinien, ce qui l'amènera à être le premier auteur à renvoyer dos à dos communisme et national socialisme en soulignant leur glaçante proximité. On mettra du temps à découvrir cette oeuvre : rédigée en 1960, elle fut l'une des très rares à être confisquée, manuscrit et copie stencyl saisis, par les autorités soviétiques. Censure plus forte encore que l'interdiction, cette confiscation marque bien à quel point le propos du livre inquiétait le pouvoir qui s'est ainsi assuré que personne n'y porte les yeux, ne serait-ce que sur quelques copies privées! Ce n'est que vingt ans plus tard que "Vie et destin" sera publié en Occident, et qu'il acquerra sa réputation de roman majeur du 20ème siècle.

Une toile de fonds pareille, ça ouvre mon appétit de lectrice, et même s'il faut avoir un bel estomac pour avaler les 1200 pages du roman, je vous garantis qu'il se dévore avec beaucoup plus de facilité que je ne le craignais. Certes, les scènes de guerre sont nombreuses puisque la bataille de Stalingrad constitue le socle du roman, mais pas que : on suit un nombre important de personnages dans des contextes différents, en exil loin des villes, dans un camp de concentration allemand, au coeur de Stalingrad assiégée et à l'arrière du front. Partout, on croise des personnages forts, tragiques, broyés par l'histoire. Ce qui frappe et fait la force de ce roman, c'est le parallélisme troublant entre les situations tragiques dans lesquelles ils se retrouvent et les mécanismes de mort et de terreur infligés du côté soviétique comme du côté allemand : sur l'horreur des chambres à gaz se superpose celle des purges de 37 ou la mise à l'écart pour des motifs arbitraires des révolutionnaires de la première heure, l'antisémitisme présent des deux côtés.

Un roman riche de figures et réflexions politiques profondes, qu'il faut effectivement avoir lu dans sa vie pour comprendre le 20ème siècle et les ressorts du pouvoir totalitaire, voire du pouvoir tout court.
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Né dans une famille juive, en 1905, sur une terre ukrainienne appartenant alors à l'Empire russe, l'écrivain soviétique Vassili Grossman a peu à peu pris conscience de la complexité de son identité et de l'impossibilité pour un citoyen de construire librement son destin dans un régime soumis aux dogmes totalitaires du Parti Communiste. Il est mort en 1964, à Moscou. Considéré aujourd'hui comme son chef d'oeuvre, son roman Vie et Destin, achevé en 1962, avait été aussitôt saisi par les autorités soviétiques. Il ne sera publié qu'à partir des années quatre-vingt.

Vie et Destin raconte la bataille de Stalingrad, engagée à l'été 1942 entre les forces armées du Troisième Reich et celles de l'URSS. Les combats s'achèvent par l'encerclement des troupes allemandes et leur reddition pendant l'hiver. Une victoire salutaire de l'armée soviétique ! Son retentissement inversa le cours de la Seconde Guerre mondiale. Elle reste la page la plus glorieuse de l'histoire de la Russie.

Pendant que la bataille fait rage dans le centre et les quartiers industriels de la ville, l'auteur se penche sur le quotidien des membres d'une famille soviétique et de leurs proches. Des personnages incarnant des stéréotypes de leur société, dispersés sur un territoire vaste, exposés à des destins changeants ou contrariés, et qui s'emploient à survivre.

Les profils sont bigarrés : des officiers supérieurs, au combat sous le feu allemand et marqués à la culotte par des commissaires politiques veillant au strict respect de la ligne du Parti ; un spécialiste de physique nucléaire, fin observateur de l'âme humaine, y compris de la sienne ; un vieil ouvrier aux convictions bolcheviques inaltérables, prisonnier dans un camp allemand ; une femme médecin militaire, juive, déportée en camp d'extermination et menée jusqu'à la chambre à gaz, une scène horrifiante ; d'autres femmes, plus ou moins éloignées de leur compagnon, s'efforçant de subsister en ville, en dépit des pénuries et des bombardements ; des communistes déchus de leur aura et échoués au Goulag. A noter aussi quelques apparitions d'officiers allemands, nazis zélés ou soldats fatigués.

Au travers de ces personnages fictifs et de figures historiques réelles, l'auteur trace les contours d'une comédie humaine, dans laquelle chacun s'adapte et se comporte comme en temps de paix et de prospérité (relative). Emotions sentimentales, vanités ridicules, jalousies irrépressibles, lâchetés déniées, compromissions minables : personne ne manque à ses petits travers humains courants.

