Dans les ténèbres qui précédaient l'aube, il était assis seul dans sa chambre et appela pour qu'on lui apporte du vin. Les servants vinrent, au nombre de trois, rien que pour servir le vin du roi. L'un déposa une nappe de soie, le deuxième un récipient de cristal poli avec un pied en or, le troisième déboucha un flacon de céramique noire. Le vin fut versé dans la coupe, Nemdur la leva jusqu'à ses lèvres, mais lorsqu'il voulut boire, le vin refusa de couler dans sa bouche.
Les trois serviteurs restèrent pétrifiés. Nemdur lui-même retourna la coupe pour voir si le vin allait en couler de la sorte, mais si le liquide roulait dans le cristal, il refusait de le quitter. La coupe s'adressa alors à Nemdur.
-Aie l'amabilité de me reposer sur mon pied, dit-elle.
Nemdur fut paralysé comme ses domestiques.
-Te voilà bien discourtois, dit clairement la coupe. Si l'on versait du vin en toi, le dégorgerais-tu dans la bouche du premier venu? Non, je vais garder l'alcool et me saouler.
La coupe émit alors un rot et Nemdur, avec un juron, la laissa tomber. Le cristal se fracassa sur le dallage en une quantité innombrable d'éclats, et de chacun d'eux jaillirent des pleurs terribles et le vin se répandit comme du sang.
Des évènements étranges se produisirent à Sheve à la même époque. Les lampes s'allumaient et brulaient sans pétrole; les bouchers racontaient des histoires de têtes qui parlaient et réprimandaient les abatteurs. Il arrivait qu'une femme se poudre le visage et le talc devenait noir comme la suie, ou bien il naissait un chevreau à cinq pattes, ou bien des poules pondaient des œufs en bois, ou bien les portes qui s'étaient toujours ouvertes vers l'intérieur s'ouvraient vers l'extérieur et l'eau qui coulait d'une fontaine publique jaillissait soudain dans les airs. Ce genre d'événements, naturellement, étaient dus à la présence de Chuz.