Nous sommes dimanche matin et nous sommes descendus en ville.
C'est merveilleux ! C'est n'importe quel dimanche matin.
Il fait froid, chaud, gris, nuageux, pluvieux..... C’est toujours un ciel lumineux lorsque nous partons tous les deux !
Je me moque complètement de la raison qui nous mène en ville.
Nous achetons du pain, parfois un bouquet de fleur pour maman, faisons un tiercé....
Je ne vois que des rues que nous empruntons, main dans la main. C'est cela que tu ignores, Papa!
Cette petite main qui se glisse dans la tienne, large, ferme et douce : elle tient elle-même ainsi le monde à sa portée.
Elle, toute menue, trouve dans cette grotte protectrice, formée par ta paume, toute la force et la légèreté de l'univers. Tu me tiens la main. Tu sembles aérien, insouciant. C'est dimanche. Tu ne travailles pas.
Nous savons tous les deux que c'est un entrebâillement sur la désinvolture et le futile. Et pourtant, nous sentons bien que cette matinée est chaque fois notre rencontre, un grand moment, notre petit bonheur partagé.
Lorsqu’un danger survient, si tu savais comme j’aime cette pression qui serre mes doigts. Tant, que je crains le relâchement qui va forcément succéder à la voiture ou au chien hargneux qui s'éloigne. Je relance alors la fermeté par un serrement qui semble te dire "ne me relâche pas, Papa!" Ce sont ces premiers enchantements des dimanches matin qui m'ont conduite vers la délectation des petits ravissements qui font que l'on se sent heureux, comme ta main qui me guidait sur les trottoirs de la ville.
Toute une vie dans une main ! Tu imaginais cela, toi, Papa ?
Une main qui fait oublier pourquoi on est là, où l'on va, simplement parce qu'il suffit que l'on existe et que l'on avance, la serrant et se sentant serrée par elle !
Catherine.
L'enfance est un excédent de bagages que nous emportons partout avec nous, de gare en gare, de ville en ville, aussi loin que nous puissions aller, elle est toujours là. De lourds bagages pour un long voyage, une vie qui s'embarrasse de tout petits riens, de souvenirs inutiles mais auxquels nous tenons sans vraiment savoir pourquoi.
L'enfance est tout ce qui s'enfuit. Nous avions comme beaucoup d'autres fait la promesse de la retenir, de nous moquer du temps, et nous avons refusé de grandir, mais les années se moquent des promesses des enfants, la vie nous a fait un sale coup en nous laissant vieillir.
(Blanche)
Le temps de l'enfance, c'est le temps parfumé, le temps du goût des premières découvertes, des sensations nouvelles, des premiers émois, le temps des gourmandises, le temps des senteurs et des saveurs indélébiles, de celles qui deviendront des réminiscences et des petites madeleines. Odeurs de lessive, de repassage, de confitures ou de pain grillé ; odeurs de villes, odeurs d'étables, odeurs de caves ou de greniers. Magie olfactive des pique-niques et des goûters, des nappes ou des serviettes à carreaux et du pain qui croustille. Saveur chimique des roudoudous, des chewing-gums gagnants, des caramels à un un franc, de la réglisse, de la guimauve, de la grenadine et du Zan...
Le temps de l'enfance, c'est le temps comblé. Le temps de la plénitude, des belles histoires, des bons moments et des beaux souvenirs. Le temps de la mémoire et de la transmission. Le temps des rites, des points de repère, des racines et des jalons. Le temps de la famille, des tantes et des grands-parents. Un temps retrouvé, un temps regretté, un temps idéalisé par cette indispensable nostalgie qui nous permet d'embellir notre passé pour mieux le revivre. Le temps de la lecture de ces livres d'aventures qui nous interdisaient d'éteindre la lumière parce que nous voulions en connaître la fin avant de nous endormir.
L'enfance est un secret, un coffre aux trésors dont nous gardons pour toujours la clé, un rêve à rêver pour toujours, une histoire qui recommence à chaque instant, l'enfance est tous ces enfants à venir, des millions d'enfants et autant de souvenirs. L'enfance est ce tout petit supplément d'âme, cette petite flamme que l'on garde en soi pour réchauffer son âme.
Ecrivain, historien, ancien élève de l'école normale supérieur, ancien directeur de la Culture des Musées des Lettres et Manuscrits de Paris et de Bruxelles, Jean-Pierre Guéno est un "passeur de mémoire" qui aime retrouver les manuscrits, les sources, et les partager.
Retrouvez ici sa présentation des correspondances de Guillaume Apollinaire pendant la Première Guerre Mondiale.