Le tour d'écrou est une nouvelle qui met fortement mal à l'aise. D'abord par le style, lourd et difficile. Ensuite, par le sujet qu'il aborde.
Présenté comme un roman fantastique, un roman d'horreur traitant de hantise (deux fantômes sont censés harceler deux jeunes enfants), il est en réalité le témoignage d'une réalité beaucoup plus terre-à-terre et dramatique.
L'histoire captive, dans un certain sens, dans la mesure où la résolution de l'histoire tient au point de vue personnel que l'on en a. Les fantômes des anciens employés de Bly en veulent-ils réellement aux enfants, ou bien est-ce la gouvernante qui est atteinte de folie ? Seule cette dernière témoigne, elle est la narratrice.
Chacun pensera donc ce qu'il voudra, selon sa sensibilité, et, en quelque sorte, selon ce qu'il attend de l'histoire.
Pour ma part, en dépit de mes efforts pour trouver dans ce récit une simple histoire de hantise, je n'ai pu mettre de côté le sentiment désagréable qu'il s'agissait en réalité de pédophilie.
Les enfants sont les victimes de monstres pervers. Reste à déterminer le ou les monstres, car, dans cette histoire, la gouvernante n'est peut-être pas aussi innocente qu'on pourrait le croire.
Il est habituel au 19ème siècle, et on peut le comprendre, de substituer des phénomènes de hantise à des actes atroces de pédophilie ou d'inceste. Dans ce dernier cas, à titre d'illustration, le film d'horreur « An American Haunting » a déjà usé de ce subterfuge pour ménager les âmes sensibles. En effet, le cas de possession de Betsy, on le saura par la suite, n'était que la manifestation du subconscient de la victime d'actes d'inceste. le démon ou fantôme, du moins le Mal qui harcèle sans relâche la jeune fille, n'est qu'une représentation psychologique de l'innommable.
Dans
le tour d'écrou, on retrouve la même problématique.
L'autre point intéressant du livre est la démence latente de la gouvernante, qui, au fil des pages va crescendo jusqu'à atteindre son paroxysme et l'irréparable.
On sent dans son récit l'évolution de sa perte de raison. Son discours évolue de manière caractéristique et l'auteur a bien marqué cette montée en puissance. Les interlocuteurs de la gouvernante, en l'occurrence les enfants et Mrs Grose, l'intendante, semblent effarés par ses discours. Au contraire, la gouvernante est de plus en plus exaltée et joyeuse dans ses divagations. Plusieurs passages en témoignent :
« « Et tu n'as rien trouvé ! » ai-je déclaré avec jubilation. » (page 150).
« – Rien, rien ! Ai-je presque crié dans ma joie » (page150).
« Mais j'étais grisée, j'étais aveuglée par ma victoire, bien que le fait même de l'avoir contraint à se rapprocher de moi ait déjà eu pour résultat d'augmenter la distance entre nous » (page 151).
Elle seule semble voir les apparitions, et peu à peu elle s'éloigne des autres de par ses discours et de par leur incompréhension. Ici encore, une référence cinématographique similaire avec le film « Les autres » avec Nicole Kidman. Dans ce film, celle-ci est persuadée que des intrus s'introduisent chez elle et qu'elle et ses enfants sont en danger. En réalité, ce sont eux qui hantent les lieux parce qu'ils sont morts, mais le personnage interprété par Nicole Kidman fait un déni.
Le tour d'écrou est court par son nombre de page, mais dense par la richesse de l'interprétation que l'on peut en faire.
A chacun d'apprécier ce qu'il attend d'un roman de hantise.
J'aurais préféré une histoire basique de fantômes, mais il faut reconnaître, qu'en dépit d'une plume complexe,
Henry James s'y entend pour entraîner son lecteur sur de nombreuses (fausses ?) pistes.
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