Caroline de Gruyter est une Européenne de nationalité néerlandaise qui publie régulièrement dans les grands quotidiens européens (dont
De Standaard en Belgique). Elle est journaliste et couvre l'actualité européenne, en particulier celle de l'Union. Elle parle un Français remarquable, le Néerlandais bien sur, mais tant d'autres langues européennes, ce qui lui a permis de rencontrer les grands d'Europe dans leur langue. Elle a vécu dans différentes capitales européennes, dont Bruxelles et Vienne. Arrivée dans cette dernière, sa curiosité naturelle l'a amenée à comprendre l'histoire de sa nouvelle ville et notamment le palais de la Hofburg, jadis palais impérial, siège du pouvoir des Habsbourg, qui ont régné sur un vaste territoire mais surtout une multitude de pays, de langues, de cultures, de religion pendant plus de 6 siècles.
Ces découvertes lui ont donné une idée lumineuse : comparer ce vaste empire disparu dans les affres de la 1e guerre mondiale avec l'Union européenne née des affres de la 2e guerre, elle-même suite épouvantable de la première, mal terminée.
Ce livre raconte cette invraisemblable comparaison. Il est absolument passionnant à montrer en quoi des deux ensemble ont permis des relations pacifiées entre les peuples, les langues, les religions tout en promouvant un réel essor économique. Elle montre comment une bureaucratie bien pensée a permis de créer ce cadre commun tout en laissant une large autonomie locale.
Marie-Thèrese, impératrice au XVIIIe a doté son empire de cette structure de gouvernance, comme la commission et les états membres le firent à partir de 1958 (et rappelle que la ville de Paris a plus de fonctionnaires que toute l'Union européenne).
Elle démontre avec conviction la lenteur, la faiblesse, la fragilité, la complexité de ces deux institutions, mais ce sont précisément ces caractéristiques qui en font la force.
Elle mobilise le patrimoine culturel de l'Autriche-Hongrie,
S. Zweig bien sur, mais elle rend un indispensable hommage à
Joseph Roth qui par ses romans sut rendre si prenante la nature particulière de cet empire multiculturel et cosmopolite (et qui par ses essais d'une brûlante actualité alerta sur la montée du populisme et du nazisme). Elle évoque évidemment l'ouvrage majeur de C. Magris "Danube".
C. de Gruyter rend aussi hommage à
Otto de Habsbourg, fils du dernier empereur qui milita toute sa vie durant, non pas pour la restauration de l'empire de ses aïeux mais pour la construction européenne, notamment en siégeant longtemps au parlement européen.
Les Habsbourg furent les souverains des Pays-Bas bourguignons, devenus ensuite espagnols, puis autrichiens depuis le mariage de Marie de Bourgogne avec le futur empereur Maximilien 1er en 1477 jusqu'à l'invasion et l'occupation française de 1792. C'est à Gand que naquit l'empereur Charles Quint, sans doute le plus prestigieux de la dynastie, et à Bruxelles qu'il abdiqua. Des princesses belges épousèrent au XIXe siècle des archiducs autrichiens. Deux rues rendent hommage aux anciens Souverains
Marie-Thérèse et Joseph II.
Le livre porte surtout sur l'histoire des possessions danubiennes, mais cela ne l'en rend pas moins passionnant, vu d'Europe de l'Ouest.
Au final, il raconte ces deux "empires" de façon passionnante, en alternant les anecdotes de la vie quotidienne, les rencontres de personnes célèbres, la découverte de palais et musées ou les analyses plus pointues de géopolitique. L'excellente traduction d'O. Vanwersch-Cot renforce la qualité de lecture.
Il y a longtemps que je n'avais pas lu un éloge aussi convaincant de l'union européenne et de l'idée impériale, à ne pas confondre avec l'impérialisme : il s'agit ici de fédérer par le dialogue et la paix et non pas de conquérir un territoire pour lui imposer un mode de vie.
C'est à la chute de l'empire des Habsbourg que l'on a compris la catastrophe qu'elle signifiait (cf.
François Fejtö : Requiem pour un empire défunt). Chérissons donc notre Union Européenne