AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,52

sur 305 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Dans le forum, je vois souvent des questions portant sur la différence entre romans noirs, polars et thriller. L'auteur nous propose un roman où un pédophile enlève et tue des jeunes filles et focalise son histoire sur la vengeance du père de la deuxième victime.
Thriller: non. Pas de rebondissements soudains, peu d'actions et le tueur est connu dés le début du livre.
Polar: non. Même si à l'enlèvement de la troisième adolescente, on assiste à l'enquête de la gendarmerie, celle çi n'est pas prépondérante dans ce roman.
Roman noir: oui. Pourquoi?

L'acteur central n'est pas un personnage mais une portion d'autoroute. 4 voies de béton sans cesse en mouvement, plus ou moins fluide, où le sujet principal n'existe pas: seulement un objet, voiture ou camion ou camping car puisque l'action se déroule pendant le pont du 15 août.Des aires de repos, nature reconstruite et aménagée contenant des angles morts où une faune interlope survit. Des stations essences avec cafétéria, royaume du néon et de la malbouffe.Fort contraste entre l'immobilisme de ceux qui y travaillent et le flot continue des voyageurs. Et une clôture formant le périmètre. Au delà, des champs, la nature : la liberté.
En dehors des transhumances saisonnières, ces aires ont leurs propres règles, leurs propres codes tacites et souvent indicibles: aire pour homos, aires pour voyeurs/exhibs, refuges des routiers qui rêvent à leur famille qu'ils retrouveront le vendredi soir, pour d'autres putes, trav, trans, jeunes éphèbes à leur disposition: ils savent quand et où les trouver et combien ça coûte.
Pierre, le père de la deuxième victime y végète depuis 6 mois attendant que le prédateur récidive.
Pascal, le tueur, y travaille et attend sa future proie.

Le style est sec, phrases courtes, souvent non verbales; le langage est cru, trés cru, moche, vulgaire. Ce ne sont pas des scènes gores qui rendent parfois la lecture de ce bouquin insoutenable mais de simples mots. L'obscénité permanente et outrancière se veut la révélation d'un lieu oublié, d'une prison construite pour les RTT et la cinquième semaine de congés payés.

Je ne peux ni conseiller ce roman très noir, ni le fustiger: j'ai bien aimé, lisez le si le manque total de lumière et le langage très cru ne vous effraient pas.

