Olesya Khromeychuk s'implique également dans le théâtre, c'est en partie par l'art dramatique qu'elle a vécu son deuil, la mort de ce frère, et apprivoisé sa douleur et son chagrin. Volodya, Volodymyr Pavliv (1974-2017) est mort en 2017, seul dans une tranchée située à la frontière est-ukrainienne, d'un traumatisme crânien suite à l'impact d'un fragment d'obus.
C'est l'histoire d'une mort, celle de la vie aussi du frère, et surtout du deuil qu'il a bien fallu faire : la vie de l'aîné de trois enfants qui a décidé un jour de prendre les armes pour défendre son pays. Ce récit est introduit par deux préfaces, l'une de
Philippe Sands, avocat et auteur franco-britannique, l'autre de
Andreï Kourkov, l'auteur ukrainien que l'on ne présente plus. Car l'histoire personnelle de Volodymyr Pavliv, mort à 42 ans, dans les eaux noires et boueuses de l'Ukraine orientale, relève aujourd'hui de l'histoire du pays, celle de la vie d'un soldat tombé au front contre l'impérialisme russe. Une histoire individuelle, une histoire familiale, que cette soeur met à plat pour restituer la vie de ce frère aîné qui avaient ses faces sombres, ignorées de ses proches, et dont l'existence n'a pas tout à fait pris fin avec sa vie. Une vie prolongée par des photos et des vidéos retrouvées dans son téléphone portable, la partie la plus précieuse de son héritage qu'il laisse à ses parents, sa soeur et son frère, outre l'uniforme et matériel militaire, et l'argent de ses soldes.
Àtitre personnel, ce livre est sans doute l'un des moyens mis en oeuvre par la psyché de l'autrice pour faire et achever le deuil de son grand frère. À titre général, il réveille la conscience générale trop habituée aux conflits, à voir régulièrement Volodymyr Zelenski en tenue militaire et à entendre les inepties que le président russe préfère régulièrement, dans le plus grand des calmes, souriant à la face du monde. L'addition des drames humains est devenue un chiffre sans visage, ni identité, l'expérience de
Olesya Khromeychuk est à mon point de vue essentielle pour rappeler si besoin, se rendre compte à quel point chacune des hommes, femmes, enfants morts sur le front est dévastateur pour la famille, en premier lieu.
Olesya Khromeychuk reconstitue l'histoire de son frère, à travers le prisme de l'histoire familiale depuis l'Ukraine jusqu'à leur exil aux Pays-Bas et en Angleterre. de cet aîné dont il lui manque les premières années de vie, et d'autres aspects de sa vie actuelle qu'il gardait pour lui. de cet homme secret, revenu en Ukraine après son exil en Europe de l'Ouest, qui a fini par lui trouver un sens en s'engageant volontairement pour défendre son pays. Et un ultime hommage à ce frère, mort trop jeune en héros.
On ressent le besoin de cette soeur de redécouvrir et parler de l'homme, de laisser une trace qui permettra à chacun d'appréhender l'histoire de ce soldat, l'histoire de Volodya, leur relation. D'évoquer cette guerre interminable qui a forcé leur exil, et qui a marqué d'une plaie béante la famille, dans l'histoire du pays et au sein de l'Europe. Oleysia n'est pas qu'une soeur de soldat, elle est aussi historienne et en tant que telle, elle se pose en tant qu'observatrice des mouvements géopolitiques entre une Europe trop passive, une Russie agressive et agresseuse, qui profite de la peur latente que fait planer la menace de la bombe nucléaire, et entre les deux une Ukraine, qui fait ce qu'elle peut pour ne pas se laisser engloutir par son voisin aux appétits insatiables. de tous les faits, anecdotes marquantes que l'on peut relever, il y a la découverte de tout le contenu du téléphone portable du soldat, photos, vidéos, et messages jamais envoyés, un dernier lègue, le plus important, un témoignage posthume de son expérience sur le front, de ce qu'il n'a jamais eu l'occasion de partager de son vivant, et de l'attachement qui témoignent de ces messages écrits mais jamais envoyés. Des vidéos dont elle va d'ailleurs se servir pour monter sa pièce de théâtre.
Juste avant le récit de
Olesya Khromeychuk, j'avais pris le parti de lire le journal de l'artiste russe Alexander S, Être ou ne pas être à Moscou, paru chez L'aube, dont j'aurai bien des choses à dire dans un billet ultérieur. Si je l'évoque maintenant, c'est qu'il me semble que les deux récits, lus l'un après l'autre, forment un dialogue, bien malgré eux. À Alexander S, dans une neutralité affichée, qui affirme que les moralisateurs alpaguant les gens sur leur refus de prendre position sur la guerre russo-ukrainienne sont vains, et même plus, hypocrites.
Olesya Khromeychuk, ça ne surprendra personne, crie sa colère contre l'inaction de la population russe, les accusant de se laver les mains de toute culpabilité, répondant justement et indirectement à la tentative de
Alexandre S de se dédouaner des crimes de guerre commis par l'armée de son pays.
Je regrette un peu les couvertures des Éditions anglophone, néerlandaise et allemande qui laissent tout juste entrevoir, sans jamais le dévoiler totalement, le visage de feu Volodymyr Pavliv, un visage et vie qui marqueront le lecteur, en tout cas la lectrice que j'ai été. Néanmoins, ce témoignage de l'entourage d'un soldat mort à la guerre reste pour moi essentiel afin d'humaniser et individualiser les massacres, remettre une vie, un visage, une histoire sur ceux tombés au combat et qui n'ont plus que la mémoire de leur proche pour témoigner de leur vie : je crois que les lire, c'est la moindre des choses que l'on puisse faire, depuis l'ouest, bien loin de la guerre qui déchire l'Europe de l'Est.
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