S’il n’est pas nécessaire d’opposer la beauté à la laideur, la bonté à la haine ou tout sentiment noble à son contraire pour en mesurer la valeur, le faire en décuple cependant la grandeur. Je t’avoue qu’il me fallut une certaine dose de volonté et de courage pour m’arracher à ce moment de bonheur que j’aurais voulu voir s’étirer sur la journée entière et au–delà. Depuis, un plaisir silencieux s’étend sur ces heures durant lesquelles je pense à toi. Une sorte de jouissance incontrôlée et cruelle me cantonne malgré moi dans le souvenir de toi, à chaque instant, à m’y perdre, à m’y noyer, avec l’espoir fou de le voir disparaître sous le joug de l’exagération.
Sensible, elle aimait discerner les stigmates des souffrances des uns et des autres planqués au fond de leurs yeux. Elle se sentait moins seule à porter ce fardeau parfois un peu lourd de cette enfance trahie par le départ de son père et, de reconnaître chez certains une souffrance identique, étrangement, la consolait.
Il était question de toi, de moi, de nous. D’un bonheur qui grandissait, d’une histoire qui m’emportait loin de la crainte qu’elle m’inspire, loin de ce quotidien qui s’enlise dans l’insatisfaction que provoque la douleur d’être écartelée entre un homme que je n’arrive plus à aimer et un autre que je n’arrive pas à ne pas aimer. De nous que je sens tellement attirés l’un par l’autre sans aucun moyen d’empêcher les conséquences. Il est possible que je me trompe, que seul le jeu t’intéresse, que seul le fantasme t’inspire, auquel cas il est urgent que tu me le dises afin que je retourne auprès des miens que je trahis tous les jours par ce désir de toi qui continue de grandir en moi. Lorsque nous nous voyons, chaque silence qui s’impose dans nos conversations contient tout le désir que j’ai de me blottir dans tes bras, du besoin qui m’envahit de te toucher, de respirer ta peau, de pénétrer ton âme afin de sonder tes propres pensées et me rassurer sur le fait que tu partages également mes aspirations.
Cet homme allait changer sa vie, cela devenait évident. Selon elle, le destin n’existait pas. « Seules les rencontres balisent votre chemin et trace votre route, mais personne ne le doit pas au hasard. » disait-elle. C’est impossible. Il y a forcément une force invisible, une âme bienveillante, proche ou lointaine, morte ou vivante, à l’origine de tout ça.
Elle se sentit minuscule. Plus petite que la plus petite des bactéries que l’on traque avec tant de vigilance dans les salles d’opération. Elle eut envie de répliquer mais ne s’y risqua pas. Cet homme avait la réputation d’être un pince–sans–rire à l’humour plutôt provocateur, elle n’aurait jamais eu le dernier mot.