Créatine

Aujourd'hui je vais évoquer Créatine premier roman culturiste de Victor Malzac.
L'incipit de Créatine est représentatif du roman : « avant j'étais un bel homme, j'étais beau je ne mens pas. Avant j'avais de quoi plaire aux femmes aux hommes aux chiens, à la police aux pompiers aux militaires, à tous les hommes de la terre, personne ne pouvait me regarder droit dans les yeux longtemps. J'avais des muscles, j'avais plein de muscles partout et même à des endroits où tu ne savais même pas qu'il y avait des muscles, en tout cas il n'y avait pas un muscle que je n'avais pas bossé. » Avec cet extrait le style de Victor Malzac transparait, oral et percutant, avec une ponctuation irrégulière donnant du rythme. Ce roman est un monologue déjanté et pulsionnel, le cri d'un jeune homme honteux, désespéré et hanté par son corps. le titre évoque une substance permettant d'accroitre la masse musculaire humaine. Un homme sans identité s'adresse au lecteur et lui raconte sa vie depuis son enfance jusqu'à son jeune âge adulte. Il a une relation conflictuelle avec son père et sa mère est assez transparente. Ils vivent dans une périphérie urbaine sans charme avec des dimanches ritualisés sans grand intérêt pour le protagoniste. Sa vie va radicalement changer le jour où il accompagne son père au cinéma et découvre Arnold Schwarzenegger. L'acteur est une révélation pour le garçon ; il est subjugué par son corps sculpté et dessiné. Dès lors, son ambition unique est de prendre du muscle et de surpasser son idole. Il néglige les études et le lycée, son leitmotiv est de passer le maximum de temps à la salle de sport. Mais alors qu'il grossit il désire prendre encore davantage de poids, sans limite, il veut toujours plus de muscle pour croit-il toujours plus de succès auprès des filles. Il raconte les étapes de sa métamorphose qui se déroule de ses quinze à ses vingt-et-un an environ. Il est obsessionnel autour de la musculation, il abandonne la faculté pour passer des heures quotidiennes face aux haltères et aux machines ; il contemple sa transformation dans le miroir. Il fait appel à un coach pour le guider et l'aider dans sa préparation physique et diététique puis il rencontre Pedro son aîné qui va l'accompagner dans l'apothéose de sa musculature. Créatine raconte le parcours d'un jeune homme désoeuvré et gauche, incapable de nouer des relations avec les femmes dont les photos sont les supports de ses fantasmes. Ses journées se résument à trois mots : sport, nourriture et masturbation. Il est frénétique, consomme beaucoup de porno et est persuadé que son corps transformé signe sa beauté. Mais il a beau se branler beaucoup il a des difficultés à bander, il n'est pas réellement excité par les corps des femmes, il souffre d'une forme d'impuissance accentuée par les injonctions à la masculinité viriliste. Paradoxalement, ce sont les corps masculins hyper musclés qui le fascinent et le passionnent. Il découvre alors qu'il partage l'intimité de Pedro (sous la douche, lors des injections de produits anabolisants et dopants) son homosexualité et cela le révolte. Son éducation a valorisé le triomphe de l'homme qui doit être dominateur et viril à outrance.
Créatine est un texte brut et dérangeant, le portrait d'un jeune garçon obnubilé par son corps et incapable d'établir des relations sociales, à la misère affective et sexuelle désolante. Victor Malzac bouscule la littérature et propose un texte novateur et profond.
Voilà, je vous ai donc parlé de Créatine de Victor Malzac paru aux éditions Scribes.
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Voici ce qu'il est indiqué au sujet de cette nouvelle collection Scribes chez Gallimard : un label de littérature française et étrangères pour accueillir des gestes singuliers d'écriture.

En cela, Créatine tient sa promesse. C'est un texte que je trouve expérimental et qui déploie une écriture singulière, inédite. Cela tient parfois de l'exercice avec des figures qui deviennent récurrentes, une langue très orale, tellement orale qu'elle en devient empruntée.

Je pense que l'expérimentation est réussie et qu'elle donne lieu à un objet littéraire intéressant. C'est une sorte de flux écrasant qui emporte tout sur son passage, peu à la manière d'une rivière en crue. Je modère mon propos en cela que la psychologie du personnage existe bien que brossée d'une manière peu conventionnelle.

Je résumerai donc mon propos en disant qu'il s'agit bien là d'inaugurer un nouveau geste, que celui-ci me semble bien exécuté mais que j'y ai fort peu goûté !