Pour un public très , très averti.
Commenter  J’apprécie          693
Un roman dur, violent, cru. Des phrases courtes, Une écriture sèche, tranchante pour raconter l'horreur. L'horreur d'une enfant qui disparaît, l'horreur d'une femme qui s'oublie avec le corps des hommes, l'horreur d'un père, de parents qui ne parviennent pas à survivre sans leurs enfants. Pierre fait parti de ceux là. Depuis la disparition de sa fille Lucie il y a quelques mois sur une aire d'autoroute, il survit et cherche. Cherche le prédateur qui lui a enlevé sa raison de vivre. Il questionne toute la population qui vit (survit ?) sur l'autoroute (gardien, prostitué, routiers, gérant...). Il veut le trouver ; le tuer ; pour oublier ; pour lui ; pour sa femme. Il n'est pas le seul à chercher. Julie Martinez et son adjoint Thierry Gaspard sont également sur sa piste. Qui le trouvera ? le trouveront-ils seulement ? Un récit éprouvant. Un roman dérangeant. Lu d'une traite (ne peut pas se lire autrement).
Commenter  J’apprécie          373
Premier chapitre : trois parties, trois personnages. Ce que décrit le narrateur ressemble à une tentative de suicide : il fait très chaud et Pierre, désespéré, enfermé en plein soleil dans sa Renault, se déshydrate sur ce parking d'autoroute. Il peut décrire exactement chaque étape de ce qui va lui arriver : avant, il était médecin légiste. Autour de la voiture, des gens s'inquiètent, s'agitent, jusqu'à ce que Pierre se décide finalement à réagir.
Pascal est cuisinier dans un snack sur cette même aire d'autoroute. Il y a plusieurs années, il a eu un accident de moto et quelqu'un en a profité pour mettre le Mal dans sa tête. Parfois, quand le Mal veut sortir, Pascal ouvre la fermeture Éclair qu'il a fait tatouer sur sa cicatrice…
Avant, Ingrid était une jolie femme. Maintenant, elle ne sort plus de chez elle, se néglige, s'est laissé grossir. Elle boit de la vodka et laisse l'appartement dans un état déplorable. Elle couche avec les livreurs qui lui apportent ses courses et se masturbe frénétiquement en regardant la télé. Pierre l'appelle tous les soirs pour lui dire où il en est, s'il a trouvé quelque chose, s'il y a du nouveau. Ensemble, ils ont eu un enfant, une petite fille. Elle avait huit ans quand elle a disparu sur une aire d'autoroute, il y a six mois…
***
Dans ce roman noir, très noir, l'intérêt ne réside pas dans la découverte du coupable : on le connaît dès le premier chapitre, mais plutôt dans la traque, dans la psychologie des différents personnages, même des personnages secondaires, et dans le décor que Joseph Incardona a choisi pour les faire évoluer : une aire d'autoroute. En effet, Derrière les panneaux, il y a des hommes, précise le titre parfaitement adéquat, et c'est vrai qu'il y a un monde fou sur les aires d'autoroute : ceux qui travaillent, ceux qui ne font que passer, ceux qui s'arrêtent pour manger, pour pisser, pour se reposer, pour dormir, ceux qui cherchent une relation sexuelle, tarifée où non, ceux qui y vivent et ceux qui y survivent. Nous allons en rencontrer plusieurs, de ces figures : un cantonnier qui ramasse tout ce qu'il trouve, un gérant malhonnête, un binôme de policiers qui cherchent le tueur, un prof qui vieillit mal, un travesti, une cartomancienne, un couple en instance de rupture et leur petite fille de douze ans…
***
Le style de Joseph Incardona me plaît vraiment, malgré la crudité et même la vulgarité du langage employé dans ce roman-ci. Il me semble que ce parti pris de la violence du langage intensifie la douleur, le ressentiment, la colère, qu'il permet d'enlever les filtres et de livrer les sentiments bruts. L'écriture reflète l'urgence : beaucoup de mots-phrases, souvent en énumération, beaucoup de sauts à la ligne, de phrases minimales ou nominales. L'emploi du deux-points à des endroits où il n'est pas nécessaire, voire fautif, accentue cet effet d'accélération, comme d'ailleurs l'utilisation fréquente des tirets. J'ai aimé aussi les allusions culturelles (Bourdieu, Beckett…) et les discrètes adresses au lecteur qui le préviennent parfois de ce qui va arriver. Un roman dur, exigeant, une écriture déroutante, un très bon roman noir, aussi noir que les petites touches d'humour qui le parsèment.
Commenter  J’apprécie          366
Si vous aimez les romans noirs qui sortent des sentiers battus , couplés avec des personnages hors-normes et une écriture au style implacable, ne passez pas à côté de ce livre de l'auteur suisse qui a démontré, en seulement quelques romans, toute la qualité de ses fictions romanesques comme la maîtrise du verbe.
Si le pitch de base de ce livre n'a rien d'extraordinaire, ce sont les personnages, qu'ils jouent les premiers ou les seconds rôles, qui le sont.
Prenez Pierre Castan , qui depuis que sa petite fille a disparu il y a six mois sur une aire d'autoroute, a perdu le sens de la raison en squattant 24 heures sur 24 les différentes aires qui bordent l'autoroute, calfeutré dans sa voiture, à l'affût du moindre renseignement qui le mettrait sur la piste de son ravisseur, persuadé qu'il n'est pas loin et qu'il recommencera. Sa femme, elle, a pris le partie de martyriser inlassablement son corps et plus particulièrement l'endroit d'où sa fille est sortie, s'autoflagellant de ce manque, de cette absence insoutenable, mais espérant chaque jour que Pierre puisse se rapprocher du bourreau de sa progéniture pour remplir sa mission.
Le ravisseur est effectivement tout près qui vient de soustraire à la vigilance de ses parents une nouvelle jeune fille lors du chassé-croisé estival de la mi-août laissant dans le plus grand dénuement psychologique ce couple au bord de la rupture.
La capitaine de gendarmerie Julie Martinez et son binôme le lieutenant Gaspard mènent l'enquête et, avec leur équipe, vont fouiller le moindre recoin de l'aire d'autoroute, récolter le moindre témoignage, qu'il provienne de touristes en goguette ou de salariés du restoroute. La tâche semble complexe d'autant que la capitaine a d'autres idées plus torrides en tête, bien loin de la laideur de ces bâtiments en ciment, des remugles corporels et de l'asphalte chauffée à blanc .
La canicule rend poisseux les corps et échauffe les esprits alors même que le mal rôde et peut prendre des atours bien surprenants.

