Durant quelques jours j'ai voyagé en terre inconnue, ma destination fut un coin perdu du Groenland.
J'ai accompagné Martin Willumsen, un instituteur danois qui avait décidé au cours des années soixante-dix de prendre le large et de s'installer là-bas, à plus de cinq cents kilomètres au nord du cercle polaire, par-delà la dérive des icebergs, dans le district d'Umánaq, le plus bel endroit au monde.
Je vous invite à découvrir
Imaqa : Une aventure au Groenland, roman de Flemming Jensen, écrivain danois.
Sans doute Martin ressent-il un vide dans son existence. Les fonctionnaires du Ministère du Groenland, département de l'Éducation, n'ont d'ailleurs pas compris sa demande de mutation pour là-bas.
Le Groenland est une terre rattachée au Danemark. On n'évoque pas le mot de colonie, mais c'est un peu cela, qui nous ramène dès lors à notre Histoire, nos propres représentations.
Tout au fond du fjord d'Umánaq il est allé chercher la paix dans le comptoir de Nunaqarfik, un hameau de cent cinquante âmes tout près du Petit Détroit et du Chemin qui Mène à l'Intérieur.
A-t-il trouvé enfin la paix ? Je serai incapable de vous le dire car lui-même ne sait sans doute pas répondre à cette question. Mais parfois les lecteurs que nous sommes sont mieux renseignés que les personnages en perdition. C'est notre seul confort.
Chercher la paix et peut-être trouver autre chose de plus essentiel, le sens d'une vie dans ce dédale un peu fouillis...
Imaqa signifie en groenlandais « Peut-être ». Il n'y a pas de plus beau chemin que celui qui se nomme ainsi.
Le Groenland est une terre d'accueil. En guise de cadeau d'accueil, Martin se voit confier des chiens de traineau, une trentaine, rattachés à la maison qui va l'héberger. C'est une tradition, cadeau un peu empoisonné et une fois la joie canine partagée, vient la réalité primaire : des huskies, ça dévore !
Ici, point d'exotisme béat qui pourrait dire « c'est mieux là-bas qu'ici ». Non, ce n'est jamais mieux ailleurs, c'est simplement différent. Pourtant...
Pourtant les choses vont changer dans le chemin qui chemine en Martin. Et ce sont ces chemins qui nous transforment, nous autres lecteurs façonnés de chair, de sang et d'imaginaire. Des chemins faits pour nous égarer, sinon comment parviendrions-nous jusqu'à nos rêves ?
Là-bas, dans cette contrée extrême, Martin découvre que les choses n'ont plus la même importance que lorsqu'il était au Danemark. Par exemple, la manière d'aborder et d'accueillir certains événements du quotidien, pour peu qu'ils soient imprévus. L'éducation, l'enseignement auprès des enfants aussi, sa façon parfois aberrante sinon absurde d'organiser cette discipline qui devrait être si belle, si harmonieuse. le roman aborde ici un sujet presque universel et qui doit ici nous toucher plus que jamais. J'ai adoré ce ton espiègle, ironique, pour dénoncer ce système éducatif colonisateur qui n'est pas sans rappeler notre si belle Histoire française : « nos ancêtres sont les gaulois ! ».
Le thème du progrès au sens large s'invite ainsi allègrement dans ce texte et de manière jouissive.
Et puis le temps de là-bas, c'est aussi le temps de l'amour, la relation au corps, à l'âme, à l'instant présent, une fois la glace brisée. La relation de Martin avec Naja est tellement belle qu'on voudrait entrer dans leurs peaux, leurs corps, nous effleurer avec leurs voyages intérieurs. Dans cette relation j'ai aussi été attendri de découvrir la difficulté de deux êtres qui s'aiment à savoir savoir dire les mots lorsqu'ils ne parlent pas la même langue. Cela m'évoque un sentiment familier.
Parmi des icebergs à la dérive, les contrées extrêmes révèlent la beauté qui sommeille en nous, imperceptible parfois.
Martin découvre un monde épris de convivialité et de solidarité.
Imaqa est aussi un roman d'amitié, celle de Martin avec Jakúnguag, adolescent groenlandais renié parmi les siens, pour avoir fait le chemin inverse que celui accompli par Martin.
Et puis il y a l'humour, on parle souvent de résilience dans les temps qui courent. L'humour des groenlandais en est une forme avec laquelle ils excellent.
Mais là-bas n'est pas un monde idyllique. Il y a la réalité que découvre avec stupeur Martin, la pauvreté, la précarité, l'alcool, parfois la violence aussi. C'est un choc culturel sidérant que découvre Martin et peut-être que c'est à cet instant que la décision qu'il avait prise quelques semaines auparavant prend brusquement tout son sens.
Tandis que tout autour les icebergs continuent de dériver, Martin imagine une autre forme plus intelligente d'apprentissage de son enseignement, tenant compte de la réalité du territoire et de ses habitants.
Le fait que son autorité supérieure, là-bas à Copenhague, dans un bureau poussiéreux du département Éducation rattaché au Ministère du Groenland, en fut offusquée, montre simplement qu'il avait raison.
Si vous adorez les chiens de traîneau, je vous recommande une très belle adresse, un charmant coin isolé, un hameau de cent cinquante âmes tout près du Petit Détroit et du Chemin qui Mène à l'Intérieur.
Je vous entends déjà me répondre : Imaqa.
Merci à Blandine qui m'a donné envie de pousser mon traîneau vers ces pages lointaines, ô combien fraternelles et dépaysantes.