Un grand merci aux Éditions Librinova qui m'ont contactée, il y a déjà quelques mois, pour me proposer ce roman de Gari Couderc,
La RDA, Peter et moi, me promettant une plongée « dans les contradictions du monde de l'art, questionnant à la fois la place de la femme dans ses sphères ainsi que nos idéalisations modernes de ce que fut le régime soviétique ».
Vaste programme, très tentant en vérité !
Un couple mythique, véritable référence dans le monde de l'art contemporain : Peter, un artiste maudit, transfuge de la RDA, et Petra, la parfaite icône de l'Allemagne de l'ouest…
Pour un éditeur parisien, le parcours de Peter et Petra Wolf représente un sujet rêvé de biographie à succès. Encore faudrait-il que les principaux intéressés coopèrent… Mais Petra n'est vraiment pas d'un abord facile et se terre dans un silence déterminé, ce qui n'aide pas le travail de recherche et nuit davantage à son image, tandis que Peter, en proie semble-t-il a une véritable phobie sociale, reste un mystère. Tout le monde a beau en parler, personne ne l'a vu depuis des années : c'est un peu l'histoire de « l'homme qui a vu l'homme qui finalement n'[a] pas vu grand-chose » …
Policiers, universitaires, galeristes, tous se lancent dans une course poursuite folle pour retrouver l'artiste allemand. Où est-il passé ? Et pourquoi ?
J'ai bien aimé la mise en lumière des problématiques sur l'art, sur la représentation figurative ou abstraite, sur l'art politique, sur « la vague nostalgique du plastique est-allemand » … Dépayser le lecteur en RDA permet d'aborder les notions d'art officiel et de liberté de l'art.
Il y a un réel décalage entre une période historique complexe, du moins pour moi qui ne connaît que les grandes lignes de la division de l'Allemagne et qui garde surtout en mémoire le souvenir de la chute du mur de Berlin en 1989, et l'époque contemporaine du récit avec, notamment, l'emballement des réseaux sociaux, la force des tweets qui font le buzz, les informations non vérifiées, une forme de transversalité qui permet de « montrer son ouverture d'esprit en parlant de ce que l'on ne connaît pas »…
Pour ce qui est du mystère qui entoure le couple Wolf, j'étais un peu plus sur la défensive, espérant vraiment être surprise par le secret manifeste entourant le personnage de Peter, l'éternel absent autour de qui tout le récit est organisé. Finalement, si le mystère peut paraître cousu de fil blanc, c'est ce qu'il implique qui devient la clef de l'intrigue, à savoir le questionnement ouvert sur la représentativité des femmes dans le monde de l'art, la misogynie et le conservatisme du milieu.
Et puis, le dénouement m'a beaucoup plus, pas si annoncé que cela, en fait !
Gari Couderc a une belle plume, fluide, efficace.
J'ai noté un certain humour dans le choix des noms des personnages : Philippe Museau, travaillant pour les Éditions Lézard de Minuit, par exemple…
La narration omnisciente passe d'un point de vue à l'autre, autour des personnages qui recherchent Peter, de leurs motivations, de Petra et du trio de femmes qui connaissent la vérité : c'est vivant et polyphonique, captivant. Les dialogues sonnent juste tout en étant percutants, souvent pleins d'humour. Les situations décrites ajoutent à l'impression de décalage ; je pense notamment aux moyens et aux infrastructures disproportionnés des américains, véritable machine de guerre face à la petite maison d'édition française, « sans budget et son équipe de deux bras et demi » …
Les personnages sont travaillés, des principaux aux plus secondaires, et l'auteur évite la facilité des grosses caricatures. Les psychologies sont complexes, surtout dans le monde du journalisme et des musées.
Le titre annonçait une hiérarchisation réductrice : le pays, un ancien état communiste, une république qui n'avait de démocratique que le nom… Un artiste reconnu dont la réputation est sans doute surfaite et un pronom personnel de la première personne du singulier et utilisé par les deux genres, masculin et féminin… le récit étant omniscient, je me suis demandé qui se cachait derrière ce « moi », une seule personne ou chacun(e) des protagonistes, ou bien encore (tout simplement) le narrateur qui, parfois, se laisse aller à prendre part au récit : « de vous à moi » peut-on lire, par exemple au détour d'une page. Ce titre évoque un pays qui n'existe plus et un artiste dont l'existence même est mise en doute dans un constant jeu de miroir : une Allemagne divisée entre l'est et l'ouest, un couple, la STASI VS la CIA, l'art officiel VS l'art dissident, la place des femmes dans un milieux qui reste macho…
Ce roman est une excellente surprise ! Il tient ses promesses et plus encore.
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