: Une aventure sur le racisme qui ne sera pas pour autant larmoyant.
"
La vie vue d'en bas" racontera une période de l'Ouest américain plus civilisée depuis l'installation du chemin de fer.
Enfin presque.
1890. Bien avant les italiens, les irlandais, l'Amérique tendit ses bras et son rêve américain aux chinois et aux noirs, bien entendu.
Les grands lecteurs des aventures de la bande-dessinée Lucky Luke de l'auteur-illustrateur Morris s'en rappelleront, avec ses noirs logés aux basses besognes et ses chinois à la blanchisserie. Il était difficile de se trouver un talent quand tous les autres en étaient capables. L'instruction et le savoir-faire pouvaient pencher dans la balance mais cela suffisait-il pour être traité en citoyen égal?
Sans travail, pas de logement, sans logement, pas de travail.
Comment se dégoter une adresse lorsque l'on est illégaux sur le territoire?
Imaginez des familles vivant dans la cave de votre immeuble, jeunes lecteurs?
C'est un peu l'histoire de la jeune Jo, chinoise arrivée toute bébé dans un coin d'Atlanta à peine sorti de ses lois ségrégationnistes.
Elle a grandi là, dans les sous-sols d'un immeuble, au nez et à la barbe des étages du dessus.
Confiée par ses parents au vieux Old Gin, un ancien instituteur chinois, Jo fera ce que font les gens, vivre ou survivre. Mais pas en volant.
La jeune demoiselle tentera de tordre le cou aux idées racistes tenaces en cherchant des places qui paient pas trop mal. Toutefois, il est souvent difficile d'y rester longtemps si cela met en péril le commerce et incommode la clientèle, même si Jo est une bonne travailleuse respectueuse.
Le point de départ sera vraiment accrocheur, les lecteurs s'attacheront rapidement aux personnages et se demanderont comment il sera possible de s'élever dans une société qui fait des coudes pointues quoi que ces nouveaux arrivants fassent.
À peine congédiée d'un emploi d'employée dans une chapellerie appréciée, Jo désespèrera de trouver mieux et plus intéressant en terme de pénibilité du travail.
" La vie d'en bas" sera t'elle un passeport pour l'enfer?
Rassurez-vous, le récit est très loin d'être déprimant, bien au contraire.
Mais comment pourrait-on s'attendre à pouvoir rebondir vers un sujet plus léger avec un contexte aussi toxique?
L'auteure
Stacey Lee se montrera habile.
Car ceci sera tout de même possible et cela fera les bonnes affaires d'un Journal local de la fiction siégeant dans l'étage.
Grâce à un conduit qui mènera jusqu'au sous-sol, Jo ne perdra pas une miette des déboires que connaîtra le Journal de la famille Bells. Difficile de survivre face aux concurrents lorsqu'on se refuse au scandales et aux commérages pour vendre, comme avec les fameuses confidences avec la colonne de Tante Edna . Les rubriques du courrier des lectrices a vraiment le vent en poupe avec le lectorat féminin.
Mais que veulent les femmes de l'Ouest?
Donner des conseils ménagers n'aura rien d'excitant. Quoi d'autres? Que voudraient-elles lire dans leur journal?
Jo semblera prête à tout avec des gens qui penseront différemment.
"... personne ne dit jamais ce qu'il pense vraiment, préférant une parade compliquée à une simple marche. Mais les Bells n'ont pas besoin d'une seconde Tante Edna. Il leur faut quelque chose de différent, de radical, pour atteindre deux mille abonnés d'ici avril. À quoi bon miser sur un deuxième cheval quand on peut avoir un dragon qui ne fait qu'une bouchée d'un canasson?...quelqu'un comme...moi. Avec ma langue bien pendue, je serais sûrement idéale pour répondre au courtier des lecteurs. J'aime le progrès et j'ai mes opinions..."
Stacy Lee nous fera découvrir ce monde encore redoutable et perfectible vu de plus bas, avec le front respectueusement baissé et les yeux humblement relevés, faisant raconter à la première personne son héroïne, toujours pleine d'espoir et, malgré le contexte social défavorable, bien consciente de sa valeur.
Jo sait-elle néanmoins lire, écrire, compter? On se posera forcément la question. L'instruction fera la différence entre tous ces gens.
Ça sera à voir.
L'auteure adoucira la situation en profilant aussi à l'horizon une romance possible avec Nathan, le fils des Bells, bien investi dans le journal et nourrissant des idées progressistes.
Le jeune homme s'adressera à Jo avec une indifférence de catégorie sociale qui nous le rendra rapidement sympathique. Jo est une demoiselle et lui un jeune bien élevé et prévenant, et c'est tout.
Au bout de 50 pages, vous serez embarqué dans l'opération très risquée de Jo pour avoir exceptionnellement voix au chapitre sur le monde dans lequel on lui a fait qu'une si petite place et nous raffolerons de sa politesse, de sa patience et de son regard aiguisé sous cape.
Ca sera très agréable de se plonger dans ce roman et l'idée est du départ captivante.
Nous espérerons avoir donné envie de le lire et , comme Jo, de ne rien lâcher.
Bonne lecture.