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sur 707 notes
Dévoré en à peine quelques heures de lecture, je pense que je vais avoir du mal à structurer mon propos pour cet avis tant ce petit livre est riche et d'une finesse hallucinante.
Mon premier livre de cet auteur sino-américain qui frise le génie ici !
Je découvre le format documentaire dans le genre SF, rien que ça, j'ai trouvé l'idée originale et vraiment innovante pour ce que j'en connais. Envie de découvrir d'autres documentaires teintés de SF d'ailleurs parce qu'une fois terminé, il y a comme un goût de trop peu !
Je ne connais que peu cette période historique et l'histoire de l'annexion de la Mandchourie par le Japon, j'avais lu quelques romans à propos des "femmes de confort" mais l'unité 731 n'était inconnue avant ce livre !

Au même titre que bien des horreurs perpétrées par l'humanité, ce "détail" de l'Histoire mériterait de toucher le plus grand nombre ! La vérité dérange c'est certain mais elle est nécessaire. Intéressant, documenté et captivant cet enchaînement d'interviews, d'intervention, de témoignages sur ces crimes contre l'humanité posent et laissent le lecteur réfléchir sur toutes ces questions philosophiques : L Histoire, les témoignages, la notion de vérité(s) et d'interprétation(s), l'éthique, la médiatisation, l'objectivité, l'opinion publique, le négationnisme.

En bref, j'ai été scotchée par ce très court ouvrage où seul le voyage spatio-temporel apporte la touche de science-fiction qui paraît presque réel au vu du contexte dans lequel il est mis en scène, le reste des faits évoqués étant issu de recherches historiques poussées. Comme une envie de découvrir d'autres livres du même genre, du même auteur, d'aller me documenter sur cette période (hélas trop méconnue) pour découvrir les controverses relatées par l'auteur.

Un réel coup de coeur pour cet ouvrage d'anticipation mémoriel. Un vrai trait de génie dans l'univers SF contemporain.
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On m'avait appris que l'homme qui avait mis fin à l'histoire était un Américain d'origine japonaise, Francis Fukuyama. En 1992, Fukuyama publia La fin de l'histoire et le dernier homme. Dans cet ouvrage controversé, le philosophe américain, reprenant une idée développée initialement par Hegel dans la Phénoménologie de l'histoire, expliquait que la fin des dictatures militaires et l'effondrement du bloc soviétique allaient ouvrir une avenue sans ornières à la démocratie libérale et à l'économie de marché et marquer la fin des guerres*.

Dans L'homme qui mit fin à l'histoire, Ken Liu nous apprend que c'est un historien américain d'origine chinoise, Ewan Wei, qui a mis fin à l'histoire. En inventant avec sa compagne américaine d'origine japonaise une machine à remonter le temps, l'historien peut remonter le temps pour aller enquêter sur les crimes contre l'humanité de l'unité 731 de l'armée impériale japonaise.

Entouré de nombreuses critiques positives, L'homme qui mit fin à l'histoire illustre néanmoins le proverbe "qui trop embrasse mal étreint".

Cette novella de Ken Liu, dont l'éditeur indique qu'il "dynamite les littératures de genre" aux Etats-Unis, aborde beaucoup de genres : l'histoire de l'unité 731 donc, le droit entre le Japon et la Chine, la science-fiction avec le voyage dans le temps, les relations sino-japonaises autour des crimes de la fameuse unité 731, l'amour entre deux personnes différentes, la repentance, ... Et tous ces genres sont traités en utilisant une narration singulière puisque Liu a choisi de présenter son oeuvre comme un documentaire**.

Le souci, c'est que trop de genres sont abordés ; au point que la novella ressemble aux pirates du film qui sont "bons à rien, mauvais en tout".

Au final, même si quelques fulgurances apparaissent et que l'auteur s'interroge sur des questions importantes - notamment celle de la réparation entre des Nations qui ont disparu depuis la fin d'un conflit - la novella est assez décevante dans chacun des genres.

