La justice est-elle un obstacle à la paix ? Les « gestionnaires de conflits », qui aident les belligérants à trouver le chemin de la paix, le soutiennent : « comment, demande un ambassadeur occidental anonyme cité par
Pierre Hazan, puis-je à la fois prendre le thé avec Milosevic pour trouver un règlement négocié au conflit et, dans le même temps, le traiter en criminel de guerre » (p. 7) ? Les « démocratiseurs » pour qui la Justice ne se négocie pas, le contestent : il ne peut, selon eux, y avoir de paix sans justice.
Ainsi posé, le dilemme semble insurmontable : au « pas de paix sans justice » des droits-de-l'hommistes s'oppose le « pas de justice sans paix » des peacemakers. Les deux objectifs ainsi définis semblent mutuellement incompatibles. le principal intérêt du court ouvrage, très pédagogique de
Pierre Hazan est de montrer qu'une conception plus extensive de ces deux notions permet de surmonter la tension qui les oppose. La justice n'est pas seulement la mise en oeuvre d'une procédure pénale. Elle inclut aussi des procédures moins contradictoires avec la recherche de la paix : établissement d'une commission vérité et réconciliation, ouverture des archives, identification des disparus … La paix ne se réduit pas à la cessation des hostilités. Elle vise à la réconciliation. Dans cette perspective, la paix et la justice peuvent cheminer de concert selon un séquençage (sequencing).
Ceci posé,
Pierre Hazan a raison d'insister sur la variété des situations historiques et politiques et sur l'illusion, voire le danger, de croire à l'existence d'une « formule unique » (p. 56). La seconde partie de son livre le montre, qui examine une dizaine de situations concrètes : le timing et le sequencing de la lutte contre l'impunité varient d'un pays à l'autre. Certains pays ont choisi l'amnistie, voire l'amnésie.
Pierre Hazan montre ce que cette solution, qu'a retenue, faute de mieux, l'Afghanistan d'Hamid Karzaï, a d'illusoire : ceux qui l'ont choisi, tels l'Espagne, ne sont jamais à l'abri d'un « retour de mémoire ».
Partout ailleurs la justice internationale s'est imposée comme actrice des relations internationales. Avant la paix comme au Liberia ou au Soudan, avec des résultats contrastés : autant la mise hors jeu de
Charles Taylor en 2003 a facilité le retour à la paix au Liberia, autant l'inculpation de Omar Al-Bashir en 2009 n'a pour l'instant servi à rien.. Pendant un processus de paix comme en Afrique du Sud ou en ex-Yougoslavie, là encore sous des modalités très différentes : une voix non pénale (commission vérité et réconciliation) dans le premier cas, un tribunal pénal international dans le second – qui bien que créé dès 1993 n'a rendu son premier verdict que deux ans après la signature des accords de Dayton. Après la paix enfin comme au Chili ou au Liban.
Pierre Hazan a raison de conclure que la question n'est plus de savoir si la justice internationale doit intervenir, « mais quand et comment et avec quelle combinaison d'autres mesures non pénales » (p. 117). Et son ouvrage a l'immense qualité de nous familiariser avec la palette d'instruments sur laquelle cette justice peut jouer.