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EAN : 9782925141808
360 pages
La Peuplade (12/10/2023)
4.3/5   5 notes
Résumé :
Des bidonvilles de Dhaka à l’Ukraine en guerre, Frédérick Lavoie apprend à vivre avec le trouble – et parfois à le semer – afin de répondre aux défis de son époque, en particulier à celui de la catastrophe écologique. Nourri par la pensée de Donna Haraway, Anna Tsing et d’autres, Troubler les eaux est un récit qui nous fait éprouver le vertige d’un journalisme renonçant à ses certitudes pour mieux prendre en compte la différence et l’insoluble.
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Une urgence de lecture !
Précieux, incontournable, «  Troubler les eaux » est un essai qui met en lumière les problématiques de l'eau, mais pas que.
Le Bangladesh est l'épicentre de ce documentaire journalistique, tiré au cordeau. D'une justesse impressionnante, tant, Frédérick Lavoie est impliqué au lever de voile d'un pays endurant.
Il part en 2017 au Bangladesh au plus près des habitants, afin de comprendre et de se rendre compte d'une réalité qui fait froid dans le dos.
« Voilà quelques jours que nous sillonnons la campagne bangladaise. Peut-être trois, cinq, ou même huit. Nous allons de village en village pour récolter des témoignages, observer les conditions de vie, confirmer ou infirmer des à priori...Si son témoignage vient invalider l'une de mes hypothèses, qu'il en soit ainsi. Je suis journaliste indépendant et boursier ».
Les villageois content. Les rudesses, le manque de confiance dans une eau polluée. Les malaises face aux questions qui appellent des solutions. Les réalités comblent de difficultés. Taire l'impossibilité de filtrer l'eau buvable. La pauvreté comme un blâme sur le front des habitants encerclés par l'eau. Entre les inondations, les villages flottants où charrient les détritus et les immondices. Les enfants surveillés au plus près par crainte d'une noyade. le fleuve qui happe d'un seul coup la tragédie humaine. Les orages infinis et les rizières englouties. Les barrages qui cèdent. Les moussons pavloviennes, le rocher de Sisyphe.
Frédérick Lavoie rassemble l'épars. Note et consigne, prend acte. Laisse les paroles circuler jusqu'au prochain déluge. Journaliste, écrivain, il est dans une posture de devoir moral.
Les idiosyncrasies sont les palpitations d'un peuple assigné à l'effort. Quid de la marée noire qui a touché Joymoni. « Mais si on parlait d'autre chose que du naufrage du Southern Star 7 ? Peut-on trouver facilement de l'eau à boire ici ? ».
Frédérick Lavoie ne cède rien. le périple devient universel. Il regarde l'élément eau et sait où la balance penche du mauvais côté. Son recul est nécessaire. Il enquête et ne laisse rien voir de son désarroi. C'est en cela aussi que « Troubler les eaux » est intègre. Il place la vérité là où elle doit se trouver. C'est un enquêteur, un informateur, un homme de terrain devenu, crayon en main.
On ressent comme une prise d'arme face à l'adversité. Il collecte les faits. Pointe du doigt là où ça fait mal. Il écoute avec cette dignité d'un homme de parole. Il est au Bangladesh au plus près des sources troubles, le trou noir de l'ouragan.
« On nous a parlé là-bas d'écoles et de maisons qui se trouvaient à un kilomètre de la rive et qui, en une crue saisonnière, ont été emportées par les eaux avec le sol sur lequel elles se tenaient ».
Le Bangladesh, pays pris en otage. « C'est également ici que sont installées depuis des décennies plusieurs des manufactures textiles et teintureries les plus importantes du pays. En confectionnant des vêtements destinés à l'exportation, elles rapportent de précieuses devises étrangères au Bangladesh. En revanche, leurs déversements toxiques dévastent ses rivières… Les consommateurs étrangers boycotteront-ils le Made in Bangladesh, taché de sang et de la sueur des couturières ? ».
