"I can give you not what men call love" et via la traduction française "
Ce que les hommes appellent Amour"
C'est donc cette phrase (tronquée) de P.B. Shelley citée par
Machado de Assis dans ce doux roman que l'éditeur français aura décidé de retenir comme titre français alors que le titre original était Memorial de Aires.
Une erreur selon moi car elle induit une fausse idée dès le départ.
Je vous le dis tout net,
Machado de Assis ne s'est pas attelé à décortiquer ce que les "hommes" appellent amour (ou alors je n'ai rien pigé au livre !).
Sous la forme d'un journal intime, l'ancien diplomate nommé Aires, rentré au Brésil à la fin de sa carrière, observe ses familiers.
Il nous conte sa solitude sans jamais dévoiler son passé ainsi que l'amour naissant, le frisson des prémisses (quoique diplomatie et 1908 obligent, les descriptions restent très sages) et la douleur d'aimer.
Cette histoire, pour ceux qui sont insensibles à la sublime écriture de Machado de Assis, restera un grand moment d'ennui.
Eh oui, je me dois d'être honnête, ce livre-là n'est sûrement pas LE livre de Machado de Assis à conseiller pour découvrir l'écrivain.
Pourtant, on y retrouve tout ce qui fait la magie de Machado de Assis : la pureté des phrases, la parfaite mesure du rythme, la lente progression vers une conclusion grinçante et cruelle, l'analyse des relations entre les êtres.
Seulement voilà, l'auteur n'est pas du genre à agripper ses lecteurs. Au contraire, beaucoup ont dû le lâcher en route mais le cadeau est au bout du chemin... comme toujours chez
Machado de Assis.
Les habitués le savent et restent dans l'embarcation pour savourer le final qu'ils ont patiemment attendu au fil des pages. Final que l'auteur ne rate jamais (c'est assez rare pour être souligné).
Avec une langueur inouïe,
Machado de Assis nous entraîne lentement vers une réflexion sur l'Amour en général, et sur son "don". Derrière cette idée, on découvre les notions de gratitude ou d'ingratitude, de retour ou pas sur investissement affectif...
Mais Machado de Assis ne nous livre pas une étude fouillée clef en main du comportement humain et les réflexions qui affleurent tout au long de la lecture restent subtiles. Ce qui est aussi la marque de fabrique de l'écrivain.
D'où l'idée que le titre peut amener à imaginer une toute autre lecture, à attendre une véritable observation du comportement amoureux masculin et ce sera la déception assurée.
De même la critique de
Patrick Kéchichian dans le Monde me laisse dubitative : "[...] une période importante où l'esclavage est enfin aboli au Brésil. L'évènement est présent en filigrane dans le roman. Il marque la fin d'un monde, tout comme l'intrigue est le signe extérieur d'une autre fin, celle des affections humaines et du temps des passions."
Je ne crois pas que Machado ait pu penser un seul instant que le temps des passions était révolu (quelle drôle d'idée) et je n'y ai assurément pas vu cela ! D'ailleurs je n'y ai clairement pas vu de passion (ni de fin d'un monde) ! Mais les héros du livre ne portent pas non plus à cela.
J'y ai vu de l'amour intense, certes, mais dénué de toute folie (propre à la passion).
Ce que Machado nous montre, c'est qu'à l'évidence l'amour peut faire mal même avec les meilleures intentions, les plus louables et les plus honnêtes, et c'est cette idée là qui m'a séduite.
Un livre à réserver donc aux amateurs de lenteur et de mélancolie, attention tout de même, la gamberge est de rigueur chez
Machado de Assis et c'est cela qui est bon.