"
Je suis une légende" est un grand classique de la littérature fantastique, publié en 1954 par l'immense et regretté auteur
Richard Matheson, qui est dans bon nombre d'ouvrages consacrés à ce genre classé parmi les 100 meilleurs livres de tout les temps.
Le succès du livre a conduit à plusieurs adaptations sur grand écran, dont la première en 1964 "The Last Man on Earth", la seconde en 1971 avec Charlton Heston : "Le survivant", puis enfin en 2007 avec Will Smith en tête d'affiche. Il semblerait d'ailleurs qu'aucun de ces essais de transposition n'ait véritablement rendu justice à l'oeuvre originale. le génial
Richard Matheson n'est pas un inconnu pour qui affectionne la littérature de science-fiction et du fantastique. En effet, outre "
Je suis une légende", il était également l'auteur de "
L'homme qui rétrécit" (1956), un autre grand classique du genre. Il avait aussi collaboré à de nombreuses reprises à l'écriture d'épisodes de la série télévisé : "La Quatrième Dimension". Il avait même par ailleurs, travaillé sur un épisode de "Star Trek". La télévision et le cinéma l'avaient d'ailleurs pris en affection, lui demandant d'adapter lui-même en script ses propres romans. Il avait même écrit le scénario du célèbre "Duel", réalisé par
Steven Spielberg. Un petit clin d'oeil aux amateurs et aux fans Mathesoniens :
Richard Matheson apparaît dans un petit rôle dans la trilogie du "Parrain" de Francis Ford Coppola, tenant le rôle d'un sénateur.
L'idée de "
Je suis une légende" vient de la situation du monde à l'époque, plongé en pleine guerre froide. Avec cette question simple : que se passerait-il si l'un des deux blocs appuyait sur le bouton rouge ? Cette vision des choses, le fameux "que se passerait-il si…", ne manquera pas de rappeler aux amateurs du genre, un écrivain contemporain, le Maître
Stephen King, qui fait souvent de ce postulat le début de ses romans.
Mais revenons au roman, à ce chef-d'oeuvre...
- Los Angeles, 1976. Robert Neville est le dernier humain sur terre, le seul survivant. Suite à une épidémie planétaire, une bactérie a tué tous ses congénères. Non, pas vraiment tués en fait, mais juste transformés, faisant muter ceux-ci vers une espèce proche des vampires, désertant les villes la journée, mais se répandant dans les rues à la nuit tombée à la recherche de nourriture. Neville se cloître dans sa demeure, réaménagée en véritable forteresse pour organiser la résistance, et s'est organisé une toute nouvelle existence, luttant pour sa propre survie, en repoussant sans cesse les assauts des créatures venant frapper à sa porte tous les soirs. le jour, il visite les nids et extermine le plus possible de ces monstres, gardant à la fois un espoir indéfectible en sa survie, mais se retrouvant bien souvent en proie à la peur et au doute, noyant son chagrin dans l'alcool.
Même si les créatures que doit affronter Neville ne sont pas des vampires au sens où la littérature plus "classique" les a définis, il n'en reste pas moins que la toile de fond de l'ouvrage est le vampirisme. Mais l'originalité du roman du regretté auteur, est d'avoir traité le sujet sous un jour nouveau et original. Bon nombre d'ingrédients typiques de la mythologie des vampires sont présents dans ce bouquin, en passant par exemple par la fameuse gousse d'ail censée repousser les créatures. La grande originalité de
Richard Matheson, est d'avoir apporté une touche plus "scientifique" à l'ensemble, faisant de Neville non pas un pauvre hère subissant les assauts répétés d'une meute assoiffée de sang, mais un homme certes acculé à l'isolement, mais surtout curieux des origines du mal qui a frappé la planète. Neville devient ainsi chercheur à ses heures, étudiant, disséquant ses victimes, ne tuant pas toujours, préférant la capture pour l'étude. Il rêve de découvrir le vaccin universel permettant d'éradiquer le fléau qui s'est abattu sur le monde. Mais là où le roman propose une vraie vision inédite du vampirisme, c'est lorsqu'il traite celui-ci comme l'avènement d'une nouvelle race qui, bien loin d'être plongée dans l'anarchie, vient proposer une alternative à l'ordre social établi. En effet, les créatures issues de la mutation biologique en viennent à organiser une nouvelle forme de société. le principe selon lequel la minorité peut parfois faire peur est ainsi conservé par l'auteur, qui retourne la situation contre son héros. Neville est le dernier de son espèce, c'est donc lui la menace et l'homme à abattre. Passant du stade de légende à celui d'espèce dominante, ce sont maintenant les vampires qui vont s'atteler à l'éradication de ceux qui ne sont pas comme eux. le monstre, ce n'est donc plus le vampire, mais l'homme.
