Je ne parlerai peut-être pas très longtemps ; nous poserons des questions, nous en discuterons. Écoutant dans ce calme et cette complète sérénité, on commence à s'ouvrir à la nature, à la qualité du silence. Ce silence, cette qualité d'un esprit suspendu est une action positive qui a ceci de négatif qu'elle ne permet à aucune chose de s'y déverser.
Quand vous dites que la pensée n’a aucune place dans cette dimension, je ne vous suis plus.
★ Monsieur, quand vous servez-vous de votre pensée ? Ou, si la pensée agit, quand prenez-vous conscience qu’elle agit ? Si je vous pose une question qui vous est des plus familières : « Quel est votre nom ? » votre réponse est immédiate. Cet immédiat peut prendre quelques secondes, mais c’est presque instantané, parce que vous connaissez la question très bien, et très bien la réponse. Et maintenant allons un peu plus loin. Voici une question que vous connaissez un peu moins bien, comme par exemple le kilométrage entre ici et Zürich. Et vous dites : « Je ne sais pas, mais je vais chercher, ou bien je vais demander à quelqu’un qui sait, par exemple le garagiste. » Pour cela il vous a fallu du temps. Entre la question et la réponse il y a eu un laps de temps pendant lequel vous avez essayé de trouver. Puis, il y a une question à laquelle vous ne pouvez pas répondre, ou à laquelle il n’y a pas de réponse. Alors que faites-vous ? Pendant le laps de temps qui sépare la question de la réponse, vous réfléchissez, vous recherchez, vous demandez, vous attendez, vous exigez, vous regardez dans un livre, vous allez trouver un professeur, un homme de science ou un prêtre. Dans cet intervalle qui s’écoule entre la question et la réponse, il y a eu laps de temps, c’est la pensée.
La méditation est quelque chose d’entièrement différent. Pour la comprendre, nous devons d’abord rejeter les drogues, les méthodes, et parmi elles cette répétition de mots qui nous permet d’atteindre un certain état de silence. Celui-ci est un état de stagnation. Il faut rejeter tout désir d’expériences accrues. C’est très difficile, parce que la plupart d’entre nous sommes tellement saturés par la laideur, la brutalité, la violence, le désespoir de la vie, que nous aspirons à quelque chose de plus. Nous sommes assoiffés de nouvelles expériences qu’elles soient extérieures, tel que d’aller à la messe, ou d’expériences profondes intérieures ; tout cela il faut le rejeter. Alors seulement il y aura liberté. Et la manière dont nous rejetons ces choses a une grande importance. Je peux rejeter le désir de telle ou telle chose parce qu’elle m’apparaît comme étant absurde, mais je continue tout de même à rechercher des expériences. Peut-être n’ai-je pas le désir de voir le Christ ou le Bouddha, ou telle personne particulière, ce qui est évidemment puéril, parce que tout cela n’est jamais que la projection de mon propre arrière-plan. Je peux rationnellement et logiquement le rejeter. Mais intérieurement, j’aspire à une expérience qui me soit propre, qui ne soit pas contaminée par le passé. Mais toutes les expériences, toutes les visions sont contaminées par le passé.
Pour moi, cette action d'apprendre est une des choses les plus importantes de la vie. On s'éveille un matin, comme celui-ci, et on voit le ciel, la beauté des collines, les arbres, la rivière, les fleurs. On regarde tout cela sans fraîcheur, sans élan, sans passion, sans cette fureur de sentir ; au contraire, on compare tout cela avec un événement, quelque chose qui s'est passé hier, on évalue, on pèse. Ce faisant, on a entièrement cessé d'apprendre, et l'on se dit: « Qu'est-ce vraiment qu'apprendre, quel est l'état de mon esprit quand j'apprends sans accumuler? »
Un esprit véritablement bien fait est à la fois positif et négatif ; il est à la fois l'homme et la femme - il n'est pas seulement l'homme, ou seulement la femme. Les Grecs avaient un mot pour cela, et les Hindous aussi. Ils en ont fait des symboles par l'image et, par conséquent, ils l'ont perdu. Dès que vous exprimez une chose par la parole, par l'image, elle a fui. Mais si vous commencez à apprendre - si vous continuez d'apprendre, et d'apprendre toujours, vous pouvez alors exprimer la chose en paroles, elle ne mourra jamais.
Extrait du livre audio « Un esprit calme et silencieux » de Jiddu Krishnamurti, traduit par Colette Joyeux, lu par Jean-Philippe Renaud. Parution numérique le 30 août 2023.
https://www.audiolib.fr/livre/un-esprit-calme-et-silencieux-9791035413361/