Pour Hulda Hermannsdóttir, l'heure de la retraite a sonné, ce qui est loin de la réjouir. Elle adore son boulot de flic – et c'est un excellent élément –, même s'il n'a pas toujours été simple pour elle de se faire respecter dans un milieu machiste. Quand son patron la pousse vers la sortie avec quelques mois d'avance pour la remplacer par une jeune recrue, il essaie d'arrondir les angles en lui proposant de reprendre un vieux dossier pour s'occuper sans faire de vagues. Au risque de s'attirer les foudres de son collègue Alexander qui a conclu à un suicide et classé l'affaire à la va-vite (le gaillard est connu pour son manque de rigueur), Hulda, qui vient de débrouiller à sa façon un cas de pédophilie où la mère de la victime a fait justice elle-même, décide de se pencher sur la mort d'Elena, une jeune moscovite demandeuse d'asile.
Comment résoudre une enquête lorsqu'on dispose de trois jours et d'aucun indice ?
Méticuleuse et instinctive, Hulda remonte le fil de cette triste histoire en tentant d'interroger le peu de personnes que la victime a côtoyées durant son séjour en Islande, à commencer par le centre d'accueil où elle résidait. le genre d'endroit où les portes se ferment au moindre bruit de couloir : entre les murs de ces asiles de fortune, nul n'a envie de s'attirer des ennuis en se mêlant des affaires des autres. Pour Hulda, deux horloges tournent de concert : celle imposée par sa hiérarchie, et son horloge personnelle, qui se rappelle à elle de plus en plus souvent.
Je suis novice en polar scandinave, et c'est pile le roman qu'il me fallait pour me convaincre d'explorer le genre. En particulier pour son héroïne, que la vie n'a jamais épargnée (ce que l'on découvre dans le récit brillamment articulé autour de trois axes). Dans la littérature policière, on a rarement affaire à une sexagénaire prête à raccrocher les gants. Comment ne pas soutenir Hulda Hermannsdóttir, poussée par la petite porte après une carrière exemplaire ? Derrière cette enquête bâclée révoltante, c'est tout un système qui passe sur le grill : la dévalorisation des femmes dans des milieux professionnels majoritairement masculins, l'inefficacité prétendue qui vous colle aux basques sitôt que les années s'accumulent, l'indifférence jetée à la face de certains êtres humains, relégués à un numéro de dossier. L'enquête en elle-même a de quoi s'arracher les cheveux — j'adore : comment émettre des hypothèses à partir de… rien ? Confrontée à une telle pression, Hulda fatigue, et sous la neige se dessine un paysage social morose, partie prenante de l'intrigue. Mais pas de plaidoyer ici. Ce qui doit être dit l'est de manière bien plus subtile : l'injustice, à différents niveaux, sourde du cheminement entre les procédures.
Entre vieux démons et révélations fracassantes, on se laisse entraîner par les chapitres courts et la noirceur que cache le panorama immaculé.
La Dame de Reykjavik, à la fois haletant et tempéré, surprend jusqu'au bout. La fin, aussi brutale qu'inattendue, est époustouflante. Je n'ai qu'une envie : retrouver Hulda, quinze ans auparavant, dans L'Île au secret.