« Troubler les eaux », un récit-thèse, un livre qui bouscule notre confort et nos soifs d'occidentaux. Dont nos inquiétudes ne sont que des vaguelettes. Eux, vivent le quotidien trouble, le déluge. L'eau est vitale pour tous, certes. Mais ici, Frédérick Lavoie apporte les preuves, les chiffres, les habitus d'un peule qui a le regard tourné vers l'eau chaque minute de chaque jour. « Troubler les eaux » est également un outil pour les étudiants en journalisme. Il déploie les diktats des informations. Les enjeux déontologiques, géopolitiques, écologiques, philosophiques et sociologiques. La conscience professionnelle comme rectitude. « Troubler les eaux » est une valeur sûre et spéculative. L'eau comme un mirage d'égalité de par le monde. Profondément humain tant l'on ressent la sensibilité d'un auteur qui va bien au-delà de ses convictions. C'est un essai perfectible qui bouge avec le monde. Vivifiant, crucial et sérieux. Publié par les majeures Éditions La Peuplade.
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« Qui est cet individu qui débarque du bateau pour "venir à la rencontre" des habitant.es de ce village ? Quel bagage porte-t-il en lui ? Quel bagage croit-il porter ? de quelle couleur ses goûts, ses origines, ses souvenirs et ses conditionnements teinteront-ils les lunettes à travers lesquelles il regardera la réalité de ce village ? Que sait-il de lui-même qui l'aidera à négocier son chemin jusqu'aux autres, à nouer une forme de relation avec elleux ? Qu'ignore-t-il de ses désirs, de ses aversions, mais qui orientera à son insu ses recherches?
Mais aussi : comment sera-t-il regardé par ce monde qu'il vient observer ? Quels facteurs historiques, politiques, économiques et culturels surdéterminent déjà cette rencontre avant même qu'il n'ait posé le pied sur la rive ? Quel pouvoir détiennent vraiment celleux qui y participent, d'un côté comme de l'autre de la ligne de contact, d'influer sur son cours, de défaire les a priori que "l'Autre" entretient à son sujet, et de "comprendre" le regard que cellui-ci porte sur le monde et sur soi ? Dans quelle mesure ces protagonistes arriveront-iels à se "mettre à la place de « l'autre » alors que tant de choses les séparent ? » (pp.259-260)
Quand le récit d'un reportage, souvent poignant, se mue en analyse critique par le journaliste de sa propre pratique, le texte change de titre, « Dompter les eaux » devient « Troubler les eaux », et il y a là tout un symbole, le résumé du long cheminement de pensée accompli par Frederick Lavoie, une réflexion qui l'amène à sortir des sentiers battus pour mettre en cause toutes ses certitudes professionnelles et finir par proposer une autre éthique du métier. Journaliste canadien, résidant très souvent à Bombay, auteur déjà remarqué de plusieurs livres reprenant ses enquêtes à travers le monde et ses terrains de détresse ou de guerre, Frédérick Lavoie est parti en 2017 au Bengladesh pour y rencontrer des habitants confrontés quotidiennement à l'eau, l'eau dans tous ses états : l'eau à boire, aliment de leur survie, et donc l'eau souvent à purifier, contre de multiples et désastreuses pollutions ; l'eau des moussons et des tsunamis qui noient les hommes ; l'eau des fleuves qui débordent et rendent les sols fragiles et les paysages instables… l'eau, les eaux et leur pluriel qui semble décupler leur menace, les eaux encore et toujours, et ce souci permanent d'avoir à lutter contre leur déperdition ou leur abondance, d'avoir sans cesse à les purifier, les canaliser, les dompter. Accompagné par son amie photographe et un journaliste local qui lui sert de fixeur et d'interprète, Frédérick Lavoie découvre des hommes, des femmes et des enfants, parfois coincés comme sur une île déserte sur un morceau de digue entouré par les eaux, des pêcheurs ou des ouvriers dont les conditions de travail ou de vie sont de plus en plus minées par le changement climatique et les évolutions ur place d'une économie où ils ne trouvent plus leur place. Toute une « misère du monde » asiatique et aquatique, qui fait se demander à chaque page du récit « est-ce ainsi que les hommes vivent ?»… Et puis, au fil de l'enquête, des paroles et des regards échangés, naît le trouble, cette interrogation qui devient centrale dans le texte, ce questionnement des positions respectives du journaliste et de ses interlocuteurs – comment débarrasser la relation des rapports de domination ? -, du sens même de l'investigation sur le terrain – comment oublier la tendance à venir simplement confirmer ce qu'on entend déjà trouver au préalable, pour ouvrir sa curiosité à l'inattendu ? -, de la trop fréquente indifférence aux puissances de l'environnement, aux vivants non-humains – comment briser la barrière résistante qui sépare nature et culture pour mieux saisir le « tout » d'une situation, la richesse du monde ?. Décidant d'abandonner ses réflexes professionnels habituels, proposant une autre approche, travaillée par le doute, et une nouvelle éthique, plus humble, du métier, Frédérick Lavoie n'oublie pas l'importance de cette injonction qu'il faisait sienne, dans « Allers simples » (La Peuplade, 2012) : « Il y a tant d'histoires muettes à faire parler »… Une exigence qu'il remplit ici avec toute la puissance de son talent, dont la plus belle illustration est peut-être l'anecdote, émouvante à faire pleurer le lecteur lui-même, de cette femme bengalie, rencontrée sur la langue de terre où elle survit depuis des années, et qui, après avoir offert repas et conversation à ses hôtes inconnus d'elle deux heures plus tôt, fond en larmes en découvrant qu'ils la quittent, quand elle pensait qu'ils demeureraient bien plus longtemps à partager son isolement… Un vrai grand bouquin, pour le coeur et l'esprit, en eaux troubles mais fécondes, un essai revigorant, à découvrir sans plus tarder !