Par exemple, en ce qui concerne la fameuse unité 731, dont les crimes sont peu connus en Occident, on en apprend finalement assez peu et nettement moins qu'en allant lire la page Wikipedia qui lui est consacrée.

Et c'est le cas de tous les autres genres abordés par le livre - la dimension SF du livre est légère, l'histoire d'amour entre les deux principaux personnages peu intéressante, le passé de l'un des deux personnages convenu,...

Au fur et à mesure de la lecture, le plaisir des premières pages s'est étiolé à tel point que la lecture de ce court roman s'est avérée très longue. Finalement, c'est peut-être que le concept de fin de l'histoire n'est pas le plus facile à manier ; ou que n'est pas Hegel qui veut.

* Fukuyama s'alertait également des progrès technologiques et du transhumanisme à venir.
** Bizarrement, l'éditeur a supprimé cet aspect dans le titre de la novella.
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Unité 731
Dans un futur proche un couple de scientifiques met au point un procédé qui permet de voyager dans le temps. Pas physiquement, mais par le cerveau (je vous passe les détails qui relèvent à la fois de la physique et de la science-fiction), et uniquement dans le passé, sachant qu'un « voyageur » ne peut « visiter » qu'une seule et unique fois la période ou l'évènement choisi qui, au retour, se sera effacé… le choix d'Evan Wei et de son épouse Akemi Kirino se porte sur la guerre entre la Chine et le Japon en Mandchourie dans les années 30-40 (un choix parfaitement assumé, lui, historien, étant sino-américain, et elle, physicienne, nippo-américaine) et plus particulièrement sur les « activités » de l'Unité 731, une unité militaire où les japonais se sont livrés à d'effroyables expérimentations médicales sur des prisonniers essentiellement chinois. Alors que de nombreuses voix s'élèvent pour s'y opposer, Pr Wei décide de faire « voyager » des descendants volontaires des victimes de l'Unité 731 (n'aurait-il pas mieux valu envoyer des historiens, dépourvus de toute charge émotionnelle ?), afin qu'ils puissent témoigner de la réalité des exactions commises et que le Japon reconnaisse enfin avoir commis des crimes contre l'humanité.
Quelle claque que cette novella ou court roman ! En une centaine de pages l'auteur réussit la prouesse d'aborder des thèmes extrêmement riches, tenant à l'Histoire et à la mémoire, par le biais du voyage temporel : reconnaissance des crimes de guerre, méthodologie des historiens, travail mémoriel, responsabilité personnelle ou collective, héritage historique…
J'ignorais tout de cette Unité 731, surnommée l' »Auschwitz d'Asie »… Je connaissais (un peu) la guerre sino-japonaise (notamment le massacre de Nankin) mais visiblement mes cours d'histoire sont très lointains. Je suis même allée voir sur internet s'il s'agissait de faits rééls ou inventés par l'auteur… Hélas, Ken Liu (chinois de naissance) a bel et bien extirpé cette Unité 731 de l'Histoire. D'ailleurs l'Histoire, parlons-en : comment tracer avec véracité les évènements, sinon par les témoignages ? Mais qui dit témoignages dit aussi subjectivité, interprétations…
Pour le Pr Wei, le Japon doit reconnaître ses crimes de guerre et présenter des excuses officielles : seuls les témoignages directs via son procédé (controversé) peuvent y parvenir en sensibilisant les populations (japonaises mais aussi chinoises et occidentales) et en reconnaissant aux descendants des martyrs un véritable statut de victimes de guerre. Mais le procédé mis au point par Wei et Kirino efface les évènements qu'ils s'efforçaient de préserver empêchant toute « vérification » (cependant, un même évènement vu ou vécu par des personnes différentes peut être relaté de manière diamétralement opposée)…
Généralement, les romans traitant du voyage temporel sont distrayants (j'en suis fan !) : ici évidemment, rien de tel. Indépendamment des atrocités relatées (plusieurs paragraphes très difficiles), l'auteur donne à son lecteur de quoi réfléchir, à travers de multiples questions d'ordre juridique, scientifiques, éthiques voire philosophique. Et que dire de la fin, totalement inattendue qui m'a fait l'effet d'un coup au coeur ?
Intelligent mais éprouvant.
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Il est de ces livres qui vous tordent les tripes et vous laissent la sensation encore endolorie du bonne gifle en pleine face une fois l'ultime page tournée. L'Homme qui mit fin à L Histoire en fait partie.