Joseph Incardona nous offre un roman brut et jouissif circonscrit par des panneaux et des rubans de bitume sur lesquels des voitures tracent leur route au-delà de l'horizon.
Mais ici on est bien dans un (quasi) huis clos glauque et glaçant représenté par cette aire d'autoroute. Un espace comme une micro société qui hante de manière provisoire ou récurrente les lieux. Routiers, touristes, cantonniers ou autres travailleurs des stations service, gérant ou employés de restaurants d'autoroute … prostituées. L'auteur s'attarde sur chacun d'eux comme s'ils faisaient partie d'un grand tout cosmique, témoins muets ou personnages actifs d'un drame annoncé .
Sans langue de bois, le vocabulaire est salé et cru. Il ne cache rien de cet univers où l'on s'arrête mais où on ne s'attarde pas à moins qu'un atroce événement ne vous y raccroche. Pierre est l'un de ceux-là, témoin de ce microcosme en mouvement qu'il guette , à l'affût du moindre signe, de la moindre odeur qui le rapproche du ravisseur de sa fille . Il ausculte cette humanité comme il examinait les cadavres à l'époque où, légiste, il agissait méticuleusement à la recherche d'un élément probant permettant de mettre les enquêteurs sur une piste.
Comme dans ces autres romans, on retrouve ici un fonds de satire social qui fait mouche avec cette belle brochette de personnages qui semble avoir été apportée comme sur un plateau. Des personnages jamais caricaturaux mais au contraire extrêmement saisissants. Un roman qui respire l'authenticité aussi triste et répugnante soit-elle, l'une des marque de fabrique incontestable de l'auteur suisse.






Commenter  J’apprécie          271
Sûr qu'après ce livre, on ne verra plus tout à fait l'autoroute comme avant. Ou plutôt ces aires d'autoroutes aux jolis noms de fleurs (Lilas, cyclamen...) qui accueillent nos brèves haltes, le temps d'un café ou d'un plat, boutiques pimpantes, stations-services fonctionnelles, aires de pique-nique pour familles en goguettes. Joseph Incardona nous offre une plongée haletante de l'autre côté du miroir. Un roman âpre, puissant. Une écriture percutante, précise, dérangeante. Qui décortique les âmes et photographie les corps. Des mots crus dont se dégage pourtant une poésie certaine.

Sur cette autoroute, il y a Pierre. Qui guette, qui attend, enfermé dans sa voiture, transpirant à grosses gouttes en cette journée caniculaire du 15 août. Très vite on sait que Pierre a vécu un drame ici même six mois auparavant. Sa petite Lucie, 8 ans a disparu sur une aire de service. Envolée, volatilisée. Depuis, Pierre parcourt l'autoroute, cherche, interroge, observe, note, recoupe. Persuadé d'avoir affaire à un prédateur récidiviste, une sorte de croque-mitaine. Son instinct lui donne raison : une petite Marie disparaît le 15 août, dans un périmètre proche. Il sent qu'il se rapproche et tente de s'accrocher malgré le désespoir qui l'habite. Bientôt, les gendarmes font aussi le lien entre les disparitions de jeunes filles et resserrent l'étau. Deux chasses parallèles sont menées. Dans la chaleur accentuée par la prédominance de l'asphalte, les esprits et les corps s'échauffent. Mais Pierre veut être le premier à le trouver, pas question de partager ses informations...

La force de ce roman c'est son absence de temps mort et le rythme de ses phrases qui parviennent à créer une incroyable tension. L'auteur exploite à merveille l'environnement méconnu de l'autoroute, ses coulisses en quelque sorte et fait vivre tout un petit monde de l'ombre en complément de celui que l'on connaît mieux. Prostituées et pickpocket côtoient les employés des restaurants, de péage ou les routiers. Un cantonnier collectionne les objets abandonnés ou perdus sur son aire d'autoroute. Une vieille chiromancienne au passé chargé sent rôder la mort. Un journaliste chasse le scoop à sensation. Sur cette aire se croisent un gérant d'établissement aux méthodes mafieuses, des couples adultères, des familles en déliquescence. Joseph Incardona crée une ambiance incandescente sans épargner personne.