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Essai d'un journalisme émancipateur, à l'épreuve au moins des impasses de ses discours et des dominations :coloniales, genrées et surtout ce regard hégémonique sur une Nature qu'il s'agirait de dompter. Frédérick Lavoie, avec un vrai talent, une forme de naïveté sans doute aussi, parvient à vulgariser les indispensables altérations d'une conception, datée, du journalisme qui se permettait de croire dans l'objectivité, qui rapportait des voix comme si le journaliste venait de nulle part, comme s'il ne cédait pas à un prêt à l'emploi (dont le livre démonte habilement les mécanismes) et son évident prêt à penser. À travers une suite de reportage qui échoue à faire entendre la voix de ceux qui vivent, au Bangladesh, ce compliqué rapport à l'eau, Dompter les eaux interroge la friction et le bruit, l'incompréhension et la difficulté de témoigner, comme composantes essentiels de notre rapport au monde.
Lien : https://viduite.wordpress.co..
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Qui est cet individu qui débarque du bateau pour "venir à la rencontre" des habitant.es de ce village ? Quel bagage porte-t-il en lui ? Quel bagage croit-il porter ? De quelle couleur ses goûts, ses origines, ses souvenirs et ses conditionnements teinteront-ils les lunettes à travers lesquelles il regardera la réalité de ce village ? Que sait-il de lui-même qui l'aidera à négocier son chemin jusqu'aux autres, à nouer une forme de relation avec elleux ? Qu'ignore-t-il de ses désirs, de ses aversions, mais qui orientera à son insu ses recherches ?
Mais aussi : comment sera-t-il regardé par ce monde qu'il vient observer ? Quels facteurs historiques, politiques, économiques et culturels surdéterminent déjà cette rencontre avant même qu'il n'ait posé le pied sur la rive ? Quel pouvoir détiennent vraiment celleux qui y participent, d'un côté comme de l'autre de la ligne de contact, d'influer sur son cours, de défaire les a priori que "l'Autre" entretient à son sujet, et de "comprendre" le regard que cellui-ci porte sur le monde et sur soi ? Dans quelle mesure ces protagonistes arriveront-iels à se "mettre à la place de l'autre" alors que tant de choses les séparent ?
(pp.259-260)
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Videos de Frédérick Lavoie (4) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Frédérick Lavoie
Retrouvez tous les balados du Salon dans tes oreille ici: https://bit.ly/3sVYd6R
À l'oc­ca­sion des 60 ans des Édi­tions du Boréal, une dis­cus­sion enrichissante vous attend avec les jour­nal­istes Frédérick Lavoie, Francine Pel­leti­er et Alexan­dra Sza­c­ka. Face à l'em­prise gran­dis­sante des géants du Web sur les médias cana­di­ens, nos panélistes parta­gent leurs réflex­ions et explorent l'essence et les défis de leur méti­er de jour­nal­istes. Une occa­sion de son­der la dynamique entre jour­nal­isme, cen­sure et lib­erté d'expression.
Avec Michel Désautels, Frédérick Lavoie, Francine Pelletier et Alexandra Szacka.
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