Voici un court roman si riche d'enseignement et d'amour, l'auteur
Naguib Mahfouz peint son pays à travers quelques personnages ou l'amour reste en apesanteur dans cette atmosphère lourde et oppressante. L'auteur Égyptien, prix Nobel de la littérature en 1988, est l'ambassadeur historien de son pays, dans ce réalisme littéraire comme l'avait été Émile
Zola et
Dostoïevski, il a aussi ce romanesque faisant écho à d'autres auteurs comme
Charles Dickens,
Honoré de Balzac et
Léon Tolstoï. Karnak Café écrit en 1971 se trouve dans la période réalisme de l'auteur, sous fond de rencontre de comptoir, distille une atmosphère post révolution de méfiance et d'espoir déchu.
Le roman débute dans un vagabondage inattendu, une montre cassée, le temps suspendu pour cette rencontre fortuite d'un café, celui du titre du livre, le Karnak Café. le narrateur reconnait dans la patronne une ancienne danseuse orientale, l'étoile de l'Imad Addine, Qurunfula, la star des années 40, de ces souvenirs une tendresse émouvante habille cet homme, encore surpris par la beauté de cette femme malgré son âge. Happé par l'ambiance de cet estaminet, notre narrateur va faire connaissance de tous ces habitués pour se lier d'amitié avec certains et être le confident pour d'autres. le pays est dans l'espoir de la révolution de 1952, de cette révolution porteuse de changement et de beaucoup d'espérance, surtout pour la jeunesse, nous sommes surement autour de l'année 1967, juste avant le conflit israélo-arabe, à la fin du roman, l'Égypte est dans la tourmente avec Israël, c'est cette spirale qui va gangréner la géopolitique de la région, d'ailleurs en 2024 le génocide des palestiniens reste la pire horreur non dénoncée par des occidentaux prisonniers d'un aveuglement d'idéaux sociétaux et financiers.
Naguib Mahfouz structure son roman en quatre chapitres distincts, chacun portant le titre d'un personnage du café, Qurunfula, Ismaïl al-Shaykh, Zaynab Diyab, et Khalid Safwan, les trois premiers sont des habitués parmi eux la patronne, Qurunfula, Ismaïl al-Shaykh, un étudiant en droit, comme Zaynab Diyab sa petite amie, ils sont du même milieu social, étouffée par les traditions et la misère qui les noient dans un précipice inévitable, les éloignant l'un de l'autre par cette malédiction des conséquences de la terreur qui suit une révolution et de la cupidité virale qui infecte la pauvreté des âmes misérables ! le dernier n'est pas un habitué, un homme de passage, un homme faisant partie de la terreur, un homme brisant les rêves de ce jeune couple d'étudiant, un homme sans charité, sans compassion, un homme sournois et machiavélique à la solde d'une cabale contre la multiple pensée, pour la linéarisation de l'expression et de cette pensée unique, comme dans une dictature. La peur anime cette forme de terreur, comme celle que nous vivons actuellement dans notre France monarchique d'un Macron roi et de sa gouvernance de ploutocratie. Je m'éloigne un peu du livre, mais je m'aperçois que rien ne change au fil de notre histoire,
Naguib Mahfouz s'interroge de la façon dont les hommes abusent du pouvoir, et de leur forfaiture à oeuvrer dans l'abus.
Le roman s'articule beaucoup autour de l'amour, ce sentiment qui véhicule l'espoir et aussi la folie, les personnages ont de l'amour en eux, comme Qurunfula, dans sa jeunesse, l'amour sincère lui a permis d'être tranquille face à l'agitation du monde du spectacle auquel elle appartenait, comme celui qui l'anime avec l'un des étudiants de son café, une relation qui la consume de l'intérieur tout en lui donnant l'énergie de sa jeunesse passée, il y a aussi ce jeune couple d'étudiant, s'aimant dans une société clivée par les traditions, les filles, promissent à des hommes par leurs familles, devant garder leurs vertus afin d'éviter le déshonneur, je n'oublie pas ce livre de
Chahdortt Djavann,
Les putes voilées n'iront jamais au Paradis ! de 2016, racontant la déchéance de ces femmes avec leurs vertus volées.
Naguib Mahfouz, avec ce roman compact, dévoile l'atmosphère d'une Égypte en transition, basculant dans le monde vers des choix importants pour son avenir, où la population se devise sur la politique extérieure à adopter, cette géopolitique du monde Arabe, avec Israël, les États-Unis, la Russie, la religion musulmane en pleine expansion et se divisant vers un intégrisme violent et devenir un pays avec une parole forte par sa puissance. C'est un roman qui nous aspire vers une période instable de l'Égypte et nous éclaire beaucoup sur la mutation fragile de ce pays tiraillé par tant de discorde et d'alliance opposante. Cet auteur fût censuré, comme le film tiré par ce roman, c'est la liberté que tente souvent à être bâillonnée par une minorité pour museler la vérité dérangeante de leur inaptitude à diriger pour le bien de leur pays !