Je suis probablement en manque de contact masculin. C’est une autre des nombreuses et très bonnes raisons qui font que je dois rentrer à Paris. Je me demande si la présence d’un Adonis en tant que voisin direct pourrait être conçue comme un autre argument de vente massue pour me débarrasser de cette maison.
Le problème, c’est que j’aime déjà cet endroit. Depuis tout à l’heure, cette bicoque improbable d’une vieille tante excentrique tente de me séduire et de me faire oublier mon identité, ma vie et tous mes projets.
Cette position n’en révèle pas tant que ça, à part des abdos et des pectoraux si bien rendus qu’ils me font pratiquement rouler les globes oculaires hors des orbites. Mais le plus saisissant, c’est son attitude. On dirait qu’elle l’a apprivoisé, que c’est elle qui l’a amené à se balancer dans le fauteuil, puis qu’elle l’a amadoué jusqu’à le faire rire. Et qu’elle l’a saisi sur le vif, au moment précis où la méfiance de chat écorché quittait pour de bon son expression pour être remplacée par la lueur de joie d’un éclat de rire. Je n’ai jamais vu ça. Et je me sens presque un peu honteuse d’avoir volé cet instant d’intimité.
Je ne suis pas à l’abri d’un miracle, mais je fonde plus d’espoirs sur d’éventuels contacts parisiens. Il faut dès lundi que je contacte un ou deux de ces agents haut de gamme qui vendent des maisons pittoresques de luxe à des Parisiens pleins aux as. J’ai bien peur que ce soit là mon seul espoir.
Avec sa taille fine, ses formes voluptueuses, ses lèvres pleines et ses yeux d’un marron incendiaire, Charlie ne suit pas le modèle des magazines. Elle relève d’un archétype bien plus ancien et efficace. Je ne crois pas qu’elle ait manqué de compagnie masculine ou de confiance en elle une demi-seconde dans sa vie. Elle est un peu mon modèle dans l’existence, l’idéal que secrètement je vise. Bien sûr, je me ferais hacher menu plutôt que de le lui avouer. Je ne veux pas qu’elle prenne le melon, elle est déjà assez impossible comme ça.
C’est bien ce qui arrive quand vous héritez de votre richissime lointaine grand-tante, celle qui a mené une existence de création et de romance, avant de se barricader dans sa maison pour y vivre au milieu de ses chats ? Cette aïeule si incroyablement célèbre, talentueuse et snob qu’elle n’a jamais plus adressé la parole à sa famille ? Jusqu’au moment où dans un coup de théâtre, elle vous lègue sa grande baraque ?