La noblesse d'un homme se mesure à l'aune de ses engagements et de sa fidélité. Face à la barbarie, celle de la violence et du sang ou celle, plus insidieuse, de l'indifférence et des libertés volées, il convient de ne pas baisser les armes, de surtout ne jamais se renier.
Reiner Kunze, sur ce point, est un modèle de droiture. Issu d'un milieu ouvrier allemand, engagé très tôt en politique, il fut persécuté en Tchécoslovaquie, en 1968, pour avoir dit haut et fort son indignation face à l'invasion des troupes du Pacte de Varsovie. Cette répression du Printemps de Prague fit des centaines de morts civils. Il quitta alors le parti communiste et retourna en RDA, sa terre natale. Hélas, la Stasi l'y attendait. Surveillé, harcelé sans répit, il finit par se réfugier en Allemagne de l'Ouest avec son épouse. de là, il poursuivit son combat contre le totalitarisme. Avec quelles armes? du papier, un crayon et le regard d'un homme qui avait vu le pire mais continuait de croire au meilleur. Car rien, semble-t-il, n'avait pu faire basculer
Reiner Kunze dans la haine et l'amertume. C'est un homme qui connait le pouvoir du Mal, celui que nous font les autres et celui que l'on porte en nous:
"Les ténèbres dans le poing
sont un morceau de ténèbres en nous
Qui brandit le poing, brandit
l'obscurité en signe"
A ces ténèbres de vengeance qui nous enserrent et nous dévorent peu à peu,
Reiner Kunze préfère le pardon et la paix. Et il n'aura de cesse de le dire, de le chanter.
"S'en tenir
à la terre
Ne pas jeter d'ombre
sur d'autres
Etre dans l'ombre des autres
une clarté" ( Chardon argenté, 1978)
Pour
Reiner Kunze, la poésie demeure résistance mais elle est avant tout résilience. Il semble écrire pour dénoncer, mais aussi pour survivre à son lourd passé.
"Avoir un coin de pays et le monde
et jamais plus au mensonge ne devoir
baiser la bague" ( A Salzbourg, debout sur le Mönchsberg, après notre arrivée en Europe de L'Ouest )
Ainsi, à partir de 1977, le poète prend racine dans cette nouvelle terre d'Allemagne et ne cesse d'écrire, cherchant sa voix dans une poésie moins engagée. Renouant avec le plus pur romantisme allemand, sa poésie est traversée par la mort et la beauté fulgurante de la nature. Mais point de lyrisme chez Kunze qui donne alors à ses poèmes une forme épurée, parfois proche du haiku:
"Je m'adapte
J'ai porté un ami en terre
Je m'adapte à cette vérité
comme lui désormais s'adapte à la terre" ( Premier accompagnement, 1978)
"Meurs avant moi, juste un peu avant
Afin que ce ne soit pas toi
qui aies à revenir seule
sur le chemin de la maison ( Pour toi, en hommage, cette demande en pensée, 1983)
D'une simplicité touchante, presque naïve, la poésie de
Reiner Kunze est humble et profonde. Voilà sans doute ce qui en fait la force et l'intensité. Mais si le poète se voue désormais à la contemplation des oiseaux, il reste un homme de convictions et de combats qui nous force à ouvrir les yeux et nous rappelle qu'à tout instant, les portes de la liberté peuvent se refermer sur nous.
"Un jour le froid nous transira dans l'âme
et le paysage sera trop rétréci
pour pouvoir le remonter
sur notre poitrine
Alors nous tâterons l'ourlet
si jamais il reste encore un peu de marge" ( Alors, 1997)
Vingt ans après son exil,
Reiner Kunze avait écrit ce court mais percutant poème:
"Nous avons toujours un choix,
et ne serait-ce que de ne pas nous incliner devant ceux qui nous en privèrent" (Vers pour le tournant du siècle, 1997)
Le poète ne s'est en effet jamais incliné. Et par ses mots, sa dignité, il nous montre que l'on peut être vaincu mais n'avoir rien perdu.