Ken Liu livre ici un petit bijou littéralement ébouriffant qui met sous les projecteurs un pan (trop) méconnu - et malheureusement terriblement lugubre - de l'Histoire de la Chine, qui prend racine dans les années 1930 lorsque le Japon mena de massives expérimentations illégales sur des cobayes humains chinois, causant ainsi la mort de plus de 500 000 innocents. Oscillant entre l'anticipation et le drame historique, le récit trouve un parfait équilibre dans cette symbiose au contexte scientifique des plus inédits.

L'auteur signe de sa plume ciselée un roman construit sous forme de témoignages de diverses sortes - conférences, auditions et j'en passe - qui n'est pas sans rappeler le Word War Z de Max Brooks, conférant ainsi un réalisme saisissant et engageant pleinement l'empathie du lecteur. Et c'est bien là le dessein de l'écrivain : insuffler à sa diatribe envers le négationnisme - incarné ici principalement par les gouvernements Japonais et américains - une authenticité rare afin d'éveiller les consciences de son auditoire. A ce propos attention, l'abjection de certains passages - généralement peu avares en détails sordides - pourraient heurter la sensibilité des plus douillets.

Ken Liu ne cherche pas à réclamer justice à tout prix, il n'en a pas la légitimité, il aspire modestement à rendre leur dignité, acquise de par leur condition d'Hommes nés libres, à tous ces êtres victimes de la barbarie et de l'aliénation d'une minorité s'estimant au-dessus des lois de la Création. Derrière l'acidité pamphlétaire de façade, L'Homme qui mit fin à L Histoire farde en son sein un puissant cri de l'Humanité profondément sincère. Ce n'est pas les voies de la souffrances qu'emprunte l'auteur, non bien au contraire, à travers l'horreur du sujet il ouvre les portes de la rédemption et du pardon.

Vous êtes amateur de science-fiction pure et dure et, au vu de ce que vous avez déjà lu de ma critique, vous vous demandez si vous y trouverez votre compte car ce livre trône fièrement dans les étals de suggestions de votre genre fétiche ? Pas de panique, vous allez aussi vous régaler. L'écrivain, dont le cursus universitaire en partie scientifique n'y est sûrement pas étranger, imagine ici une théorie franchement visionnaire et bien pensée, mais surtout terriblement bien disséquée. L'Homme de sciences enfoui en moi (pas très profondément j'avoue du coup c'était facile) s'est pris à rêver devant la beauté de ce concept de particules objets et témoins de l'espace-temps.

