Je ne connaissais pas la romancière
Camille Laurens. Et j'ai tout de même eu un coup de coeur pour «
La petite danseuse de quatorze ans »
Contrairement aux autres oeuvres ( souvent autobiogaphiques) de l'auteure, ce n'est pas un roman, mais une énorme et fascinante enquête, très scrupuleuse sur l'histoire et la vie de cette petite
fille et petit rat ; Marie Geneviève van Goethem, c'est son vrai nom et qui posa comme modèle, fin 19e siècle, pour la très célèbre sculpture du peintre et sculpteur
Edgar Degas.
Camille Laurens a fait un remarquable travail de recherches, mais surtout elle nous fait part de ses réflexions, très pertinentes et d'une grande sensibilité, pour cerner la personnalité de cette petite
fille, qui fut sa famille, quelle fut sa vie de petit rat à l'Opéra et que furent ses rapports avec le maître Degas.
L'auteure analyse, avec beaucoup de finesse, dans quel contexte et dans quel état d'esprit fut faite cette sculpture. Et elle s'interroge pourquoi cette sculpture fut si décriée à son exposition en 1881.
Elle essaie aussi de cerner la personnalité, parfois très ambiguë, d'
Edgar Degas.
Qui était-il ?
On le disait austère, et contrairement aux autres peintres de son époque, aux moeurs douteuses, qui abusaient en toute impunité de leurs jeunes modèles, Degas ne couchait jamais avec ses modèles.
Dans quel but a t'il forcé et déformé les traits la petite
fille Marie Geneviève, pour rendre son faciès presque laid sur sa sculpture, connue aujourd'hui dans le monde entier ?
J'ai découvert, avec stupeur, les conditions de vie très difficiles, effrayantes, presque infâmes de toutes ces petites
filles, ces petits rats à l'Opéra de cette fin du 19e siècle.
Beaucoup vivaient dans un état très précaire, travaillaient dix à douze heures par jour, six jours sur sept.
Les répétions étaient longues et dures et devenaient des supplices, qui ajoutés aux brimades des professeures de danse, rendaient toutes ces gamines de plus en plus fragiles.
Mais ce qui m'a choqué c'est que l'Opéra de cette époque, était un lupanar, était un haut lieu de libertinage et de trafic sexuel. Toutes ces petites
filles, âgées parfois de 12 ans, étaient vendues pour quelques pièces, comme esclaves sexuelles à de vieux messieurs libidineux. En répandant un peu partout la syphilis.
Le pire c'est que c'était les mères des gamines qui étaient les vilaines maquerelles cyniques.
Que d'infamie ! Que de souffrance !!!
Camille Laurens, qui a une belle plume, s'est investie corps et âme pour redonner une identité à cette petite
fille. Et au fil des pages, j'ai constaté l'énorme attachement que l'auteure portait à sa petite danseuse.
Il y avait certaines similitudes troublantes, des convergences bouleversantes avec la propre histoire de l'auteure.
J'ai ressenti que
Camille Laurens avait beaucoup de chagrin de quitter sa petite danseuse. Elle termine d'ailleurs son livre par ses mots infiniment touchants :
- (..) c'est une oeuvre dont tu as pu être le modèle mais qu'on n'a jamais retrouvée, elle est seulement décrite dans une lettre de
Jacques-Emile Blanche en juin 1882, après une visite à l'atelier de Degas. Il a vu, dit-il, une nouvelle sculpture de lui, un projet funéraire peut-être lié au décès d'une de ces nièces : « une petite
fille à moitié couchée dans son cercueil mange des fruits ; à côté, un banc où la famille de l'enfant pourra venir pleurer (car c'est son tombeau). »
Je suis assise sur ce banc, Marie. C'est de là que je t'écris.