Voici un livre qui m'a été offert par Masse critique.
L'auteur,
Friederike Mayröcker (Vienne, 1924/2021) " est considérée comme la plus grande poétesse autrichienne de sa génération" (Wikipedia), et "a figuré sur la liste des écrivains pressentis pour le
Prix Nobel".
Anne Kubler a traduit ce livre en français, dure tâche, certainement.
J'avais choisi ce livre en fonction du thème, car rien n'était dit de l'écriture. Selon la présentation que j'en avais lue, je pensais découvrir une conversation entre deux personnages dans un train, l'un (l'une) racontant à l'autre la fin de sa dernière liaison. Or, tout le livre (113 pages) est soliloque, souffrance aigue, introspection terrible d'un état qui a pratiquement rejoint la maladie mentale. L'auteur seule "parle". L'autre n'intervient jamais. Elle dit avoir commencé deux fois une psychanalyse au cours de sa vie, et avoir deux fois laissé tomber. En réalité ce livre ressemble à une troisième tentative.
Et comme
Friederike Mayröcker a pour métier d'écrire, son tourment est double : la fin de sa relation avec Lerch d'une part, et les difficultés qui en découlent concernant sa relation avec la littérature, d'autre part : elle ne peut plus écrire, ni lire, Lerch était devenu son inspiration unique : -"parfois j'essayais de le forcer littéralement à me rencontrer, je veux dire je l'y obligeais presque, et j'en tirais un avantage pour moi-même : j'en tirais avantage pour mon travail d'écriture, parce qu'une rencontre avec lui provoquait une conflagration durable et heureuse de ma constitution psychique et corporelle tout entière, je pouvais en quelque sorte compter sur le fait que cet état se produisît, je pouvais être certaine que de tels effets en sortirait un avantage pour mon travail d'écriture."
"- Je tombe à genoux, je tombe cependant à genoux, tombe par terre, éructe des prières d'action de grâce dès que j'ai réussi à taper une phrase à la machine, quelle vie - parfois des angoisses de mort m'envahissent, parfois je suis saisie d'épouvante, parfois je sens ma fin corporelle proche, et si je n'avais pas cette mienne écriture, ce mien travail d'écriture incessant qui me maintient en vie, j'aurais depuis longtemps laissé tomber, j'aurais laissé tomber ou j'aurais sombré dans la folie, j'écris mes livres comme je dois les écrire, m'écrié-je, dévêtue et démantelée : la vérité nue!, mais ce n'était pas une sinécure, il n'y a pas d'échappatoire, forme et contenu se conditionnent l'un l'autre, et caetera."
Elle décrit des rêves où reviennent ses parents, des hallucinations. Elle en appelle plusieurs fois à Goya. Elle ne sait plus qui elle est, où elle en est. Elle navigue entre certitude de sa valeur en tant qu'écrivain et sentiment d'impuissance : "... aussi ai-je toujours été à l'antipode, ma vie durant, à l'antipode d'un vendeur de soi compétent, même ce que je possédais à profusion je n'ai jamais pu l'apporter à l'homme de surcroît le transmettre (...) parce que je me suis toujours sentie hors du monde, m'écriais-je".
C'est dire que ce livre n'est pas vraiment indiqué aux personnes endeuillées ou ployant déjà sous de gros problèmes... En réalité, il ne correspond pas à ce que je recherche en ce moment, je suis trop mal moi-même suite à une perte inimaginable, douloureuse, je l'ai donc vite lu, annoté, rendu à Babelio, non pas parce qu'il s'agirait d'un mauvais livre, bien au contraire, mais justement parce qu'il est bien trop fort, bien trop réussi pour qu'on puisse le classer dans les livres ne laissant pas de trace...