Il peint étonnamment bien la souffrance, les corps et les esprits torturés par la douleur. Chacun de ses personnages, premier ou second rôle est en souffrance à sa façon et porte un fardeau qui le mine. de quoi captiver bien au-delà de la traque. Et surtout, l'auteur tisse étroitement les fils qui mènent au dénouement, association de hasards et d'observations dont le lecteur est souvent le seul à relier les indices. Résultat : impossible à lâcher. Rien à dire, le noir, quand c'est aussi bien écrit, c'est fantastique.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
Commenter  J’apprécie          270
Un roman très noir à l'écriture coup poing, très caustique. Une enquête sur la disparition d'enfants sur le réseau autoroutier, prétexte pour nous présenter les trajectoires de différentes personnes face à la souffrance, les travers de la vie, les petits arrangements, les lâchetés... Les comportements humains présentés de façon non politiquement correcte.
Commenter  J’apprécie          140
Ce roman est très dérangeant. L'auteur nous présente tour à tour les pensées d'un meurtrier pédophile, puis celles du père d'une des victimes, puis de la mère.

Les petites victimes, Marie et Lucie, sont rapidement évoquées, on sait très vite qu'elles sont mortes…

En parallèle, on suit également l'enquête menée par deux policiers : un homme et une femme.

Quant au style, les phrase sont courtes, percutantes souvent sans verbe. Ou alors sans sujet…

Un roman terrible, suffocant, prenant…
Commenter  J’apprécie          111
on aimera ou non cette écriture, particulière pour le moins , crue, qui a pour effet positif de mettre du rythme dans l'histoire et c'est plutôt réussi. Je l'ai trouvé personnellement lourde et difficile à digérer au fil des chapitres.
L'intrigue est originale et bien montée; ca se lit donc plutôt bien !
Commenter  J’apprécie          90
Une aire d'autoroute
Un quinze août écrasé de chaleur
Trois petites filles assassinées
Un prédateur sinistre
Un père désespéré à la recherche de l'assassin de sa fille
Quelques flics menant l'enquête
et un échantillon de triste humanité ....

Cela donne, non pas un polar, mais un constat nauséeux de la misère humaine.
En une succession de phrases courtes, un style haché pour mieux exprimer l'urgence, Joseph Incardona propose une bien sombre vision de l'humanité.

Derrière les panneaux, il y a des hommes et des femmes, certes, mais il y a surtout un concentré de déchéance humaine, un catalogue d'ordurerie humaine, de la virilité de pacotille, de la tristesse, de la bêtise, des renoncements ....

De l'autre côté de l'autoroute, il y a la vraie vie, heureuse, peut-être, qui sait ? mais ici, dans ce microcosme banal d'une aire d'autoroute où des vacanciers bruyants et surexcités venus se restaurer croisent les employés épuisés par le bruit et la moiteur glauque d'une touffeur estivale,
il n'y a qu'un monde désolant, désespéré, ensemble de ratages, de médiocrité, de corps suant leur détresse,
il n'y a que l'être humain devenu viande, soumis aux tristes désirs d'une chair désenchantée,
il n'y a que que les abominables pulsions d'un cerveau dévoyé
et on ne rencontre que
des âmes dévastées,
du sexe triste et tarifé,
des corps épuisés de fatigue et de désespoir
le mal de vivre des êtres dépossédés .....

... enfin, la vie telle qu'elle est !
Et Joseph Incardona n'y va pas de main morte ! vision impitoyable d'une humanité médiocre et pervertie avec tout de même une pointe d'élan compassionnel pour ces pantins, victimes de l'implacable dureté de l'existence.
Commenter  J’apprécie          90
Verbes à l'infinitif, phrases courtes : on ne trouvera guère de lyrisme dans les pages de Joseph Incardona. le sujet, il faut dire, ne s'y prête pas : une jeune fille de douze ans est enlevée sur une aire d'autoroute, un quinze août, par l'homme invisible. Sur les traces de ce dernier, il y a la gendarmerie, bien-sûr, qu'incarne le capitaine Julie Martinez ; il y a aussi Pierre Castan, qui fut médecin légiste dans une autre vie, et qui traque cet homme mystérieux qui a enlevé et tué sa fille Lucie, quelques mois auparavant. Roman noir, parce qu'il se saisit d'un fait divers terrible pour se glisser dans les rouages de la société contemporaine, Derrière les panneaux il y a des hommes dresse le constat accablant de l'extrême solitude de l'homme. Pour ce faire, Incardona use de deux outils : un lieu, l'autoroute, comme symbole désespérant du monde moderne, et une langue abrupte qui se fait le miroir de la brutalité des hommes.

