Qui se rappelle voire même connaît simplement le nom d'
Hubert Juin ?
Au vu du nombre de lecteurs Babeliotes, manifestement fort peu de monde.
Et pourtant, peut-on oublier qu'il a marqué de son influente érudition le monde des lettres, des années 50 jusqu'à son décès en 1987, et ce notamment, en qualité de collaborateur aux "Lettres Françaises", au "Monde", au "
Magazine Littéraire", à "La Quinzaine Littéraire" et de producteur à France Culture ?
Il voit le jour en 1926 à Athus, commune du sud de la Wallonie aux confins du Grand Duché de Luxembourg et de la Lorraine française, et, selon la formule consacrée, il n'est pas né avec une cuillère d'argent dans la bouche.
Bien au contraire, issu d'un milieu rural peu favorisé il passe une partie de son enfance chez des grands-parents à la limite de l'illettrisme.
Initié à la lecture par son instituteur, il part en France en 1943 et s'engage dans la résistance.
Après la guerre, il continue à se former une personnalité littéraire propre (poète, essayiste et romancier) influencé par ses contacts avec Camus, Char,
Aragon,...
Le repas chez Marguerite, quatrième opus d'un cycle intitulé "Les Hameaux" (cinq ouvrages édités de 1958 à 1968), reste son roman le moins méconnu.
LE CADRE :
Sa région natale (Athus) mi-rurale, mi-industrielle, en pleine évolution/mutation (l'action se situe dans l'entre-deux-guerres).
LES PERSONNAGES PRINCIPAUX :
1) La rivière Messancy, témoin muet des faits et gestes des uns et des autres ;
2) le vieux Mathieu (propriétaire du moulin de moins en moins utilisé, quasi à l'abandon) devient progressivement aveugle. Subtile métaphore d'une société repliée sur elle-même, d'un monde ancien qui disparaît inexorablement ;
3) Pierre, homme des bois venu de nulle part, mi ermite, mi vagabond, plus ou moins contrebandier (le bédéiste
Jean-Claude Servais s'en est-il inspiré ?) symbolise quant à lui cet extérieur, cet ailleurs à la fois attirant et inquiétant, potentiellement dangereux pour la cohésion sociale de cette petite communauté ;
4) le café (et Cécile sa tenancière) coeur du village et lieu privilégié des confidences et secrets dévoilés.
LE STYLE
L'écriture d'
Hubert Juin pourrait en déconcerter plus d'un (l'imparfait de l'indicatif pour la partie narrative, le présent pour les dialogues).
Pratique littéraire déroutante mais particulièrement opportune pour mettre en avant, en valeur l'intensité des questionnements intérieurs.
Les fréquents retours en arrière temporels peuvent également en perturber d'aucuns.
Mais, une fois en immersion, le lecteur ne peut qu'apprécier :
1) la qualité des descriptions toujours très détaillées et riches d'une brutale sensualité ;
2) la pertinence du regard porté sur les moeurs villageoises, mélange de cupidité, jalousie, frustrations sexuelles, égoïsmes et solidarités ténues ;
3) la fine analyse (nullement pédante ni didactique) d'une société confrontée à ses contradictions :
a) pesanteur des us et coutumes hérités du passé face à l'intrusion de l'extérieur, de la "modernité" ;
b) éternel conflit, abordé sans stéréotypes, entre l'ancienne et la nouvelle génération.
POUR CONCLURE
Hubert Juin, écrivain régionaliste certes mais ni passéiste, ni folkloriste réussit à tendre à l'universel au départ du local à l'instar du cinéma des frères Dardenne.
A relire ou découvrir.