Et comme je disais plus haut, Neville ne fait pas que subir son sort, il en cherche l'origine et l'explication. C'est ainsi qu'avec beaucoup d'humour, que le génie Matheson avait imaginé un héros cherchant des informations dans les oeuvres traitant des vampires, aussi imaginaires et "romantiques" soient elles. Il finira donc par lire, comme de bien entendu, les classiques du genre, tel "Dracula" de
Bram Stoker, s'inspirant des divers mythes et légendes portés par cet ouvrage pour confectionner ses chapelets de gousses d'ail, ses croix anti-vampires etc... Même quasiment condamné, Neville sait pourtant garder un certain humour, parvenant à sourire, voir rire, de situations pourtant peu engageante. C'est aussi cette caution un peu plus légère qui fait de ce roman, une grande réussite.
L'auteur possédait un double talent d'écriture : il savait se passer de la psychologie à deux balles, et il était capable de réaliser un livre certes, relativement court (environ 200 pages), mais incroyablement nerveux, mené tambour battant sans qu'à aucun moment on ne sente la pression retomber. Rien que le début du livre est fascinant : pas le temps de se pencher sur le passé de Neville ou de chercher à comprendre pourquoi il en est là, du moins pour le moment. On attaque d'entrée par une tranche de vie de Neville dans sa lutte quotidienne, et on est dans l'histoire au bout de 10 lignes. Cela nécessite un sacré talent. de surcroît, le sujet est traité d'une manière plutôt inédite, considérant le potentiel de la situation du héros. L'auteur avait su, habilement, laisser de côté tout ce qui confère au décor et au côté sanguinaire des vampires. En effet, c'est Robert Neville qui, de la première à la dernière page, est au centre du livre, ce n'est pas un univers. Et c'est captivant, et extrêmement bien réussi. Toute la panoplie parfois grand-guignolesque des romans traitant du vampirisme est ainsi mise à l'écart, seuls ses éléments les plus utiles à l'histoire sont retenus. Les scènes les plus mémorables ne sont ainsi, pas celles où les vampires attaquent et dévorent, ce sont plutôt celles où le héros se retrouve seul, noyé dans l'alcool, entendant à l'extérieur les créatures gratter à sa porte et l'exhortant à venir se faire dévorer. le héros n'en est pas véritablement un, dans le sens où ce n'est pas un super-héros, juste un homme comme tout le monde, cherchant à sauver son cul avant tout plutôt que de jouer les gros bras. Et ce style, plus de 60 ans après l'écriture du roman, n'a pas pris une seule ride. La brièveté de l'histoire (ou plutôt du roman), lui donne un style percutant et captivant qui est intemporel, et même rare de nos jours. L'absence de pathos gratuit permet de se focaliser sur l'histoire et rien que sur elle, rien ne vient divertir le lecteur, aucune transgression servant à délayer l'ensemble ne vient couper notre élan une fois que l'on a ouvert le livre. C'est un vrai plaisir. L'ambiance est lourde, anxiogène, et certaines pages sont véritablement promptes à donner des frissons d'angoisse.
Le roman de vampire traditionnel est classé aux oubliettes, après cet ouvrage d'une modernité incroyable, et d'une maîtrise sans égal. Chaque chapitre, chaque mot est à sa place, et il n'y a rien à jeter. le style est clair, concis, va droit au but, et évite surtout tous les poncifs du genre ou les effets m'as-tu-vu. Neville est attachant dans sa lutte désespérée pour la vie, et l'insistance dont avait fait preuve l'auteur sur son côté humain - donc faillible - avant tout le rendre proche du lecteur, l'identification tournant à plein régime de ce côté-là.
Pour tout amateur de fantastique en général, et de vampires en particulier, ce bouquin est bien évidemment un must have. En fonction de son âge, le lecteur pourra y voir une simple histoire de vampires, un autre y verra sans doute un aspect plus philosophique, le livre traitant aussi de la tolérance, de l'enfermement, et surtout de la normalité (ou de ce qui ne l'est pas), puis enfin de la question humaine. Quel que soit le degré auquel on s'attèle à ce livre, on ne pourra être que conquis. Cocktail brillamment orchestré de frisson, d'aventure, d'intelligence et d'efficacité. "
Je suis une légende" mérite amplement son statut de roman de référence. du début jusqu'au dénouement, ce chef-d'oeuvre grandiose vous prend, vous fait sourire, mais aussi trembler, et dans tous les cas ne vous laisse jamais décrocher.
La dernière ligne est non seulement, plus que réussie mais également relativement inédite. Un grand bijou Mathesonien et indispensable que je vous recommande très fortement. Robert Neville est une légende et
Richard Matheson d'autant plus.