Comme Lucie et une autre petite fille, Marie a été enlevé sur une aire d'autoroute. Toute la narration s'y déroulera, dans une sorte de huis-clos tenu entre des échangeurs et des sorties d'autoroute. Car l'autoroute est un lieu - pas un point précis d'une carte, mais un territoire identifié clairement, avec ses codes - double dans nos sociétés contemporaines. C'est un lieu indispensable, car les marchandises y transitent et les hommes y passent. En même temps, c'est un lieu en marge de la société : ni ville, ni campagne, l'autoroute n'est pas vraiment un lieu humain, ni naturel. le goudron y est roi et la mécanique y est reine. Marie est enlevée un quinze août, en plein chassé-croisé des vacances d'été. L'autoroute exprime alors son plein potentiel du mouvement perpétuel, ce qui rend la traque du kidnappeur extrêmement difficile. Tant de voitures, et une seule à trouver, pour une vie à sauver. L'autoroute, un quinze août, est un monde à part avec ses aires de repos, avec ou sans services, où l'on retrouve les mêmes pompes à essence, les mêmes paquets de chips, les mêmes livres de poche et les mêmes toilettes. Les aires d'autorité apparaissent comme des îlots de sécurité sur ce lieu étiré et dangereux qu'est l'autoroute. Triste paradoxe pour Pierre Castan et pour les parents de la petite Marie. Là où tout est lissé, confortable, familier, là ont disparu leurs filles. Ce lieu normé et pourtant anormal influence, visiblement, ceux qui le fréquentent trop : Pierre Castan, comme Pascal, le meurtrier, sont, chacun à leur manière, à la frontière de l'humanité.

Les voitures lancées à cent trente à l'heure, les personnes inconnues qui vous entourent au snack. L'autoroute révèle aux hommes l'incommunicabilité inhérente à leur condition. Tous les personnages du roman éprouvent d'énormes difficultés à communiquer. Non pas à saluer autrui, non pas à échanger de banals propos, mais à exprimer leur être profond. Julie Martinez éprouve un vif désir pour son second, Thierry Gaspard, qui l'éprouve en retour, mais les deux ne se l'avouent pas (conventions sociales, relations professionnelles). Pierre Castan, isolé dans sa bulle de souffrance, n'a plus qu'un lointain rapport avec le répondeur téléphonique de son épouse, Ingrid, qui elle-même n'est plus en relation avec le monde qu'aux moyens du douloureux plaisir que lui offre la masturbation et à celui des rapports anaux qu'elle consent avec les livreurs en scooter. Pascal, lui, est isolé du monde par sa surdité, et c'est la révélation continue de son incommunicabilité, l'implacable totalité de son silence, qui l'empêchent d'aimer ; ainsi il tue. Quant aux autres personnages, du vieux Jacques qui entasse les preuves matérielles dérisoires de sa propre vie à Lola, une prostituée transsexuelle trop homme ou bien trop femme pour ceux et celles qu'elle croise, ils éprouvent tous la même impossibilité de dire.

De cette incommunicabilité générale découle la solitude normale des hommes. C'est peut-être cela que révèle, en miroir inversé, le mouvement perpétuel de l'autoroute, la consommation outrancière de sandwichs triangulaires et de carburants : l'homme est désespérément seul. Partant, cette société où tout va vite, doit-elle être remise en cause ? À défaut, on peut se mettre à sa marge, ainsi que le fait Pierre, qui mène lui-même son enquête, recherche la moindre information, mais, surtout, veut soustraire le coupable à la justice pour le soumettre à la sienne propre, à la différence que le jugement est déjà rendu et que la peine est déjà imaginée ; car cette société n'est pas entièrement déshumanisée, et l'amour, même ténu, est encore la valeur suprême.

La langue de Joseph Incardona se veut le miroir de la brutalité humaine. Les phrases tombent comme des sentences. Point à la ligne. Et plus rien à ajouter. Cela donne un aspect mécanique à la narration, une inhumanité qui colle bien au lieu dans lequel cette narration prend place. Incardona dit les choses telles qu'elles sont, dans leur crudité : crudité de la consommation imbécile, crudité des corps léchés, sucés, pénétrés, crudité de l'absence de sentiment. Derrière les panneaux il y a des hommes, dit le titre, et derrière les hommes, il y a une solitude extrême et un mince fil nommé amour, qui les relie entre eux. Incardona casse le fil, et les hommes disparaissent derrière les néons et les panneaux.
Commenter  J’apprécie          84





Lecteurs (630) Voir plus



Quiz Voir plus

Les personnages du livre

Comment s'appelle la fille de René Langlois ?

Odile
Mireille
Diane
Julia

9 questions
4 lecteurs ont répondu
Thème : La Soustraction des possibles de Joseph IncardonaCréer un quiz sur ce livre

{* *}