Le mieux qu'il vous reste à faire à présent, que vous soyez scientifique (ras de laboratoire, éminent mathématicien ou que sais-je encore), fan de drames noirs ou tout simplement animé par l'envie de découvrir un pan méconnu de l'Histoire, c'est bel et bien de vous procurer cette, certes courte, mais intense pépite de Ken Liu. Vous n'en sortirez pas indemne, voilà qui est dit.
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Ce livre entre dans L Histoire par la grande porte de la littérature.
L'année dernière le documentaire « Kizu les fantômes de l'unité 731 » de Serge Viallet ( 2004 ) m' avait fait pénétrer dans l'horreur des faits.
« L'homme qui mit fin à l'histoire » de Ken Liu est un roman classé sciences fiction, SF.
Et l'intelligence de la démarche littéraire de Liu c'est justement d'avoir pris appui sur la fiction pour nous renvoyer l'écho du passé. de notre passé. Il fallait cette distance pour que toutes ces questions soient audibles. Il fallait ce retour visuel, factuel, textuel.
Ce travail « en années lumière » pour faire le point sur cette nuit .
Lisez ce livre, documentez vous sur l'histoire de l'unité 731.
Pourquoi, me demanderez vous ? Pourquoi remuer le passé ?
Mais pour savoir. Savoir et comprendre davantage la suite de l'histoire.
Un peuple qui aujourd'hui n' a pas la possibilité de faire face à son histoire, qui laisse le mensonge régner, qui accepte l'occultation des faits au nom d'une « tranquillité », et de ses petits arrangements politiques ou économiques, n'aura demain aucune crédibilité, aucune autorité, pour agir face à l'histoire qui se déroule devant ses yeux.
Ce livre devra être étudié dans tous les cours d'histoire, et également doit être remis entre les mains de tout futur diplomate. Mais plus largement entre les mains de tous.
Il est le sujet d'une étude qui permet de réfléchir sur ce qui doit être rapporté, remonté des filets de la mémoire , et de sa conservation.
Comment analyser, qui juger ? , les peuples, les pays, les gouvernants ? Quel devoir avons nous envers les victimes ? Comme opérer l'archéologie des faits ?
Objectivité, subjectivité, à qui revient le soin de porter témoignage ? Quelle est la généalogie de la souffrance ? L'émotion doit elle être absolument soustraite des faits ? Doit on rendre l'histoire présentable au risque de la rendre méconnaissable ? Doit on restaurer le passé ?
Au nom de qui, au nom de quoi faut il continuer les recherches, quelle doit être la déontologie des acteurs, des rapporteurs, des conservateurs ?
Histoire, politique, géographie, qui peut prendre contrôle du passé ? A qui demain appartiendra le passé ?
Le témoignage historique est une narration. Narration constituée de signaux enregistrés par le cerveau comme nous le rappelle Ken Liu.
Cela ne constitue pas une illusion. Qui prendrait contrôle des cerveaux aurait-il demain contrôle du passé ? Doit on sécurisé
Qu'en sera-t- il de nos cellules miroirs ? Seront elles dirigées ? Notre empathie peut elle être développée par l'amplification des témoignages, des images ? Notre émotion peut elle être manipulée ?
Quantité, qualité des informations. Filtrage, analyse des informations. Qui supprime qui confisque qui censure le passé, ce passé qui est toujours présent d'un instant ?
Quel place doit prendre le passé dans notre futur ? « Plus de seize millions de civils ont péri en Chine lors de l'invasion japonaise » . Seize. Seize millions.
Ce nombre n'est pas concevable pour un esprit humain. Pas plus que l'horreur des camps d'extermination instaurée par le nazisme, pas plus que les victimes d'Hiroshima et de Nagasaki, pas plus que le nombre de toutes les victimes civiles de tous le génocides connus et ceux qui malheureusement sont toujours à venir. Car la boucherie continue. Voyez Alep. Voyez ce qu'il en reste.
Alors est-ce que la science doit avoir place dans ce débat ? Est ce suffisant de radiographier les momies égyptiennes, de repeindre des cathédrales, de restaurer le plafond de la chapelle Sixtine, de reconstruite pour la énième fois Lascaux... est ce suffisant ?
Quel tombeau doit être désigné comme étant digne de science ?
Beaucoup de questions dans ce livre. Oui livre de science fiction. Grand auteur, grand livre.
Ce livre fera débat je l'espère. Il ne demande que cela, je crois.
Il ne demande pas que justice soit faite, mais qu'au moins les faits soient connus.
Après ce que nous devons en faire ? , cela nous concerne tous, parce que nous le voulions ou pas notre mémoire est notre patrimoine. Et il n'y a pas de mémoire d'état, le menteur est comme le flatteur il vit au dépend de ceux qui l'écouteront.
Manipulation des informations, des mémoires, liberté d'information, de recherche.
Pourquoi demain faudra t ile encore parler du passé du l'unité 731 ? Pour combattre tous les négationnismes dont les têtes repoussent continuellement telles de hideuses gorgones.
Parce que parler demain encore du passé, c'est donner un avenir à notre présent.
Vivre sans oublier doit être un droit pour chacun, afin qu'il soit concevable que cela devienne un jour un devoir pour tous.
J'ai découvert Ken Liu grâce aux lecteurs de Babelio, grâce à leur témoignage de lecture. Je les remercie tous quelque fut ou sera leur analyse.
Parce qu'ils ont pris la peine de transmettre leur témoignage, de donner leur propre avis et de les confronter aux autres.
Pourquoi parler des livres ? Parce qu'ils surgissent du passé ou qu'il nous parle du futur ils nous offrent toujours un avenir à toutes nos lectures.

