Un essai réussi sur un sujet difficile, voire rebelle à l'exégèse : l'épuré, l'essentiel, l'inénarrable
Beckett, dont on ne retient trop souvent que le théâtre (
En attendant Godot, devenu proverbial, archétype du théâtre dit "de l'absurde", du reste contre la volonté du dramaturge).
Beckett, solitaire comme on le dit du diamant, fut bien serti dans les anneaux littéraires et artistiques de l'après-guerre parisien.
Beckett, auteur de textes tendant à l'anorexie, qui se dépouillent et se vident à mesure qu'ils s'achèvent sans finir (Pour finir encore). le temps de l'oeuvre en aiguise la pointe, jusqu'à des feuillets comme
Soubresauts ou Comment dire. le meilleur est écrit, à mon humble avis, lorsque, en 1966, Janvier publie
Pour Samuel Beckett. Il s'agit des romans (plutôt des monologues)
Murphy,
Watt,
Malone meurt,
L'Innommable, et des premières pièces de théâtre. Ensuite le verbe beckettien se raréfie tellement qu'il devient invisible - illisible - inaudible (la dimension sonore importe à cet auteur de pièces radiophoniques). Danger de tout repliement sur soi de la littérature.
Janvier parvient à suivre dans son développement initial cette entreprise suicidaire, à lui trouver un sens philosophique, à en élaborer l'histoire. Ainsi va-t-on de la recherche de la mère à celle de la parole, du déplacement physique à la projection mentale, en
passant par la reptation, la station allongée, l'immobile confinement dans une jarre. Ce travail épuisant (l'épuisement est un concept de
Gilles Deleuze inspiré par
Beckett...) nous soutient cependant et nous encourage à la redécouverte d'un auteur exigeant qui s'exprimait tantôt en français et tantôt en anglais, sa langue natale. Ne parlons
pas de langue maternelle : l'ouvrage montre que la langue et la mère resteront à jamais antagonistes, la langue marâtre substitut pour la mère irretrouvable.
De
Pour Samuel Beckett, j'apprécie la clarté du commentaire, la ferveur du critique envers l'écrivain, et qu'il donne envie de relire certains romans enfouis dans des lectures oubliées. Leur accès reste difficile mais l'humour inimitable de
Beckett rapproche de nous ses tragi-comédies glacées.
Ludovic Janvier montre qu'elles reflètent sans ménagements la condition humaine. En ce compris qu'elle comporte d'écrire.