Grossman avait assisté de bout en bout, comme journaliste, à la bataille de Stalingrad. Il avait ensuite suivi l'armée soviétique jusqu'à Berlin et était entré dans les camps d'extermination nazis (Treblinka). Il n'hésite pas à renvoyer dos à dos les régimes totalitaires hitlérien et soviétique, qui confisquent les libertés individuelles au profit d'une collectivité fantasmée. Il avait aussi noté les failles de leur commandement militaire : pour nourrir l'hystérie du chef suprême, on sacrifie des hommes dans des assauts sans espoir, pour en saluer ensuite l'héroïsme. Grossman avait aussi perçu les limites de ce que les communistes appellent le centralisme bureaucratique, qui implique de se conformer aux décisions venues d'en-haut, même si le bon sens et la conscience conduisent à d'autres options.

Dans le roman, le Parti reproche au spécialiste de physique nucléaire de se consacrer à des théories contraires aux principes matérialistes de Lénine et d'être imprégné d'« abstractions talmudiques ». Un relent d'antisémitisme qui n'est pas un détail de l'histoire. Dès les purges de 1937, Staline s'en prend aux Juifs, qu'il accusera plus tard de « cosmopolitisme sans racine ». le rejet des Juifs prendra de l'ampleur au début des années cinquante, lors du prétendu complot des blouses blanches. En 1953, la mort de Staline aura peut-être évité une seconde Shoah.

A l'instar de Guerre et Paix de Tolstoï, dont Grossman s'était inspiré, la lecture de Vie et Destin manque de fluidité, en raison de la diversité des sites, du découpage des scènes et du nombre de personnages. Une complexité amplifiée par la tradition russe de désigner ceux-ci tantôt par leur prénom et patronyme, tantôt par leur nom, tantôt encore par leur surnom. Une lecture très longue, mais passionnante, qui apporte un certain éclairage aux événements actuels de Russie et d'Ukraine.

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Que dire après toutes les critiques précédentes, qui n'ait pas déjà été expliqué et analysé à propos de ce livre ?


Que c'est une dénonciation en règle du système soviétique en cours sous Staline et que l'auteur met en parallèle le fascisme d'Hitler et le communisme stalinien.

Qu'il nous fait ressentir la terreur qu'il y avait à vivre à cette époque en Russie.
Que cette peur, n'est pas due seulement à la guerre, mais aussi au NKVD qui faisait que vous deviez vous méfier de tout le monde, de vos propres propos et ceci que vous soyez Général sur le front, chercheur dans un labo ou voir même commissaire politique.

Qu'en écrivant cette fresque en 1960 et en la soumettant au comité de lecture officiel, l'auteur devait déjà savoir quelle n'avait aucune chance d'être publiée ou peut-être a-t'il espéré que sa célébrité plus le temps écoulé pourrait permettre une publication qui ne vint, un peu miraculeusement, que dans les années 1980.

Qu'il faut lire ce livre, ainsi que ceux de Varlam Chalamov, Alexandre Soljenitsyne entre autres, pour prendre conscience de ce qu'était la vie en Russie communiste.