Astrid Shriqui Garain

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Je suis assez bluffée par la diversité des récits de Ken Liu, particulièrement frappante quand on « saute » d'une lecture à l'autre au gré de ses recueils de nouvelles.
L'homme qui mit fin à l'histoire est un court roman de tout juste un peu plus de 100 pages. L'action a lieu dans un temps que l'on devine légèrement futur, mais qui pourrait quasiment être contemporain dans lequel les avancées scientifiques permettent dorénavant de voyager dans le passé, mais ces voyages effacent l'instant visité. Ce sont les scientifiques propriétaires du procédé qui détiennent le choix des personnes pouvant faire ces voyages ainsi que du lieu et de la période visités : ils choisissent une sombre période de la seconde guerre mondiale –version sino-japonaise- comme destination : l'expérimentation sur des humains n'était malheureusement pas l'apanage de tortionnaires européens, les asiatiques se révélant tout aussi imaginatifs dans l'atrocité.
La structure, originale, sous forme d'un documentaire comprenant plusieurs reportages, chacun d'entre eux mettant en avant différentes parties prenantes, permet d'aborder le sujet sous plusieurs prismes : les récits des voyageurs, les séquences sur les réactions engendrées par ces voyages, la pertinence des choix des scientifiques, notamment dans la sélection des voyageurs, et finalement tous les enjeux politiques d'une invention au potentiel non maîtrisé –à qui appartient le passé ? Aux descendants des victimes ? Au pays martyr ? Quelles limites s'imposer s'il y a un risque de déséquilibrer les alliances politiques fragiles ? … Vaste questionnement, loin d'être inintéressant. Ici, je ne sais si la faute à un récit un peu court, la réflexion m'a semblée un peu inaboutie et très orientée scenario plutôt que roman.
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Et si l'on disposait, dorénavant, d'un moyen simple et incontestable de vérifier les faits historiques ?
Telle est l'idée de base de cette novella singulière signée Ken Liu.

Les fictions « Et si... » suivent généralement le même modèle : l'auteur extrapole sur la base de cette hypothèse de départ et imagine toutes les conséquences logiques sur notre société.
Ici, c'est assez différent. L'hypothèse de départ sert moins à construire un univers décalé qu'à jeter un nouveau regard sur notre monde et notre Histoire.
Cela explique que la partie SF soit réduite au concept original lui-même, que d'ailleurs l'auteur expédie dans les dix premières pages. Si vous recherchez une bonne petite histoire de science-fiction, en particulier un bon divertissement, vous risquez d'être fortement déçu…


Nous avons en réalité affaire à un texte engagé avec un message précis, qui m'a tout de suite rappelé le film Reality sorti en août 2023. Reality dénonce le deux poids deux mesures qui s'est abattu sur la lanceuse d'alerte Reality Winner (voyez-vous comme moi l'ironie dans le nom et le prénom de la jeune fille ?). le film prend la forme d'une reconstitution glaçante des évènements clés de cette affaire très américaine. L'homme qui mit fin à L Histoire prend quant à elle la forme d'un reportage (fictionnel) relatant l'invention scientifique et son usage concret pour donner un coup de projecteur sur l'un des épisodes les plus sombres de l'humanité, à savoir les crimes perpétrés sur les Chinois par les membres de l'Unité 731 lors de l'occupation japonaise.

