BLEU, PREMIER JUGE
BLEU, tribu unique.
Constamment en route vers les miroirs naturels de verre et
d'eau, rond, républicain, débonnaire en famille jusqu'au rire
grossier, hautain en assemblée, par exemple lorsqu'il se penche
par-dessus l'épaule d'un vert — protecteur quand un jaune lui
demande la clef de l'éblouissement et tressaille par trois fois,
long phare sur la plus mince des jetées — toujours tenant en
réserve un blanc effilé comme un couteau, un or qui est la vi-
bration éperdue de deux roues dentelées — banal dans son
énorme odeur de végétation — adhérant indifféremment à tel ou
tel cadre alors que les autres couleurs s'approchent et tâtent
avant de se fixer — parfaitement amphibie — parfaitement
aérien — joueur dans ses rebonds, grave et pompeux dans son
centre, cristallin par protestation dès qu'il entre en société du
noir — ruant comme un cheval caparaçonné, jurant en rouge, en
mauve — économe de ses gestes — maraudeur par le regard —
pleins de signes de croix inachevés — plein de belettes, de taupes
enfouies, de renards éventails, de bons épagneuls au grogne-
ment mouillé — toujours vous assermentant, car on ne ment
qu'au vert — tête à la fois de juré, de prêtre, de pugiliste, de
médecin.
Les Tortues de Loys Masson, réédité par L'Arbre vengeur dans la collection L'Alambic avec une préface d'Eric Dussert.