Si d'aucuns doutent encore de la capacité de la littérature à bousculer les consciences, à semer le doute, il suffit de voir l'énergie déployée par un système totalitaire pour tenter de la museler par tous les moyens…
Paolo Mancuso, dans cette histoire de la publication du Dr Jivago, nous en offre une démonstration éloquente et très documentée !
Le sous-titre du présent volume, en l'occurrence “Le roman du roman” n'est pas surfait tant les rebondissements, les tentatives d'intimidation, les implications jusque dans les hautes sphères du pouvoir en pleine guerre froide, sont présents dans les nombreux échanges épistolaires qui illustrent les propos de l'auteur.
Même si pendant cette période qui, après la mort de Staline, fut appelée le dégel, certains auteurs dissidents furent publiés, la clairvoyance de
Boris Pasternak se retrouve p 92 : “ Pasternak avait raison lorsqu'il disait que si un livre aussi innocent de Doudintsev ( l'homme ne vit pas seulement de pain ) , écrit par un communiste fidèle, était considéré comme une bouteille de kérosène par les dirigeants, alors le Dr Jivago serait un baril de dynamite”. Quand bien même il était conscient de signer son arrêt de mort à la publication de son oeuvre majeure, intimement liée à sa propre vie, les efforts déployés ont porté leurs fruits…
Il a aussi fallu du courage et de l'opiniâtreté aux éditeurs des quatre coins de l'Europe pour faire paraître ce chef-d'oeuvre ! A commencer par l'Italien Giangiacomo Feltrinelli en 1956 puis suivront la traduction française en juin 1958 parue chez Gallimard, puis en russe et en anglais à l'automne de la même année.
Je ne peux m'empêcher de parler aussi du rôle actif qu'ont joué un certain nombre de femmes dans l'entreprise de faire sortir les tapuscrits d'URSS, telles Hélène Peltier et
Jacqueline de Proyart, pour ne citer qu'elles. Toutes deux ont d'ailleurs contribué à la traduction française. Nul besoin de s'étendre sur les difficultés de passer au travers des mailles du filet tissé par les services de renseignements de l'époque…
Ce pavé représente un énorme travail de compilation des correspondances, qui viennent à l'appui des recherches du professeur de philosophie. Nul doute que la formation initiale de mathématicien de
Paolo Mancosu lui a été profitable pour aboutir à ses conclusions !
Petit bémol quant au choix de l'éditeur d'utiliser une police de caractères plus petite pour tous les échanges épistolaires. Certes, on peut le comprendre compte tenu de la taille du volume : A vous lecteurs de bénéficier d'une luminosité suffisante et de chausser de bonnes lunettes !
Et si ça n'est déjà fait, il vous reste le plaisir de lire ou de relire
le Docteur Jivago. A ce titre, je vous recommande la nouvelle traduction d'
Hélène Henry, toujours chez Gallimard.