Ce qui me conduit à lancer un deuxième avertissement : le texte contient des passages particulièrement choquants, notamment des descriptions crues de pratiques criminelles, humiliantes, et d'actes de torture. L'impact émotionnel est amplifié d'abord par l'écriture froide et distante de l'auteur, faisant écho à l'attitude elle-même détachée des tortionnaires. Ensuite, par cette intuition lancinante que cette fiction n'en est pas tout à fait une. Que derrière la fiction, la réalité est là cachée, qu'on cache ou qu'on se cache. Que pour aborder un tel sujet, pour mettre les pieds dans le plat de cette façon, l'auteur s'est surement bien documenté – confirmation dans la postface, instructive.

Ce n'est peut-être pas tant l'horreur de ce massacre en particulier qu'a voulu pointer Ken Liu, mais le fait qu'il demeure pratiquement inconnu, et non reconnu, aujourd'hui encore. La conjonction des deux, certainement. Un paradoxe et une injustice.


J'expédie rapidement les qualités littéraires de ce texte qui réussit à être tout à la fois : court, dense pour ce qui est de la matière à réflexion, fluide et aéré grâce à sa structure particulière faite de courts témoignages (une à trois pages) apportant autant des points de vue successifs. Un zapping digne des meilleurs reportages américains modernes, on s'y croirait !
On pourrait penser que cette forme convient mal à l'écrit, qu'elle va nuire au propos. Il n'en est rien. Dans ce cas précis, Ken Liu ne déroule pas une démonstration. Il pose le sujet, avance des arguments, questionne notre jugement, malmène les puissances, se moque de l'homme du peuple et ses réflexions à l'emporte-pièce. Mais, à chacun, il donne la voix, car au final c'est bien de la diversité des points de vue, des cultures et des histoires que semblent découler les paradoxes et le statu quo concernant ce sujet brûlant et glacial, ce terrain miné.


J'ai particulièrement apprécié comme l'auteur a réussi à faire ressortir, en quelques phrases et avec clarté, les lignes de raisonnements, les rapports de force, les fronts d'oppositions, mais aussi les biais cognitifs et culturels, l'irrationalité humaine. Un exemple parmi cinquante : la Chine a mauvaise presse dans le monde occidental. Ce pourrait-il être un biais rendant inaudible chez nous une injustice dont elle serait la victime ? Et jusqu'où peut-on alors déplacer le curseur de l'injustice avant de l'entendre finalement ? Telle est la nature des biais, et si vous vous intéressez un tant soit peu à ces questions, Ken Liu en a plein dans la valise !
Pour ne rien gâcher, j'ai trouvé que le propos était assez mesuré pour un sujet aussi asymétrique. L'auteur souligne d'ailleurs l'étrange et tragique «mimétisme » qui affecte les puissances chinoise et japonaise depuis la fin de la guerre, contribuant au statu quo. La politique américaine n'est pas davantage épargnée (pour info Ken Liu vit aux États-Unis). Quant aux tortionnaires, ils sont décrits comme ordinaires (« Il n'y a pas de monstre. le monstre, c'est nous. »), ce qui évite habilement l'anathème racial tout en laissant un goût amer.


Maintenant, un petit avis aux férus de SF :
Vous adorez le concept de base, mais la mise en oeuvre centrée sur les crimes de guerre ne vous attire pas spécialement ?
Vous aimeriez lire un vrai roman exploitant le concept de base ?
Vous aimeriez un roman de divertissement plutôt que politique ?
Vous aimeriez un roman SF, allez, osons : hard SF, à la mesure du concept de base ?

