Dis-moi comment tu cours, je te dirai qui tu es, et même, mieux, je l'écrirai, je t'écrirai… C'est à ce projet que s'attelle Cyrille Martinez dans son dernier livre, peignant par petites touches une vaste fresque du monde des courses de fond et demi-fond en France depuis cinquante ans et la naissance, sur une modeste départementale de Lozère, entre Marvejols et Mende, d'un engouement populaire pour ce sport et les multiples événements dominicaux qu'il suscite. Connu pour ses performances poétiques et ses romans, dont le dernier, «
La Bibliothèque noire » (
Buchet-Chastel, 2018), explore avec malice l'univers de la lecture publique pour mieux en défendre l'intérêt et le plaisir, auteur aussi du fameux « le Poète insupportable et autres anecdotes » (Editions Questions théoriques, 2017) dans lequel, en praticien averti, il décrit avec force espièglerie les heurs et malheurs des poètes d'aujourd'hui (et sur la couverture duquel, on le voit déjà courir, avec short et runnings aux pieds!), Cyrille Martinez célèbre ici cette autre passion qui l'anime depuis l'enfance, une passion cultivée en famille puisque ses parents la partageaient, le goût de la course d'endurance. Au fil des chapitres, il évoque les figures des acteurs anonymes ou des champions modestes de ce sport, tous ces petits de la foulée du week-end, héros « sans qualité » mais au charme irrésistible, à cause de leur courage ou de leur originalité, ravivant la légende de ces gloires locales et souvent sans lendemain, hommes et femmes qu'il aura accompagnés le temps d'un 10 000 ou d'un marathon, ou dont il aura, chroniqueur sportif pendant quelques années pour le Provençal, célébré les victoires ou pleuré les défaites. Michel le solitaire, Yacine l'inattendu,
Jean-Claude « Fois deux » et son double marathon, Martine qui court jusqu'à l'overdose, le Gendarme fantastique et fraudeur, François le facteur…, l'écrivain redonne chair à chacun de ces personnages, protagonistes d'une épopée de la course à pied, dont les parcours personnels tournent parfois au tragi-comique. Car à l'euphorie du défi réalisé et de la victoire, à commencer par la victoire sur soi, succèdent souvent l'intense fatigue et, quelquefois, le désespoir, la dépression… Cyrille Martinez sait à merveille traduire ces émotions, construisant une véritable anthropologie de la course de fond, incarnant dans ces différents portraits une théorie de la foulée (et pourquoi, derrière ce mot, se surprend–t-on fréquemment à entendre « folie », douce ou sévère, au fil du texte ?), interrogeant l'origine et le sens de ce « courir pour rien » qui semble l'horizon ultime de chacune de ces trajectoires individuelles. Ah, on les adore, avec lui, ces doux dingues, qui partagent pour beaucoup avec l'écrivain, d'être pour la plupart de ce sud entre Marseille et Montélimar, la gouaille du récit de course et le plaisir du pastis sur l'aire d'arrivée, et l'on se réjouit à chaque page de leur si séduisante entrée en littérature ! Alors, n'hésitez plus, et dirigez-vous, à petites foulées, vers la librairie la plus proche, Cyrille et
Jean-Claude vous y attendent…