Recueil de qualité, varié, même si les tonalités communes sont l'étrangeté,
la peur, l'angoisse etc.. 13 nouvelles souvent écrites à la 1ère personne du singulier et dont je n'ai pu m'empêcher de songer qu'elles étaient l'expression des pensées et sentiments propres à
Maupassant qui a trouvé là forme littéraire pour tenter de les sortir de son esprit et, peut-être de les combattre, quand on sait qu'il est mort à 43 ans atteint d'une pathologie mentale sans doute due à la syphilis contractée bien jeune et victime d'une certaine hérédité..
Il doit exister des études sur ces nouvelles analysant une dimension symbolique ou métaphorique.
Pour donner une idée de la variété et de l'intérêt de ces nouvelles, j'en présente un peu quelques-unes :
Apparition est une histoire de revenante, finalement assez classique dans le genre.
Le Père Judas, histoire hors-du-temps, du Juif Errant et d'une Juive, exempte de senteur antisémite (ce qui est assez rare à l'époque pour être souligné), nimbant de mystère la provenance et la destinée de ces 2 êtres à la fois à la marge et faisant partie d'une petite société .
Mademoiselle Cocotte, histoire assez cruelle d'un homme somme toute ordinaire, inséré comme on dit aujourd'hui, qui va avoir sa vie bouleversée à cause d'un animal qu'il adopte par pitié, ennui et bonté. avant de sombrer dans la folie.
Ces histoires finissent souvent ainsi, comme
Lui par exemple, où la folie, mélange d'angoisse née de la solitude, se traduit par une paranoïa hallucinatoire.. État d'esprit qui visiblement intéressait
Maupassant et peut-être déjà l'effleurait quand il a écrit ces nouvelles inquiétantes (je ne peux pas ne pas trouver quelque chose d'inapaisé - euphémisme - dans son regard sur certaines photos).
Une nouvelle se détache il me semble :
l'Enfant. J'ai rarement lu un texte aussi violent et efficace (comme une redoutable plaidoirie) contre ceux et celles qui jugent sans savoir, sans connaître, non pas l'avortement comme
Maupassant l'écrit une fois, mais le meurtre de son bébé par une mère. C'est, sans en avoir l'air et sans prévenir, un réquisitoire puissant et éloquent contre les préjugés, la morale bourgeoise, les "bonnes moeurs" face à une nature qui serait plus forte que toute morale (
Maupassant y accepte cependant trop facilement, me semble-t-il, l'idée de nymphomanie, sans en utiliser le mot).
Simone Veil aurait dû lire ce texte à l'assemblée en 75..
Dans Solitude, encore le thème de la réalité de l'homme seul (faudrait-il y voir un H majuscule ?) où il est encore tentant d'y lire une façon d'interroger, d'explorer, de donner une forme langagière, aux pensées personnelles
De Maupassant.
Un Cas de Divorce est un autre texte étonnant, décrivant avec talent le désir
fou d'un homme pour... les fleurs, habile évitement de la censure pour une déclaration enflammée pour le sexe anatomique féminin qui mène le personnage à la folie, comme la syphilis
Maupassant. Formidable étude de texte à faire ici.
La nuit est un autre texte très bien écrit, presque de science-fiction car le lecteur ne sait pas clairement s'il se passe réellement quelque chose pour la première fois ou si c'est un état de plaisir intense puis d'inquiétude inexpliquée et grandissante qui métamorphosent la perception du personnage jusqu'à un ultime désespoir. Point de retour à l'ordre chez
Maupassant mais des fins en suspens au-dessus d'un vide ou face à une profonde obscurité..
l'Homme de Mars tire de nouveau vers une science-fiction avant que le terme n'existe je pense (même si
Jules Verne était déjà connu), "témoignage" assez poétique et divertissant, une fenêtre ouverte sur l'espace.
Enfin l'Endormeuse est peut-être, comme souvent, le récit né d'un rêve dans la veine, en amont, d'un
Boris Vian par exemple.
Je pense que c'est la 1ère fois que je lisais du
Maupassant (à part peut-être quelques dictées au primaire) et cela me donne envie d'en lire d'autres car il maîtrise son style et ses thèmes, à défaut, au fil de sa vie tumultueuse, de sa vue et de son esprit.