« Quand cesseras-tu de jouer ? » le tance son éditrice. Mais Victor, alter ego de l'auteur dans «
L'Anomalie » et comme lui auteur d'un écrit intitulé «
L'Anomalie » est plus joueur que jamais. On n'est pas oulipien pour rien. Relever des défis, jouer avec les mots, les nombres et les concepts. Les lecteurs qui se sont exprimés jusqu'ici sont majoritairement ravis, mais rares sont ceux qui comme ninosairosse se sont lancé celui de relater leur expérience sans dévoiler l'intrigue. Une mention cependant à l'un des rares insatisfaits qui en trois lignes a fait part de sa déconvenue tout en dévoilant son principal ressort. Donc mieux vaut passer en revue les avis après la lecture qu'avant, le plaisir de la nouveauté et du dévoilement n'en est que plus vif et ébouriffant.
« Il n'a retenu que onze personnages, et devine qu'hélas, onze, c'est déjà beaucoup trop. Son éditrice l'a supplié, Victor, pitié, c'est trop compliqué, tu vas perdre tes lecteurs, simplifie, élague, va à l'essentiel. Mais Victor Miesel – l'alter ego putatif de l'auteur - n'en fait qu'à sa tête. » Une tête qu'
Hervé le Tellier a bien faite comme en témoignent sa formation en mathématiques, ses titres en linguistique, ses activités dans divers médias… ce qui lui permet de créer une galerie de personnages variés, en pastichant divers genres littéraires, y compris une émission de télévision américaine, et en prime, par ses qualités humaines, de les rendre attachants – « avant » et « après ».
Avec un tel bagage, les considérations architecturales nécessaires à une partie du récit sont solidement ancrées dans le réel et les spéculations SF crédibles et étayées. le T-shirt du scientifique fantasque et son inscription I (heart) zero, one and Fibonacci nous invitent à découvrir les secrets de la suite de Fibonacci (v. 1175 à Pise - v. 1250) – qui possède de nombreuses propriétés très utilisées en mathématiques. Une d'entre elles est que le rapport de deux nombres consécutifs de la suite est alternativement supérieur et inférieur au nombre d'or, un nombre remarquable qui vaut exactement 1.61803398…
Pour faire bonne mesure, on invoque
Nietzsche : « Les vérités sont des illusions dont on a oublié qu'elles le sont. » Les cartésiens ne seront pas dépaysés, bien au contraire, avec tout un chapitre qui lui est dédié :
Descartes 2.0. Est ainsi repris l'hommage de
Philip K. Dick qui nomme son chasseur de replicants dans Blade Runner Rick Deckard – anglicisation de
Descartes. Bref c'est de la belle ouvrage et pas du travail bâclé. On regrette juste peut-être de ne pas suivre plus loin toutes ces destinées – j'aimais bien les musicos et les architectes, par exemple, pour créer une brique roborative comme le 2666 ou les Détectives sauvages de Bolaño et que la fin découle d'un choix effectué dans la ligne de la réaction du moins imaginatif des personnages.
Fera-t-on payer à
Hervé le Tellier ses facéties, ainsi que ses petites blagues qu'il ajoute au texte, comme son homologue Victor Miesel, qui ajoute des messages privés dans ses traductions ? On verra quand les lauréats des prix littéraires auront été désignés. Écrire avec un tel plaisir mérite plus un prix qu'une sanction, d'autant plus quand une majorité de lecteurs, comme il apparaît ici, le partage !