Avec ce qu’il avait subi dès le plus jeune âge, il était devenu une sorte d’expert : la raillerie, ce qui la motivait et ses rouages blessants, n’avaient plus de secret pour lui. A l’école primaire, ses camarades ne l’avaient guère épargné. Les particularités de sa personnalité, ses fantaisies, avaient attiré les moqueries comme un aimant. La cruauté des chérubins est infinie… Il y en a un qui décide de ce qui dérange, la forte tête, celle que les autres admirent et en groupe, on écrase ce que l’on ne maîtrise pas. En tout cas on essaye. La compassion est une invention philosophique. La loi du plus fort une nature.
Les lois de la survie posa Pierre, contraignaient le nouveau-né à dépendre physiologiquement de sa mère, et ce fait avéré, passé à la moulinette du psychisme, allait conditionner les émotions de l’adulte en gestation. Toute sa vie, avec plus ou moins de succès, l’être humain allait partir en quête de relations lui procurant ce bien-être, cette sécurité et ce réconfort qui l’avaient ou non, bercé durant son enfance, mais dont le besoin irrépressible s’exprimerait toujours. Acculé, il devrait jouir et se désespérer des affections et pertes qui parsèmeraient sa route : une existence à se leurrer, à se repaître et à pleurer des substituts nourriciers...
Et quand l’être chéri qui tenait ce rôle venait à disparaître, alors c’était l’avènement du vide, du manque définitif, le règne de l’impuissance, des épitaphes muselés.
« C’est drôle. Je suis là, à ta merci, immobile et consentante. J’ignore pourquoi j’ai rampé ces quelques mètres, quel instinct stupide m’a poussée à te fuir, toi que j’ai réclamée. Toi, fidèle, persévérante, prends-moi. Un instant encore, que je crache ces dernières bribes de vie qui me suffoquent et je suis à toi. C’est toi que j’épouse, mon répit éternel, sans regrets ni remords.»
Son assassin lui offrait ce dont son amant l’avait toujours privée : la sérénité du corps, la félicité de l’âme. La jeune fille s’étourdit de ce délicieux présent et expira, libre.