Eh bien j'ai le plaisir de vous annoncer que ce roman existe !
Le miroir du temps, de Jean-Michel Calvez, est cette perle rare, par ailleurs publiée trois ans avant la nouvelle de Ken Liu. Une lecture parfaitement complémentaire…
Le concept original est vraiment très proche dans les deux fictions. D'ailleurs, le télescope dans l'espace pour faire comprendre l'idée existe bel et bien dans le Miroir du temps, même s'il n'a pas la même fonction. Aussi, la condition nécessaire de dépasser la vitesse du temps est traitée différemment par les deux auteurs : Ken Liu botte en touche avec son arnaque des particules quantiques, tandis que Calvez convoque un domaine qu'il connaît bien : la physique des ondes.
J'ajouterais que chez Calvez, l'exploitation du concept est autrement vertigineuse.
Je n'en dirais pas plus car l'une des marques de fabrique de l'auteur français est de ménager le suspense. Mais vous pouvez toujours jeter un oeil à la critique que j'en ai fait il y a… 2 mois : le hasard des lectures !
D'après mes recherches, Calvez a d'ailleurs traduit plusieurs nouvelles de l'auteur chinois par la suite. Les affinités...


Et dans le genre dystopique, l'excellent Golden State est un lecture également intéressante, car dans la société décrite, la vérité vraie est connue et stockée par d'autres moyens, ce qui implique aussi la connaissance du passé...
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Un mois de février très gris en lecture…

Ce livre, conseillé par mon libraire a été une déception…
Nous parlions de voyage dans le temps dans les romans et il m'a tout de suite parler de ce roman.

L'histoire décrite sur la quatrième de couverture m'a séduite :
"Deux scientifiques mettent au point un procédé révolutionnaire permettant de retourner dans le passé. Une seule et unique fois par période visitée, pour une seule et unique personne, et sans aucune possibilité pour l'observateur d'interférer avec l'objet de son observation."

Le côté "science-fiction" s'arrête là.

Les candidats au voyage dans le temps visitent l'Unité 731 : créée entre 1932 et 1933 par mandat impérial, c'était une unité militaire de recherche bactériologique de l'Armée impériale japonaise. Officiellement, cette unité se consacrait « à la prévention des épidémies et la purification de l'eau », mais, en réalité, elle effectuait des expérimentations sur des cobayes humains comme des vivisections sans anesthésie ou des recherches sur diverses maladies comme la peste, le typhus et le choléra en vue de les utiliser comme armes bactériologiques. Les expérimentations bactériologiques pratiquées au Mandchoukouo, notamment par largage aérien, ont fait entre 300 000 et 480 000 victimes.

Le livre est un prétexte pour décrire les horreurs et dénoncer un crime contre l'humanité.

Ces faits furent une découverte pour moi : c'est atroce, visuel.

Le roman est rédigé comme un documentaire : chaque visiteur raconte son expérience lors d'interviews.

Ce livre ne m'a pas particulièrement emportée, touchée (bien sûr c'est horrible), mais le style narratif m'a profondément ennuyée.

Résilience, crimes, mutilations, génocide, passé, falsification de l'histoire, travail des Etats et des historiens, déni sont les thèmes abordés.

Mais par le style journalistique, ce livre ne fait pas honneur aux hommes et et aux femmes assassinés.

Surtout qu'après la guerre, les membres de l'Unité 731 ont négocié avec le général Douglas MacArthur et les autorités américaines un pacte les soustrayant aux poursuites intentées par le Tribunal de Tokyo. En échange, les États-Unis ont reçu du directeur l'ensemble des résultats des tests menés à l'unité 731, résultats qu'il avait conservés dans sa fuite ; il a ainsi bénéficié d'une totale impunité.

Dans l'atroce, le sordide l'humain est le plus vil des animaux.
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La preuve que rien n'est écrit et que rien n'est jamais gagné… Voilà un court roman (une longue nouvelle ?) qui est encensé de partout et moi, je viens de passer royalement à côté.

