"On a juste à se donner la peine de trouver des cadavres. Nos clients ne sont pas du genre à nous filer entre les doigts - et on n'aura même pas à se fatiguer à les tuer, qui dit mieux ? Sans parler du plus intéressant de tout : on va pouvoir se ravitailler sur des bêtes absolument énormes. (...) Résultat : les Vautours peuvent se permettre d'être des oiseaux très sociables; ce sont les seuls Rapaces au monde qui vivent en groupes, dans des sortes de villages, comme les humains." (6)
Le vautour fauve est par chez moi un oiseau aussi familier qu'une mésange. Il plane régulièrement dans le ciel au-dessus de mon village. Je connais des falaises, des aires de nourrissage, des lieux de reproduction où photographier jusqu'au détail de leur plumage. Il m'est souvent arrivé d'entendre le vent passer dans leurs voiles juste au-dessus de ma tête. Ce numéro 91 me parle donc directement au coeur.
"Car les Vautours sont incroyablement méfiants. Pour commencer, ils veulent être sûrs à deux cents pour cent que l'animal est bien mort. le bestiau a beau être immobile, étendu, les pattes raides - vraiment toutes les apparences du parfait maccchabée - ils ne peuvent pas s'empêcher de se demander s'il n'y aurait pas un piège là-dessous." (24)
"On examine interminablement la bête. A-t-elle des blessures ?... des tâches de sang ?..." (25)
La Hulotte prend résolument le contrepied - comme elle sait si bien le faire - des préjugés hargneux et des esprits chagrins pour dresser un portrait flatteur de ces impressionants charognards. Aussi propres que des chats (il ne me déplairait pas de surprendre une baignade de vautours en toute intimité), vulnérables de par leur configuration physique, habiles à coincer la bulle dans les thermiques, mais surtout, très pointilleux sur l'état clinique de leur futur repas. Car c'est bien là que l'aversion s'acharne, que l'éleveur s'enflamme. La description des mille précautions que les oiseaux prennent avant de s'approcher d'un cadavre - tourner longuement dans le ciel, examiner, puis se poser en cercle, examiner encore, donne pourtant à douter des histoires véhiculées par La Dépêche du Midi et autres médias prompts à échauffer le lecteur.
Enfin, "c'est le plus courageux, ou le plus affamé (...) qui lance brutalement un coup de pioche quelque part dans le malheureux bestiau. Pas de réaction ?... La bête n'a pas bougé ? Instantanément c'est la folie furieuse." (29)