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Il y a des livres qu'il faut désirer avant de les rencontrer et même, lorsque vous en avez commencé la lecture, il continue à se dérober. C'est progressivement que je suis rentrée dans celui-ci. le nombre de personnages ne facilitait pas ma compréhension. Sans doute, cela aurait-il été plus aisé si j'avais lu" pour une juste cause". J'ai dû m'accrocher résister contre l'ennui qui me prenait à certains moments. je ne regrette rien bien au contraire. D'emblée, l'incipit de cette fresque donne le ton." le brouillard recouvrait la terre" . Dans la lignée d'un Tolstoï, et de son Guerre et Paix, Vassili Grosmann plonge le lecteur au coeur des années sombres que furent la guerre de 39-45 plus précisément en 1942 en plein siège de Stalingrad. le brouillard, c'est l'incertitude quant à l'issue de ce conflit, mais c'est aussi celui qui s'est emparé des esprits, et qui les a empêchés d'y voir plus clair et de percer les discours des tyrans qui les gouvernent
Derrière les destins de Lioudmilla et de son mari le physicien Strum, de leur fille Nadia, de Tolia, fils que Lioudmilla a eu d'un premier mariage avec Abartchouk, de sa soeur, Evguénia, qui a quitté son mari le commissaire Krymov, pour le colonel Novikov, commandant une colonne de blindés, Sofia, une amie d'Evguénia qui se prend d'affection pour le petit David, dans un train, dont ils ne reviendront jamais, derrière le destin du vieux léniniste Mostovskoï, prisonnier dans un camp allemand, ou celui de la jeune Katia, envoyé comme radio, dans la maison "n°6 " qui résiste contre les assauts répétés des mitrailles allemandes, Vassili Grossmann dépeint la vie d'une multitude de personnages secondaires . Leurs destins se croisent et s'enchevêtrent.
Au delà de leurs conditions de vie, de leurs angoisses, de leurs réflexions, il revient plus d'une fois sur la similitude entre les systèmes nazis et les systèmes communistes, ne se privant pas de dénoncer tout ce qui fait de l'Union soviétique un état totalitaire : les famines des années 1920, les arrestations arbitraires, les camps de prisonniers, l'antisémitisme sournois, qui va s'amplifier après la guerre, et la nécessité de surveiller ses actes avec la peur de "lâcher brusquement une parole imprudente".
La vie et la liberté sont précaires à plus d'un titre ; personne n'est à l'abri d'une dénonciation. La méfiance qui surgit dans les moments les plus insignifiants, c'est aussi ce brouillard, qui empêche les êtres humains d'être clairvoyants. Dès la fin du premier chapitre, l'auteur révèle une des questions centrales qui le tourmente. " La vie devient impossible quand on efface par la force les différences et les particularités. "
Son roman est aussi une grande réflexion philosophique sur la liberté, l'instinct de liberté, l'instinct de conservation, sur la violence qui s'exerce sur l'homme , au point de le contraindre et de neutraliser ses capacités de défense. Pourtant , malgré les nombreuses pages sombres, l'optimisme de Vassili Grossman, ne cesse de couler tout au long de son livre. Sa foi en la bonté de l'homme est le souffle qui lui permet sans aucun doute de continuer à écrire et qui pourrait peut-être aussi expliquer sa naïveté en livrant son manuscrit à l'édition.
Achevé en 1960, le livre ne parait qu'en 1980. Que s'est -il passé entre les deux ? Quand Vassili Grossman, remet son manuscrit à la revue Znamia, qui avait déjà publié en 1952 la première partie "Pour une juste cause", son rédacteur après l'avoir lu, le fait parvenir au KGB. Chacun des membres du comité de rédaction semblent avoir pris peur et préféré dénoncer Grossman. Quelques temps plus tard, 2 hommes du KGB frapperont à la porte de son domicile et réquisitionneront tous les exemplaires, y compris des sacs remplis de brouillons ainsi que les rubans de sa machine à écrire et les feuilles carbones. C'est dire l'importance que revêtait un tel manuscrit aux yeux du KGB.
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Tout d'abord c'est l'histoire de ce livre qui m'a beaucoup intrigué, car Vie et Destin est le premier détenu placé sous les verrous par le KGB en 1962. L'auteur ne fut pas arrêté, mais sa vie fut brisée après la confiscation l'oeuvre de sa vie. Sous l'ère de Khroutchev et malgré une certaine distension, ce livre a fait très peur aux responsables du KGB de l'époque parce qu'il dresse un tableau parfaitement réaliste et effrayant de la société soviétique d'alors. La bataille de Stalingrad est le fil conducteur qui est le tournant déterminant de l'affrontement entre le nazisme et la démocratie. Dans ce moment charnière, l'auteur nous fait vivre à travers différents personnages ce moment historique: Strum le physicien juif déclassé, la vie des soldats russes et allemands, l'ouverture d'un camps de concentration nazie, les destinées mêlées d'une famille russe. Il en faut du courage pour dénoncer un fait désormais évident, le stalinisme n'est que l'autre face de la médaille du nazisme hitlérien! Car la victoire de Stalingrad a jeté le peuple russe dans les mains cruelles de Staline qui a instauré la terreur, à travers la délation, les milliers de camps où du jour au lendemain on recrutait n'importe quel citoyen sous forme d'arrestation et de déportation pour travailler aux grands projets voulus par Staline. La Kolyma, un territoire grand comme chez nous où on aurait compté 476 camps entre 1929 et 1953 et jusqu'à 18 millions de déportés dans tous ces bagnes. Une main d'oeuvre à bas coûts pour des chantiers gigantesques! Je recommande de voir si c'est encore possible la série sur ARTE sur l'histoire des Goulags, stupéfiant!
Mais ce livre est plus qu'un roman, il nous apporte une profonde réflexion sur des thèmes importants: l'homme face à l'Etat, l'antisémitisme, et un des textes les plus beaux que j'ai découvert, sur la nature de la bonté.
Si aujourd'hui, ce livre est est un chef d'oeuvre reconnu dans le monde occidental, il n'en est toujours pas de même en Russie, ce qui peut nous donner à réfléchir sur l'évolution des sociétés actuelles, même si la notre est loin d'être parfaite, elle a encore le mérite de nous laisser libre de lire le livre de Grossman.
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