7 nouvelles de
Robert Heinlein qui donnent un petit aperçu de son talent et de son style, mais aussi des thèmes qui l'intéressent (ils sont nombreux).
J'ai trouvé la qualité de l'ensemble excellente.
Cette lecture est ma première incursion dans l'oeuvre de
Robert Heinlein, que je sais être un grand nom de la SF. J'aime beaucoup son style, simple et direct, très précis et logique. La facilité avec laquelle il donne vie à un large panel de personnages est déconcertante, et sa maitrise de la narration évidente. Je me réjouis donc de découvrir plus tard ses romans !
Comme d'habitude dans les recueils, je conseille de lire les courtes introductions après chaque nouvelle.
Un self made man (60p) *****
Ça commence fort.
Pour toujours, j'associerai le thème du voyage dans le temps à la série de films « Retour vers le futur ». Je les ai vus et revus, chaque fois avec le plaisir renouvelé de découvrir de nombreux détails reflétant les nombreux paradoxes temporels.
Dans cette nouvelle,
Heinlein réduit l'histoire à une petite séquence minimaliste en termes de personnages et d'action. Première scène. Ça se poursuit. Ça paraît pas terrible, c'est même bizarre, et on ne sait pas où l'auteur veut nous emmener. Jusqu'à ce qu'on commence à piger, et alors là c'est parti sur comme sur des rails… circulaires ! C'est extrêmement bien fait, car d'une scène a priori anodine, composée de répliques et de gestes qui parfois questionnent, on arrive à chaque itération suivante à une nouvelle compréhension, plus fine, plus complète. Ce seul et premier texte que je lis de
Heinlein m'a permis de prendre toute la mesure de son sens de la précision, de la scène, avec un côté puriste. Une précision digne des meilleurs problémistes aux échecs !
Thèmes abordés : voyage dans le temps, paradoxes temporels
Sous le poids des responsabilités (20p) ****
Deux astronautes sont envoyés en urgence vers une station spatiale lointaine, où sévit un virus mortel. Deux hommes pour tenter d'en sauver 270.
C'est une nouvelle classique. La chute manque un peu de puissance car on l'imagine plus ou moins, et d'autre part, l'horreur – très bien rendue – de ce qui se passe au cours du voyage des deux pilotes lui vole un peu la vedette. Cette nouvelle est aussi l'occasion de se pencher en détail sur le thème de l'accélération subie par les pilotes. Un thème aussi traité concrètement (parmi bien d'autres) dans
La Forêt Sombre, de
Liu Cixin.
Thèmes abordés : voyage dans l'espace, accélération
L'année du grand fiasco (40p) **
Un début un peu compliqué où on ne voit pas immédiatement quels vont être les personnages principaux. Finalement tout devient simple, un peu trop. Une nouvelle sans véritable chute, car elle est attendue et on en connaît la teneur. Une tonalité assez surprenante sur la fin. Finalement, presque tout dans cette histoire repose sur le jeu de dialogue entre un jeune homme et une jeune femme qui se rencontrent par hasard. Lui est statisticien. Elle… peut importe : elle permet le dialogue, et par le dialogue c'est la trame qui se déroule, très linéairement.
Malgré l'effort mis dans les répliques (ironie, humour), je suis resté hermétique à cette relation amoureuse basée sur le déni de façade : le grand classique des comédies américaines.
Si vous aimez les romances, par contre, foncez !
Thèmes abordés : statistiques, climat, dérèglement, catastrophe, romance.
De l'eau pour laver (20p) ***
Vous faites quoi face à un raz-de-marée ?
Une nouvelle sans chute. Un petit film catastrophe dans les plus purs standards hollywoodiens, réduit à l'essentiel en 16 pages, vous le croyez ?
Heinlein l'a fait, et ma foi c'est joliment fait. Tout y est : l'intro dans un lieu quotidien qui présente un Américain moyen pas spécialement armé pour faire face à la catastrophe qu'on sent venir, l'action proprement dite, les enfants à sauver, l'héroïsme, la fin… je ne dirai rien !
Thèmes abordés : catastrophe, raz-de-marée, héroïsme, action.
Les autres (20p) ****
Une petite nouvelle qui m'a donné envie de revoir Shutter Island. Ce n'est pas la même ambiance oppressante, bien sûr. En 20 pages,
Heinlein n'a pas le temps de poser le décor et la trame nécessaires. Mais ce qu'il propose ici – une plongée expresse dans la tête d'un homme en proie au doute et interné dans un établissement spécialisé – suffit à nous faire douter nous-mêmes. Une nouvelle à chute, très psychologique, et c'est peut-être ici que réside la difficulté : on peut se perdre parfois dans les réflexions du personnage principal. Mais fort heureusement, la plume ultra-précise de l'auteur est là pour éviter la sortie de route.
Thèmes abordés : psychiatrie, paranoïa, complot.
La maison biscornue (20p) *****
Homer Bailey confie à son ami Teal – un architecte très créatif – le soin de concevoir sa nouvelle maison. le jour de la remise des clés, Teal compte bien impressionner Homer et son épouse, qui n'est pas au courant. Mais celui qui sera le plus surpris n'est pas celui qu'on pense…
Les trois personnages sont plus vrais que nature (c'est vrai aussi dans d'autres nouvelles, l'auteur s'y entend pour composer des personnages aux caractères variés et leur insuffler la vie). Incidemment, on constate le poids de la société machiste de l'époque avec le couple Bailey dont le mari semble contrôler les finances alors que c'est la femme qui clairement porte la culotte !
Une nouvelle qui ravira les esprits mathématiques, mais qui pourrait perdre un peu les autres, en plus de perdre ses propres personnages, je n'en dis pas plus !
Ici l'aspect SF repose sur une théorie bien précise. Si vous avez apprécié et que 2000 pages ne vous effraient pas, il y en a plein du même genre dans
le Problème à trois corps, de
Liu Cixin (encore lui).
Thèmes abordés : ???
L'étrange profession de Mr. Jonathan
Hoag (130p) ****
Hoag souffre d'une forme d'amnésie et décide d'engager un détective pour l'aider…
Une vraie petite Novella aux frontières entre le Fantastique et la SF, mais traitée comme un polar puisque, hormis les premières scènes, nous suivons le point de vue du détective.
De l'action et de rebondissements. du suspense aussi.
Encore une fois, la caractérisation est aux petits oignons. En particulier, la présentation de
Hoag dans les premières scènes (à sa sortie de chez le médecin) montre un personnage hypersensible avec une justesse comme je n'en ai jamais vue.
De mémoire, j'avais trouvé un certain nombre de difficultés ou de maladresses, mais c'est peut-être à mettre sur le compte d'une lecture un peu trop étalée.
Le dénouement est très ouvert quand on arrive vers la fin. Celui choisi par l'auteur en vaut bien un autre.
Thèmes abordés : amnésie, mondes parallèles, entités supérieures