Pourtant, le postulat de départ avait tout pour me plaire : Evan, un historien, et Akemi, une physicienne (en couple), inventent un scanner quantique qui permet à un témoin de revivre un moment du passé du monde comme s'il y était lui-même. Limite : un moment revécu devient inaccessible à toute observation ultérieure (problème de la mesure en physique quantique).

Attention, je ne suis pas passée à côté de tout non plus !

Je me suis instruite sur l'Auschwitz asiatique (ne me demandez pas s'il est pire ou moins pire que celui des Allemands, à ce niveau là, on ne compare pas), cette Unité 731 dont je ne connaissais même pas l'existence, vu qu'on ne m'en avait jamais parlé et que, malgré mes nombreux livres lus sur la Seconde Guerre Mondiale, je n'en avais pas connaissance du tout.

Oui, je suis tombée de haut, j'ai eu froid dans le dos, pourtant, l'auteur nous livre un compte-rendu de certaines des horreurs qui s'y sont passé avec un ton froid, clinique et j'ai trouvé ça dommage, j'aurais aimé ressentir plus d'émotions.

Le problème des dilemmes qui se présentent face à cette possibilité de retourner voir l'Histoire, seul, et puis qu'après plus personne ne puisse y avoir accès est bien traité, on sent les tiraillements, les discussions, les problèmes de consciences des uns et des autres, la question de quelle personne envoyer, les silences du Japon qui ne veut pas que l'on fouille dans ses placards obscurs et peu reluisants, tout cela est bien traité.

Et moi, je suis passée à côté. Ce petit roman de SF ne devait pas être fait pour moi.

À vous de le tester pour voir si vous serez dans la majorité qui l'a apprécié ou si comme moi, l'écriture sous forme de documentaire vous déroutera, ainsi que la froideur de l'écriture.

Lien : https://thecanniballecteur.w..
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Avertissement : ce n'est pas un livre de SF à proprement parler et il peut donc décevoir ceux qui attendent que le concept de base soit développé à fond. Il intéressera en revanche tout amoureux de la littérature humaniste. Explications.

Il faut d'abord faire attention, le titre complet n'apparaît pas sur la couverture : "L'homme qui mit fin à l'histoire : un documentaire". Nous n'avons pas affaire à un roman mais à un livre plutôt original consistant en la transcription d'un documentaire fictif. Nous entrons donc très vite dans le bain, imaginant ce que l'on verrait à la télévision avec ses interviews, son rythme et ses points de vue différents.

Ce n'est donc pas un livre de Science-Fiction : l'invention de départ, dévoilée dans la quatrième de couverture, n'est quasiment pas développée. Et il y aurait de quoi écrire des pavés avec un tel postulat : la possibilité de "voir" le passé une seule fois, après quoi il ne serait plus possible de le consulter à nouveau.
C'est donc une nouvelle situation révolutionnaire dans l'état du monde qui sert de prétexte à étudier les réactions des différents personnages.

Ce faux documentaire se concentre sur la dénonciation d'atrocités : des crimes de guerre et contre l'humanité particulièrement horribles. C'est passionnant pour la découverte de cette "Unité 731" et ce qui en découle (je ne connaissais pas et toutes les responsabilités sont passées en revue).
Il ajoute, au travers de cette possibilité de voir le passé une seule fois, un débat sur l'histoire, le rôle de l'historien, de l'archéologue, du témoignage, des protagonistes (bourreaux et victimes).

Ce livre est plus un essai "augmenté" grâce au postulat scientifique qui introduit de nouveaux paramètres, une nouvelle façon de considérer sa relation à L Histoire. Il introduit nombre de pistes de réflexion supplémentaires sur le rôle du témoignage, sa crédibilité, sa manipulation.

C'est un joli, court livre, très vite lu (deux belles fautes de français détectées). Des réflexions profondes nous transportent. Il m'a parlé car j'ai toujours aimé imaginer des sujets dans un genre "et que se passerait-il si ?".

Lien : https://pdefreminville.wixsi..
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